Destiné à devenir chirurgien, Jacques Séguéla connaîtra finalement l’école buissonnière, le monde pharmaceutique, de la presse et enfin celui de la publicité.
Homme des grands slogans, pour Citroën, Carte noire ou encore pour François Mitterrand, il reste encore de nos jours une véritable référence de la communication. Depuis presque 60 ans, Jacques Séguéla a participé à plus de 1 000 campagnes de publicité (dont plus de 20 élections présidentielles).
Entretien dans son bureau d’Havas avec Jacques Séguéla, communicant né.
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Malgré la multitude et la multiplicité des supports, la publicité doit-elle avant tout être la plus simple et la plus accessible ?
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Elle doit être comprise à la fois par sa cible préférentielle mais également par l’ensemble du public. Par conséquent, la publicité doit être simple, forte mais aussi sincère et touchante. Ainsi, la poésie retrouve la science. La grande majorité des publicités de nos jours manque de ce savant mélange. Elles présentent certes leur produit mais sans saveur et sans simplicité. A tel point que le prix fait oublier la marque. Il n’y a jamais eu autant de publicité à la télévision à propos de l’industrie automobile. Pour autant, je ne retiens aucune marque de voiture.
La publicité doit étonner. Un jour, le poète Jean Cocteau avait demandé à Jean de Diaghilev : « Quelle est la définition de l’art ? ». Comme par défi, le critique d’art russe lui rétorque : « Etonne-moi ! ». Cocteau répond alors que c’est tout à fait le rôle de la poésie. J’ai pensé que c’était également le rôle de la publicité. Elle doit se différencier, se démarquer et être là quand il faut. Même encore de nos jours, il m’arrive de me réveiller en pleine nuit car j’ai des idées de slogan. J’écris dans un carnet puis je me recouche.
En aucun cas, notre cœur de métier de publiciste est de vendre des voitures ou des yaourts. L’objectif principal est que Citroën et Danone perdurent encore pendant au moins 50 ans.
Suite à sa victoire aux élections présidentielles de 1981, François Mitterrand me convoque dans son bureau de l’Elysée. Il souhaitait me remercier pour mon rôle lors de sa campagne. Mitterrand me dit : « Séguéla, vous êtes compliqué. Dites-moi quel beau cadeau vous souhaitez et vous l’aurez ». Je lui réponds alors que je souhaitais passer une journée entière avec le Dalaï-lama. Mitterrand rétorque alors que c’est une demande impossible. Pourtant, je ne mets pas de côté mon souhait.
Un soir, le Président me convie à venir à l’Elysée pour un dîner. Le Dalaï-lama était avec nous et je fais alors ma demande. C’est accepté et j’ai pu écouter ses prêches aux jeunes moines. Ce fut une journée très émouvante pour moi. Le Dalaï-lama avait notamment demandé : « Quelle est l’opposé de la vie ? ». Un jeune répond alors : « La mort ». Le Dalaï-lama rétorque « Non. L’envers de la vie c’est la naissance ». La publicité fonctionne de la même façon. Il s’agit d’un shoot de renaissance. 75% des marques consommées au XXème siècle sont à présent mortes. Ce sera la même chose au XXIème. Votre marque ne doit pas disparaître. Pour cela, un publicitaire doit lui donner une âme.
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Jacques Séguéla est-il d’une certaine manière une marque ?
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Bien entendu. Comme les acteurs, les sportifs ou les grands chefs d’entreprise. Pour perdurer, une marque doit avoir de la notoriété et de la personnalité. J’ai toujours cherché à me différencier des autres publicitaires. J’ai une chance immense de me lancer au début des années 70 et de connaître les années 80. Cette dernière décennie fut un grand moment pour la publicité et la liberté. J’ai pu y introduire du spectacle dans ce monde de la réclame. Nous avions en fait l’audace d’accepter la différence. Il y avait moins de tests et plus de testicules.
En 1986, j’ai été jusqu’à proposer l’idée de faire rouler une voiture Citroën sur la muraille de Chine. Il aura fallu 6 mois de négociations et un budget de trois millions de francs. Le spot a été réalisé par Raymond Depardon.
Les années 90 marquent la fin de la publicité spectacle. La communication est devenue alors plus technique et moins risquée.
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A l’heure où le curriculum vitae est la règle dans le monde du travail. Etes-vous la preuve que l’on peut faire confiance aux débrouillards voire aux cancres ?
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Absolument. Lorsque vous avez fait toutes les bêtises, vous prenez conscience que cela mène nulle part. J’ai dû passer 4 fois mon baccalauréat. Mon père était désespéré et m’a fortement conseillé de suivre des études de pharmacie. J’ai aimé ce domaine car à l’époque vous pouviez produire les médicaments vous-mêmes. Je vivais dans la banlieue pauvre de Perpignan, il fallait proposer des soins fait maison aux clients. Ainsi, j’ai pu me rapprocher des gens. Avec une telle expérience, j’ai pu sortir major de mes études de pharmacie. Quelle revanche !
A la fin de mes études en 1959, mon père m’a offert ma première 2CV. J’ai profité pour faire le tour du monde avec l’ami Jean-Claude Baudot sous prétexte d’étudier les plantes rares. Nous avons détourné cet objectif et Citroën nous a sponsorisés. J’avais certes pris du retard mais avec ce projet, j’ai pris 10 ans d’avance sur ma génération. Pendant 2 ans, j’ai visité une soixantaine de pays. Après une telle aventure, j’ai écrit avec mon ami Jean-Claude le livre « La Terre en rond ». Ce fut un best-seller qui m’a permis de devenir reporter à Paris Match. Au fil des ans, je suis devenu publicitaire car j’étais reconnu pour trouver de bons titres aux articles.
Dès qu’une porte s’ouvre devant moi, je fonce. Qu’importe les défaites, vous devez sans cesse avancer.
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Pour les élections municipales de 1977, vous réalisez 3 slogans pour 3 partis différents, le PR de Valéry Giscard d’Estaing, le RPR de Jacques Chirac et le PS de François Mitterrand. Le dernier était « Le Socialisme – une idée qui fait son chemin ». Avez-vous façonné l’image de chef d’Etat de François Mitterrand ?
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C’était au directeur de campagne de réaliser l’affiche de campagne. La question d’éléments de communication à la télévision, à la radio ou dans la presse n’existait pas. Goudard et Brochand, directeurs de campagne de Jacques Chirac, m’ont contacté pour réaliser l’affiche du RPR. Il avait la photo mais pas de titre. Je propose alors « La France qui ose – la France qui gagne ».
Jean-Pierre Soisson de l’équipe de Giscard me demande la même chose. Quelques jours plus tard, c’est au tour des Socialistes de me demander de réaliser leur affiche. Ce n’était pas un problème pour moi puisque j’ai toujours dit que je n’étais ni de gauche ni de droite mais du parti des idées – on m’a copié depuis… (rires).
J’ai eu une préférence pour l’affiche de Mitterrand. Je l’ai conçu en fusionnant 2 idées : celle du général De Gaulle dans la campagne irlandaise et la figure de Mao Tsé-Toung.
A ma grande surprise, mes 3 slogans ont été retenus. C’était comme gagner au Loto. J’ai vu sur les murs mes 3 affiches, j’ai trouvé cela rocambolesque et plutôt que de faire un scandale de presse qui d’ailleurs n’aurait pas eu lieu, je me suis tu.
Je me suis ensuite beaucoup intéressé aux campagnes politiques des Américains et des Britanniques. Pour les élections présidentielles de 1981, j’ai écrit à mes 3 clients afin de proposer à nouveau mes services. Le seul qui m’a répondu c’était François Mitterrand.
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Mitterrand était-il un « bon produit » ?
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Avec lui, j’ai reçu une vraie leçon de politique. Pour séduire, Mitterrand était meilleur que Tapie. Il m’a proposé un marché : « Vous ne comprenez rien à la politique, moi je ne comprends rien à la communication. A partir de septembre, nous nous verrons tous les lundis de 12H à 13H. Je vous apprendrai la politique puis ensuite ce sera votre tour de m’apprendre la communication. » Très rapidement, nous nous sommes concentrés uniquement sur ma partie. Alors que les Socialistes détestaient la communication, François Mitterrand voulait tout savoir.
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François Mitterrand soignait-il autant la forme que le fond de sa communication ?
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La forme c’est le fond qui remonte à la surface. En choisissant le slogan « La Force tranquille », j’ai eu l’impression d’avoir trouvé l’âme de François Mitterrand. Il m’avait dit qu’il ne souhaitait pas provoquer la révolution mais juste faire évoluer la France.
Seul avec lui, j’ai ensuite présenté le slogan « La France tranquille » à Mitterrand. Je lui ai demandé de fermer les yeux. En les ouvrant, Mitterrand a eu un moment de silence. Il a ensuite dit : « Séguéla, vous m’avez trouvé ».
En 1988, pour la seconde élection présidentielle, j’ai suggéré au Président d’être le premier candidat à parler afin de servir de référence. La première affiche réalisée fut « Génération Mitterrand ». Elle participait à la construction d’image du chef d’Etat en tant que sage, renvoyant ici à la notion de paternité, le « père de la nation ». Seule une main apparaissait – référence à l’œuvre de Michel-Ange, « La Création d’Adam » (1508).
Je me souviens également que Mitterrand m’avait profondément impressionné lors de la réalisation de sa « Lettre à tous les Français » en 1988. Le Président dressait le bilan de son premier septennat. J’avais engagé 2 correcteurs afin que la communication soit parfaite. Cependant, Mitterrand restait méfiant. Il ne pouvait imaginer laisser partir une lettre écrite de sa main sans une véritable relecture. Mitterrand relève une faute dans la soirée. Je rentre chez moi et me couche. A 3 heures du matin, le Président me téléphone pour me dire : « Il y a une autre faute. Ce n’est pas le deuxième millénaire mais le troisième millénaire ». Septuagénaire, atteint d’un cancer, François Mitterrand gardait une vigilance rare.
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Vous faites la campagne électorale de Lionel Jospin en 2002. Face à Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, le candidat socialiste ne parvient pas à être au second tour. Bien qu’un grand homme politique, Lionel Jospin était-il finalement le bon communicant ?
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J’ai essayé de l’aider mais je n’ai jamais réussi à le détendre. Jospin avait été un excellent Premier ministre mais refusait la communication car pour lui c’était de la désinformation voire de la manigance. Il n’a jamais voulu présenter son épouse, Sylviane Agacinski, aux Français. J’avais pourtant réussi à le faire inviter dans l’émission de Michel Drucker. C’était une façon de le rendre plus sympathique. Au dernier moment, Jospin a décliné l’offre.
La défaite de 2002 a été pour moi une véritable peine.
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Vous avez fêté il y a peu vos 90 ans. Avez-vous pensé à un slogan pour votre centenaire ?
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(rires) J’y pense dès aujourd’hui. La vieillesse commence lorsque les regrets l’emportent sur les rêves. Né en 1835, il y a presque 200 ans, Havas Group reste l’entreprise française en communication la plus créative du monde.
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Photo de couverture : © Brieuc CUDENNEC