Figure imposante du quartier d’Odéon, à proximité du club des Cordeliers, Danton semble continuer d’haranguer le peuple parisien contre les ennemis de la Révolution. La statue érigée en 1891 montre l’importance accordée par celui que l’on surnomme parfois « l’Indulgent » ou « l’Aboyeur ». Cependant, alors que d’autres personnalités telles que Robespierre ou Saint-Just conservent de nos jours de solides défenseurs, Guillotiné le 16 Germinal An II (5 avril 1794), Georges-Jacques Danton semble avoir eu son image ternie au fil des siècles.

Il reste pourtant, de par son charisme et ses actions, l’un des acteurs majeurs de la Révolution française.

Après Camille Desmoulins- le Vert de la Révolution, nous échangeons avec Hervé Leuwers, Professeur des universités, à propos de Danton.

.
.
.
.
Par son visage imposant (figure « repoussante et atroce » selon Madame Roland), par son mariage avec la fille d’un riche limonadier, Georges Danton a-t-il été dès sa venue à Paris un personnage qui marque les esprits ?

.
.
.
.

Sur le physique de Danton, qui ne laisse pas indifférent, les témoignages ne manquent pas ; outre Mme Roland, on pourrait citer Elisabeth Duplay, future épouse du conventionnel Le Bas, qui écrit dans ses mémoires : « grand Dieu ! qu’il était laid ! »

Mais le caractère de l’homme, sa voix, son art de l’improvisation et de la formule frappent tout autant que sa grande taille et sa laideur. On a peu de témoignages sur lui avant la Révolution ; ce qu’on peut dire, c’est que dès 1789 il se fait remarquer par sa stature, son énergie, mais également par ses principes démocratiques.

.
.
.
.

Qui était Danton l’avocat ?

.
.
.
.

Plus de la moitié des députés qui ont siégé à la Convention nationale, entre 1792 et 1795, exerçaient une fonction juridique ou judiciaire au moment de l’entrée en Révolution ; c’est le cas de Danton qui, par sa famille, sa formation et sa profession appartenait au monde de la robe. Fils d’un procureur, chargé d’accompagner les plaideurs dans leurs procédures, il a suivi des études de droit à Paris et Reims, puis a prêté le serment d’avocat.

Il n’exerce cependant que peu de temps. En 1787, quelques mois à peine avant son mariage, il achète une charge d’avocat aux Conseils du roi. A partir de là, il n’est plus un avocat ordinaire. A la différence de ses confrères, il est titulaire d’un office vénal, évalué à près de 80 000 livres – une somme colossale –, qu’il finance par divers emprunts. Il compte désormais parmi les quelque soixante-dix avocats aux Conseils, seuls autorisés à défendre les causes portées devant le Conseil du roi.

C’est une fonction prestigieuse, que maître d’Anton – comme il signe alors – exerce jusqu’en 1790 au moins ; c’est aussi une école de l’argumentation, un apprentissage du débat en quelque sorte, qui contribue à faire de Danton l’acteur politique qu’on connaît.

.
.
.
.

Est-il déjà un orateur doué ou est-ce la Révolution qui sculpte un véritable meneur d’hommes ?

.
.
.
.

De l’avocat aux Conseils, les archives conservent avant tout ses requêtes écrites ; nul doute, cependant, que ses talents oratoires existaient dès avant la Révolution.

Mais c’est à partir de 1789 que ses prises de parole sont remarquées, particulièrement dans l’assemblée de son quartier, le district des Cordeliers, qu’il préside pendant de longs mois. Dans son journal, Les Révolutions de France et de Brabant, Camille Desmoulins évoque au printemps 1791 « l’éloquence tribunicienne » de son ami. Dès le XIXe, sa verve populaire le fait parfois qualifier de « Mirabeau du ruisseau ».

De fait, Danton s’impose autant par ses principes, son énergie et son caractère, que par son talent oratoire. Certains de ses contemporains lui reconnaissent une extraordinaire force d’entraînement ; dans ses mémoires inachevés, le conventionnel Baudot raconte : « Louis XVIII disait en parlant de Danton : ‘Ce colosse qui a lui seul eût pu faire une révolution !’ Que serait-ce donc si vous l’aviez vu », ajoute le mémorialiste !

.
.
.
.

.
.
.
.

Ministre de la justice suite à la journée du 10 août 1792, Danton incarne la résistance face aux menaces contre la Révolution. Est-il celui qui manifeste le plus de courage ?

.
.
.
.

Danton n’a pas été étranger à l’insurrection du 10 août 1792 qui, après la prise des Tuileries, a conduit à la « suspension provisoire » de Louis XVI. Il a contribué a sa préparation, et a pris les armes dans la nuit.

Au lendemain de l’émeute, lorsque l’Assemblée législative désigne un conseil exécutif provisoire de six ministres, elle confie la Justice à Danton. « Mon ami Danton est devenu ministre de la Justice par la grâce du canon », écrit Camille Desmoulins à son père. Le ministre reste en poste quelques semaines seulement et, dès la fin septembre, renonce à son ministère pour siéger comme député de Paris à la Convention.

Entre temps, Danton ne s’est pas contenté de rallier les juges du pays au 10 août ; il s’est également fait le porte-parole des défenseurs de la patrie, appelant au sursaut face aux ennemis prussiens et autrichiens. De cette période, l’on retient son intervention devant l’Assemblée, le 2 septembre : « Le tocsin qu’on va sonner n’est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée. »

Au début de la Troisième république, au moment du premier centenaire de la Révolution française, cette image du défenseur de la patrie va être mise en avant par les républicains. Ainsi, l’une des faces du socle du monument parisien à Danton, installé place Henri Mondor (1891), reproduit son appel à « l’audace ».

.
.
.
.

Quelle est la part de Danton dans les massacres de septembre 1792 ?

.
.
.
.

La question a suscité de longs débats… Entre le 2 et le 6 septembre, la peur d’une possible arrivée des Prussiens pousse des Parisiens à improviser le jugement sommaire des prisonniers de la capitale ; d’après les calculs de l’historien Pierre Caron, de 1 100 à 1 400 personnes y perdent la vie, dont trois quarts de prisonniers de droit commun.

L’une des observatrices de ces terribles événements, Mme Roland, l’épouse du ministre de l’Intérieur, attribue dès le 5 septembre leur responsabilité à trois hommes : « Nous sommes sous le couteau de Robespierre et de Marat ; […] Danton est, sous-main, le chef de cette horde. » Aucun d’eux, cependant, n’a provoqué le massacre… Concernant Danton, il est probable qu’il ait choisi de ne pas intervenir, de laisser faire ; l’on peut se demander, d’ailleurs, s’il a immédiatement pris la mesure de l’événement.

.
.
.
.

Quel est son rôle en Belgique ? Danton laisse-t-il une bonne image aux Belges ?

.
.
.
.

Pour veiller à l’application de ses décrets, mais également surveiller les chefs militaires, la Convention a pris l’habitude d’envoyer des commissaires aux armées et dans les départements ; à partir du printemps 1793, le phénomène se généralise, et des dizaines de représentants du peuple vont être envoyés en mission.

Danton est en Belgique entre décembre 1792 et mars 1793 ; il exerce sa mission aux côtés d’autres députés, comme Merlin de Douai, Camus ou Delacroix. A l’époque, la Belgique est occupée par les armées françaises de Dumouriez, et la Convention entreprend de la « réunir » à la république. Danton y signe de très nombreux arrêtés, dont beaucoup laissent un souvenir amer aux populations locales. Il ne peut, de plus, éviter la perte de ces territoires après la défaite de Neerwinden (18 mars 1793).

Sa mission a été jugée sévèrement par certains de ses contemporains. A son retour, il est attaqué pour sa proximité avec le général Dumouriez, qui a trahi au début d’avril ; plus tard, en 1795, l’un de ses collègues, Merlin de Douai, lui reproche de ne pas en avoir assez fait pour rallier les Belges à la France.

.
.
.
.

« Je t’aime plus que jamais et jusqu’à la mort. » [Suite à la mort d’Antoinette Danton en 1793] – Quelle est la relation entre Danton et Robespierre tout au long de la Révolution ?

.
.
.
.

La seule lettre de Robespierre à Danton conservée a été écrite en février 1793, à l’occasion de la mort de la femme du tribun. Robespierre y emploie des mots de réconfort et d’amitié : « Dans ce moment je suis toi-même. Ne ferme point ton cœur aux accents de l’amitié qui ressent toute ta peine ».

Ces mots rappellent la proximité entre les deux hommes. Certes, ils n’ont jamais été des amis proches ; à la différence de Desmoulins, Robespierre ne fréquente guère l’appartement des Danton. Robespierre et Danton, cependant, se respectent et mènent longtemps des combats communs : au printemps 1791, ils dénoncent tous deux La Fayette ; à l’automne 1793, ils s’en prennent aux mesures contre l’Eglise, qu’ils jugent exagérées. Au besoin, ils se soutiennent l’un l’autre. En mai 1792, Danton a vigoureusement défendu Robespierre aux Jacobins, en s’indignant des calomnies lancées contre celui qui s’était opposé à la guerre ; en avril de l’année suivante, toujours aux Jacobins, c’est à Robespierre de défendre Danton, mis en cause pour sa mission en Belgique.

.
.
.
.

.
.
.
.

Malgré l’installation du Comité de salut public en 1793, Danton souhaite la fin des tensions avec les Girondins. Au fur et à mesure de la Révolution, il passe même pour un « indulgent ». Peut-on tout de même qualifier Danton de modéré ?

.
.
.
.

Il est difficile de qualifier Danton de modéré. En bien des occasions, ses paroles sont fortes : après la prise des Tuileries (août 1792), lors de la création du Tribunal criminel extraordinaire (le Tribunal révolutionnaire – mars 1793)… Pour autant, il est vrai que Robespierre, notamment, lui reprochera une trop longue fidélité à Dumouriez, et beaucoup d’hésitations avant de condamner les Brissotins.

C’est pendant l’hiver 1793-1794 que la fracture majeure intervient entre Danton et le Comité de salut public, notamment à partir du moment où Desmoulins, dans son Vieux cordelier, dénonce les moyens « despotiques » employés par le gouvernement. Au sein du comité, les plus fermes adversaires de Danton ont été Billaud-Varenne et Collot d’Herbois ; la première fois que Billaud a proposé l’arrestation de Danton, Robespierre s’y est opposé, en accusant son collègue de vouloir « perdre les meilleurs patriotes ».

Dans les semaines suivantes, Robespierre accepte cependant la mise en accusation de Danton, et contribue à la rédaction du discours accusateur de Saint-Just contre les « indulgents ». Le 30 mars 1794, Robespierre est l’un des dix-huit membres des comités de Salut public et de Sûreté générale à signer l’ordre d’arrestation des députés Danton, Desmoulins, Delacroix et Philippeaux.

.
.
.
.

« Moi vendu ! Moi ! Un homme de ma trempe est impayable ! »- Arrêté avec ses proches lors de la « liquidation des factions », Danton est exécuté le 5 avril 1794. Les preuves de corruption de Danton sont-elles avérées ?

.
.
.
.

Les principaux reproches adressés à Danton par le Tribunal révolutionnaire, au printemps 1794, concernent ses amitiés politiques, jugées suspectes, et la sincérité de son républicanisme. Il aurait été trop proche de Barnave sous la Constituante, de Philippe-Egalité (le cousin de Louis XVI) et de Dumouriez sous la Convention, etc. Il ne serait, finalement, qu’un traître à la cause révolutionnaire.

La prétendue corruption de Danton n’est pas centrale dans cette accusation. Elle va prendre de l’ampleur bien plus tard, principalement sous la plume de l’historien Albert Mathiez qui, au début du XXe siècle, accuse Danton d’avoir été vendu au duc d’Orléans, le futur Philippe Egalité, puis de s’être enrichi à l’occasion de sa mission en Belgique… Sans prétendre trancher, il faut pourtant remarquer que les preuves avancées par Mathiez paraissent minces et douteuses.

.
.
.
.

Danton sera-t-il vraiment réhabilité au fil des siècles ?

.
.
.
.

Dès les années 1790, les principaux acteurs de la Révolution suscitent l’adhésion chez les uns, le rejet chez d’autres ; c’est vrai de Danton, comme de Mirabeau, Robespierre, La Fayette, etc. Aucun ne suscite l’unanimité.

Concernant Danton, c’est au début de la IIIème République que sa popularité atteint son apogée, aussi bien chez les historiens (Aulard, Robinet) que chez les responsables politiques. Les statues de Danton élevées dans l’espace public datent de cette époque, à Arcis-sur-Aube (1888), sa commune d’origine, ou à Paris (1891) et à Tarbes (1903).

Depuis, Danton a perdu de sa notoriété ; il demeure cependant l’un des personnages les plus connus de la Révolution, suscite toujours l’intérêt du public et des historiens, continue à diviser aussi.

.
.
.
.

PARTAGER