Pour que le passé résonne encore de nos jours, il faut qu’il soit en perpétuelle interprétation. Chaque écrit, chaque témoignage, chaque dessin peut apporter une nouvelle source d’information. La fiction s’inspire de faits réels pour mieux nous emporter dans le récit. C’est le défi que s’est lancé le dessinateur Marcelino Truong avec son nouvel ouvrage « 40 hommes et 12 fusils« . Nous avions déjà publié un entretien sur le dyptique autobiographique « Une si jolie guerre » et « Give a Peace a chance ». Avec « 40 hommes et 12 fusils », nous suivons le chemin de Minh, jeune artiste fuyant la guerre d’Indochine mais qui finalement est enrôlé de force dans les rangs du Viêtminh.
Récit de guerre qui mélange avec justesse fiction et faits réels.
Entretien.
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Comment est né le projet « 40 hommes et 12 fusils » ?
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J’avais envie de m’essayer à la fiction après mes deux premiers romans graphiques fortement autobiographiques racontant la vie de ma famille pendant la guerre du Vietnam.
Je voulais aussi revenir vers le premier conflit d’Indochine, car c’est dans les événements politiques et militaires marquant la guerre d’Indochine (1945-1954) que l’on trouve les sources du conflit suivant, la guerre du Vietnam (1959-1975).
Je m’intéresse depuis longtemps au rôle de l’artiste pendant un conflit. Il se trouve que de nombreux artistes vietnamiens participèrent à la guerre d’Indochine dans les rangs du Viêtminh. En 1949, les forces armées du Viêtminh, équipées, entraînées et endoctrinées en Chine maoïste, devinrent l’Armée populaire de libération. L’Armée populaire mit en œuvre les thèses de Mao sur la guerre du peuple. Or, les praticiens de la guerre révolutionnaire accordaient une place importante aux artistes car leurs travaux – tracts, affiches, tableaux, etc…- permettaient de véhiculer les mots d’ordre du Parti, celui-ci d’adressant à une population largement analphabète. Le rôle des artistes au sein de l’État guerrier communiste se renforça, mais ceux-ci durent se conformer entièrement aux directives du Parti des travailleurs (alias d’une Parti communiste indochinois).à
Pourquoi avoir choisi ce titre ?
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Quarante hommes et douze fusils, c’était la composition d’une unité de propagande dans l’armée de l’Oncle Hô, force militaire et politique façonnée sur les modèles soviétiques et chinois maoïste, où le combat politique a toujours la préséance sur les actions militaires.
Quarante hommes et femmes – écrivains, journalistes, poètes, artistes plasticiens, comédiens, musiciens, chanteurs, danseurs, photographes, etc…- mettaient leur talent au service du Parti et contribuaient directement à l’effort de guerre. Le rôle des UPA étaient de former les esprits des masses et de mener l’endoctrinement de la population par des moyens artistiques: expositions, spectacles, théâtre, chant et danse.
Ces « saltimbanques » étaient encadrés par une escouade de 12 combattants bien équipés assurant leur protection. Mais lorsque l’unité de propagande se déplaçait pour semer la bonne parole dans une zone sous contrôle du Viêtminh, l’escouade armée était chargée de repérer dans l’auditoire les opposants et même les tièdes et de procéder à leur élimination discrète. Un système assez pervers.
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Le livre est un hommage aux cultures, aux langues et aux paysages viêtnamiens (avec notamment la carte en début de livre). Est-ce une histoire d’exploration dans tous les sens du terme ?
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La Haute région du Nord-Vietnam – autrefois nommé Tonkin- est un amphithéâtre de montagnes boisées cernant un vaste delta très peuplé.
La Haute région était un lieu parfait pour créer un maquis tellement sa géographie se prête à cela. Cette région montagneuse est peuplée d’ethnies minoritaires très différentes des populations du delta du Nord. Pour beaucoup de combattants de l’Armée populaire, issus des villes et des campagnes du delta, la Haute région fut une découverte. Ce sont des paysages grandioses de reliefs escarpés en forme de pains de sucre, nimbés de nuages, séparant des oasis cultivés de rizières.
« Un décor de rêve », comme disait Jacques Prévert. Mais ce décor féérique fut souvent le cadre de combats d’une violence inouïe. Alors oui, en effet, il y a un élément de balade touristique dans mon livre, mais c’est une randonnée martiale dans un pays déchiré par une guerre totale.
Dans toute guerre il y a des accalmies, et c’est alors que le lecteur découvre les rudiments de la langue vietnamienne, ainsi que les costumes, l’habitat et l’hospitalité de la minorité thái, qui occupe tout le nord-ouest du Vietnam et notamment la vallée de Điện Biên Phủ.
C’est un roman de voyage, comme il existe des « road movies », mais dans le Viêtminh, on se déplace surtout à pied. Le bộ đội (conscrit) de l’Oncle Hô est avant tout un marcheur. On crapahute – comme disait les soldats français- avec les soldats-paysans de l’État parallèle viêtminh.
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Quelles personnes vous ont inspiré Minh ?
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Minh, mon personnage central, est un personnage composite. Pour le créer, je me suis inspiré de mon père et de plusieurs cousines et cousins de la génération de mon père. Au Viêtnam, on appelle cette génération qui lutta pour l’indépendance « la génération en or ».
Mon père avait 20 ans en 1947. Il avait vécu tout du début de la guerre d’Indochine sur place, et il m’a raconté tout ça. Ses frères, ses cousines et ses cousins ont eux aussi été mêlés à toutes sortes d’événements incroyables jalonnant l’après Seconde Guerre mondiale en Indochine. Bien que beaucoup de familles vietnamiennes observent une sorte de mutisme concernant ces événements traumatisants, dans la mienne, on raconte souvent des histoires à dormir debout qui sont arrivées à telle tante ou tel oncle pendant les guerres du Viêtnam.
Je me suis aussi énormément penché sur les biographies et les œuvres des artistes vietnamiens de cette génération ayant servi dans l’Armée populaire. Certains d’entre eux sont devenus célèbres, et il est assez facile de trouver de beaux livres qui leur sont consacrés. Il y a aussi énormément de documentation sur la toile à leur sujet. Pour n’en citer que quelques-uns, je pense à des artistes reconnus tels que Tô Ngộc Vân, Mai Văn Hiến, Phạm Thanh Tâm ou Ngô Mạnh Lân, mais il y en a bien d’autres.
Ces artistes-combattants ont largement contribué à l’édification de la légende ou des mythes fondateurs de la « Première Grande Résistance patriotique » – c’est comme cela que l’on nomme la guerre d’Indochine au Vietnam, à la mode soviétique. Une histoire de légende où se mêlent souvent réalité et fiction. Mais attention, la relation, le récit officiel de la guerre d’Indochine est fondamental au Vietnam, car c’est pendant ce conflit que s’est forgé l’État communiste vietnamien d’aujourd’hui.
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Vous abordez longuement la propagande du Viêt-Minh. En quoi elle se distingue de celle des Soviétiques et des Chinois ?
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Les artistes vietnamiens travaillant pour la propagande de guerre partaient souvent de modèles soviétique ou chinois, mais ils parvinrent dans l’ensemble à donner à leurs travaux un style bien personnel et une tonalité bien vietnamienne.
La propagande vietnamienne a sa personnalité propre. C’est net.
Très souvent, les artistes vietnamiens marchèrent dans les traces de la tradition. C’est-à-dire qu’ils produisirent des travaux de propagande en utilisant des techniques traditionnelles comme la gravure sur bois permettant d’imprimer avec peu de moyens des estampes populaires. Ils eurent recours à des techniques ancestrales éprouvées, ne nécessitant pas un équipement coûteux. Cela permettait aussi – c’est important- d’enrober des messages révolutionnaires sous une apparence familière, rustique, et nationale. Ainsi leurs visuels- tracts, affiches, peintures murales, dessins de presse- reprenaient des styles et des techniques typiquement vietnamiennes et populaires.
Les communistes vietnamiens ont réussi ce tour de force de se présenter à la fois comme des traditionalistes et comme des révolutionnaires. On devrait d’ailleurs plutôt parler des « nationaux- communistes » vietnamiens, car leur discours était farouchement nationaliste, anti-occidental, parfois xénophobe, prônant un retour aux valeurs ancestrales face à ce qu’il percevait comme la décadence de l’Occident, tout en prêchant la lutte des classes sans merci.
Il y a donc une personnalité très nette de la propagande vietnamienne. Elle est plus douce, plus fine, plus rustique et naïve que les propagandes soviétique et maoïste. Cependant, ce ne fut pas toujours le cas, et de temps en temps, l’influence chinoise maoïste ou même soviétique sautait aux yeux.
Je montre dans le livre quelques exemplaires de tracts où ça sent vraiment le copier-coller, et où le modèle maoïste est évident.
Il existe un magnifique site-web anglais basé à Saigon- Hô Chi Minh Ville pour voir de nombreuses œuvres de la propagande communiste vietnamienne: DOGMACOLLECTION. COM.
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Tout au long de « 40 hommes et 12 fusils », vous abordez le rôle des femmes durant la guerre d’Indochine. Sont-elles les oubliées (et les perdantes) du conflit ?
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Les femmes ont toujours joué un rôle central dans la société vietnamienne, mais c’est pendant le conflit d’Indochine que les femmes ont été amenées à participer de manière accrue et directe à l’effort de guerre.
On dit que ce sont les conseillers chinois qui ont suggéré à leurs émules vietnamiens d’intégrer des femmes dans la machine de guerre du Viêtminh. Auparavant, la femme vietnamienne s’était limitée à un rôle occasionnel de guetteuse, d’espionne, ou d’agent de liaison.
À partir de 1949, quand le Viêt-minh sous influence maoïste a songé à préparer ce qu’il appelait la « Grande contre-offensive générale » contre les Français et leurs alliés vietnamiens, l’implication massive des femmes est apparue comme une solution pour faire face aux énormes problèmes logistiques qu’affrontait l’Armée populaire.
Aussi, des femmes ont-elles commencé à faire partie d’unités combattantes, mais essentiellement au niveau local, dans les milices villageoises, c’est-à-dire pas dans les unités mobiles. Les vétérans d’Indochine disaient qu’ils avaient parfois été amenés à combattre contre des femmes, farouches guerrières.
Mais surtout, ce furent des bataillons de femmes qui furent requises – de gré ou de force – pour former d’importantes colonnes de porteuses acheminant vivres et munitions vers les fronts. Dans un système totalitaire comme celui du Viêtminh, il est difficile de distinguer ce qui relève du volontariat ou ce qui est au contraire motivé par la contrainte ou par la crainte.
Toujours est-il que des milliers de femmes participèrent à l’approvisionnement du Viêtminh, et elles furent très nombreuses bien sûr comme auxiliaires dans tous les services médicaux, comme le transport des blessés.
Le retour à la vie civile de ces femmes fut difficile car dans la société traditionnelle assez pudibonde, elles furent bien souvent considérées comme des filles perdues, inévitablement souillées au contact de la soldatesque. Svetlana Aleksievitch, lauréate du Prix Nobel de littérature en 2015, rapporte cela à propos des femmes soviétiques ayant pris part à la Grande Guerre patriotique dans son essai documentaire « La Guerre n’a pas un visage de femme ».
Le même phénomène s’est produit au Vietnam.
Dans certains tracts communistes, même les vieillards et les enfants sont invités a massacrer les Français et leurs alliés, les traîtres fantoches. Dans la doctrine communiste, « tout le peuple » devait participer à la guerre mais ça, ça voulait dire tout le monde, même les enfants.
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Minh et les femmes se fascinent-ils mutuellement (il cherche à les dessiner et elles le trouvent très beau) ?
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(Rires) Il s’agit d’un procédé de comique répétitif dont j’ai abusé dans ma BD!
J’ai observé qu’au Vietnam, il n’est pas rare que quelqu’un, homme ou femme, s’approche de vous pour vous faire un compliment sur votre apparence. C’est fait sans façons et, je crois, sans arrière-pensées. Je voulais surtout indiquer que tous ces jeunes gens enrôlés dans l’Armée populaire, qu’ils soient combattants, porteurs ou terrassiers, étaient animés pas les mêmes désirs, les mêmes aspirations et les mêmes pulsions, que nous. Les cadres communistes s’efforçaient de faire régner la vertu, car l’État communiste vietnamien se voulait une virtuocratie. Tous les élans et les énergies devaient être tendus vers la recherche de la victoire. L’heure était au sacrifice et non à la légèreté.
Mais même sans l’aiguillon étatique, il régnait un climat assez boy-scout dans cette génération idéaliste, rêvant d’indépendance et aussi bien souvent d’une société plus égalitaire. Il ne faut pas juger cette période avec nos yeux d’aujourd’hui. Le flirt était la seule chose à peu près autorisée dans l’univers national-communiste vietnamien de l’époque. Il y a un cliché bien ancré en Occident qui présente les Asiatiques comme des êtres dotés d’une sensualité naturelle et débordante. C’est ignorer la pruderie régnant dans la société vietnamienne traditionnelle. C’est aussi ne pas tenir compte du puritanisme de mise dans le camp communiste.
J’avais vaguement envisagé d’introduire dans ma BD deux sujets chers aux Occidentaux, et très présents dans leurs fantasmes. Je parle bien sûr des femmes asiatiques, « félines, mystérieuses et sensuelles », et des délices de la fée brune, l’opium. J’ai dessiné une ou deux pages à ce sujet, mais je ne les ai pas retenues. Ça ne collait pas avec le personnage de Minh. Un jeune homme de son milieu ne fréquentait pas les prostituées et ne fumait pas l’opium. Encore une fois, cette génération avait un côté boy-scout, sans doute difficile à imaginer pour nous aujourd’hui. Et puis on vous mariait très jeune. Pas question de multiplier les expériences avant le mariage. La plupart des jeunes étaient mariés à 18 ans dans des unions organisées par leur famille.
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Phù Long est l’un des seuls personnages de Français. Il s’agit d’un de ces « soldats blancs de Hô Chi Minh ». Est-il un antagoniste ?
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En effet, Phù Long est l’un des seuls Français dans ma bédé.
C’est que j’ai tenu à donner aux Vietnamiens l’avant-scène de mon histoire, car ils ne sont trop souvent que de simples figurants dans la littérature et le cinéma occidentaux.
Phù Long est un communiste français rallié au Viêtminh. C’est un idéaliste. Il est emblématique de bien des Occidentaux antifascistes, qui au lendemain de la deuxième guerre mondiale vénéraient Staline et l’Union soviétique, en qui ils voyaient à la fois les grands martyrs mais aussi les grands vainqueurs du nazisme. Beaucoup d’Occidentaux ont aussi éprouvé une immense admiration et une forte empathie pour l’épopée maoïste en Chine. Bien des Européens avaient une image très lyrique et romantique des révolutions soviétique et chinoise. Hô Chi Minh leur est apparu comme un nouveau libérateur asiatique. Ils furent séduits par son allure de vieux lettré asiatique, barbichu et frêle, flottant dans son treillis ou dans son pyjama de paysan. C’était un genre qui était naturel à l’Oncle Hô, venant de la caste des lettrés ascétiques, mais je pense qu’il l’a aussi soigneusement calculé et cultivé, ce look de vieux sage charismatique.
Dans une guerre froide très politique, où s’affrontaient deux systèmes, deux univers, il s’est produit que des Occidentaux choisissent le camp des jaunes colonisés, et se retrouvent ainsi dans le camp communiste. Le livre de Jacques Doyon, « Les Soldats blancs de Hô Chi Minh » (ré-édité chez Marabout en 1990) raconte bien leur saga. Il y a un autre ouvrage plus récent que je n’ai pas lu.
J’avais suivi de près un scandale retentissant des années 90, l’affaire Boudarel. Georges Boudarel était un professeur d’histoire de l’université de Paris-Jussieu. Au début des années 90, il a fut démasqué par des anciens prisonniers de guerre français en Indochine et accusé d’être un transfuge et un traître ayant martyrisé des prisonniers français dans un camp de rééducation viêtminh.
C’est une affaire compliquée, qui mériterait à elle seule une interview complète.
Pour ce qui est du cas de Boudarel, mon avis est qu’il n’aurait jamais dû accepter de jouer un rôle dans l’univers concentrationnaire vietminh. Les militaires français lui auraient sans doute pardonné d’avoir porté les armes, car au fond il s’agissait d’une guerre hautement politique, comme le fut par exemple la guerre d’Espagne, Mais on ne lui a pas pardonné son rôle dans les camps du Viêt-minh où sévissait un taux de mortalité effroyable, supérieur à celui des camps de concentration nazis.
Mais qu’on l’accuse de traîtrise me semble un peu déplacé, toute de même, car dans ce cas on donne raison aux communistes vietnamiens qui eux taxent de traître tous les Vietnamiens non communistes qui combattirent « aux côtés » des Français et non « du côté » des Français, pour une autre idée de l’indépendance du Vietnam. C’est faire du conflit indochinois une affaire de couleur de peau, alors qu’il fut le théâtre d’un affrontement idéologique bien plus vaste de deux conceptions du monde: la Guerre froide.
Je ne sais pas si vous me suivez.
On ignore trop souvent que si, dès 1945, les élites vietnamiennes rêvaient d’indépendance, elles étaient déjà partagées quant à la coloration politique de cette indépendance. Les uns voyaient l’indépendance en rouge, tandis que les autres l’imaginaient en bleu. Contrairement à ce qu’on a trop souvent répété en choeur, « tout le peuple » n’était pas pour Hô Chi Minh. Les Vietnamiens, comme tous les peuples du monde, étaient divisés. C’est cette division qui donnera naissance à la partition du Vietnam en 1954, et qui malheureusement sera la cause de la reprise de la guerre à partir de 1959.
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Que symbolisent les cases tout en couleurs ?
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Seules les pleine-pages et les double-pages de ma bédé sont en couleur. Les autres planches du récit sont traitées en bichromie. C’est le bleu quand on est à Hanoi, chez les nationalistes épaulés par la présence française, mais dès qu’on pénètre dans l’univers viêtminh , on passe à une bichro rouge brique.
Cette bédé exigea un travail énorme qui dura plus de trois ans. Je ne me voyais pas mettre en couleur les 300 pages de ce récit. Épuisant!
Dans la vieille marine à voile, le gabier grimpant dans les mâts disait: « une main pour le bateau et une main pour toi ». C’est ce principe que j’ai appliqué. Il faut servir l’histoire de toutes ses forces, mais le but est d’arriver vivant à la fin.
Je pense que le lecteur peut très bien suivre l’histoire en noir et blanc avec une couleur d’appoint et de temps en temps il a droit à des respirations avec de belles pleine-pages entièrement en couleur.
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Avec près de 300 pages, « 40 hommes et 12 fusils » semble avoir été un exercice très prenant. Avez-vous été ému lorsque vous avez terminé le livre ?
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Ce fut un labeur considérable, mais un travail passionnant. Je l’ai entièrement réalisé sur un iPad Pro, à l’aide d’un logiciel de dessin qui s’appelle Procreate. Cet outil et ce logiciel facilitent des tas de corrections très fastidieuses lorsqu’on travaille en direct sur papier.
C’est un outil formidable qui permet de travailler le détail, car on peut agrandir à volonté l’image, mais il comporte aussi un risque, c’est celui de trop « chinoiser », de peaufiner des détails inutiles. Dans ce livre, j’ai volontairement accentué le réalisme du trait, car je trouvais que ça servait la reconstitution historique, mais j’espère que je ne suis pas tombé dans un style pompier. C’est le risque.
Alors oui, j’ai été heureux de terminer ce livre, mais je suis très curieux de voir quel accueil il va recevoir, parce que d’une certaine manière, je vais à l’encontre d’un mythe très répandu sur la saga de l’Oncle Hô. Pendant des années, c’est une vision extrêmement romantique et angélique de l’épopée de l’Oncle Hô qui a prévalu, largement encouragée par les nationaux-communistes vietnamiens et leurs relais en Occident. Avec mon livre, j’égratigne un peu le monument.
J’essaye de faire comprendre au lecteur qu’avec un mouvement politique refusant toute opposition, il y a le risque presque inévitable que cette mouvance donne naissance à un univers totalitaire très oppressif, même si cette formation politique se dit de gauche en avançant derrière des idéaux séduisants tels que le liberté, l’indépendance, le justice, l’égalité et tout ce que vous voulez.
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Le Viêtnam sera-t-il un jour en paix avec son histoire ?
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Je dirais qu’un pays arrivé à maturité doit être capable d’admettre les différentes tendances politiques et sociales qui ont contribué à son histoire. Je sais que c’est un effort pénible. En France, il y a beaucoup de gens qui s’imaginent que notre histoire a commencé en 1789, et qu’avant la Révolution française tout n’était que ténèbres. C’est puéril. C’est faux.
Aujourd’hui, le récit de l’histoire du Vietnam se limite à la version officielle autorisée par l’État national-communiste. Je pense que c’est dépassé.
Je pense aussi que le parti unique a assez duré, et que Vietnam devrait s’orienter de manière pacifique vers système pluraliste rendant possible une alternance politique paisible. Je pense que tout parti unique exerçant un monopole du pouvoir sans tolérer d’opposition est source de dangers, d’abus et d’injustices.
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