Plus ancienne affiche théâtrale de Paris, « La Passion à Ménilmontant » est à elle seule une grande histoire. En 1932, un spectacle sur les dernières heures du Christ est proposé au Théâtre de Ménilmontant. « Voici l’homme » – Croyant ou non, le spectateur a toujours eu la liberté de lecture face à ce Jésus de Nazareth.

Chaque année, même pendant la Seconde Guerre mondiale, la pièce est jouée par des amateurs désireux de montrer une nouvelle représentation de la Passion. Il y a en aura en tout plus de 750. Le spectacle va jusqu’à attirer l’attention des papes. Monseigneur Roncalli (futur Jean XXIII) est même venu voir incognito la pièce en 1946.

La fermeture du Théâtre de Ménilmontant et la pandémie du Covid auront raison du spectacle pendant plusieurs années. 2022, 90 ans après la première représentation, « La Passion à Ménilmontant » (devenue « de ») fait son retour. Du 26 mars au 10 avril, elle sera jouée dans la Crypte de Saint-François d’Assise dans le 19ème arrondissement de Paris (16 rue du général Brunet).

Entretien avec les metteurs en scène Hervé Blanchard et Hugues Bacigalupo afin de mieux connaître cette vieille initiative spirituelle et culturelle venue du quartier de Ménilmontant.

 

 

Au-delà de la tradition de Ménilmontant depuis 90 ans, pourquoi à nouveau revisiter l’épisode de la Passion du Christ ?

 

 

Hugues Bacigalupo : Il y a toujours eu l’intention de proposer un spectacle ouvert à tous avec une équipe de volontaires qui se renouvelle en permanence. Des nouveaux arrivent et des anciens reviennent. Même si certains acteurs professionnels ont pu participer à <<La Passion », ils étaient sur scène en tant qu’amateurs. D’autres n’étaient pas des professionnels et avec la pièce de théâtre ont décidé de le devenir.

 

 

Pour les 90 ans, vous souhaitez un retour aux sources ou la Passion de Ménilmontant doit sans cesse se renouveler ?

 

 

Hervé Blanchard : La vision de 1932 et celle d’aujourd’hui sont différentes. Le public, lui-même, cherche aussi des changements. Certains spectateurs sont chrétiens. Ils veulentcaiphe donc voir une œuvre sur scène proche des Ecritures. Mais, d’autres spectateurs ne sont pas chrétiens et donc viennent pour voir un simple spectacle. Ceux-là apprennent beaucoup. Peu de personnes savent que l’expression « Rendre à César ce qui est César » est biblique. En aucun cas, « La Passion » ne doit être un entre-soi catholique.

 

Hugues Bacigalupo : Beaucoup viennent pour découvrir. En ce qui me concerne, je suis athée mais toute ma vie j’ai participé au spectacle de « La Passion ». A l’âge de 5 ans, je jouais déjà sur scène. Au fil du temps, j’ai incarné de nombreux rôles : Un enfant du marché, Saint Jean, Saint Thomas, le jeune homme riche (Helcias), un garde juif, un garde romain, Barrabas, et plusieurs Apôtres… J’ai également fait la régie son et lumière du spectacle,.. Je joue cette année Joachim du Grand Sanhédrin.

Malgré toutes les représentations auxquelles j’ai pu participer, je reste athée.

 

 

« La Passion à/de Ménilmontant » est une tradition familiale.

 

 

Hugues Bacigalupo : De nombreuses familles comme les Giron, les Larmet, les Braun ou les Richardet… ont en effet joué depuis des décennies dans cette pièce.

 

Hervé Blanchard : « La Passion » a été longtemps ancrée dans une vie de quartier, celle de Ménilmontant. Le monde d’aujourd’hui permet une proximité plus large.

 

Hugues Bacigalupo : C’est le patronage qui a fait vivre cette expérience théâtrale à Ménilmontant. Mon grand-père a été le premier de ma famille à avoir joué dans la pièce. Il était membre de l’orchestre Zéphir qui accompagnait en musique les spectacles du Théâtre de Ménilmontant dans les années 60. Il a progressivement fini par jouer le Christ. Les membres de ma famille ont ensuite joué à leur tour dans « La Passion ». Mon jeune fils, Léo, perpétue la tradition.

En participant au spectacle, certains ont eu leur vie bouleversée. Un volontaire a joué Jésus et a fini par devenir prêtre. L’écrivain Jean Teulé était venu en tant que spectateur. Il a tellement aimé « La Passion » qu’il s’est porté volontaire pour jouer avec nous. René Aubry a également joué dans le spectacle.

 

 

jésus 

 

 

En tant que metteurs en scène de « La Passion de Ménilmontant », le poids n’est pas trop lourd ?

 

 

Hervé Blanchard : Nous nous sentons comme des passeurs. Nous avons une responsabilité vis-à-vis de ceux qui nous ont précédé et vis-à-vis de ceux qui vont nous succéder. Il n’y a aucune individualité avec « La Passion ». J’avais l’habitude de voir le spectacle car un de mes cousins y jouait. J’ai ensuite discuté avec le metteur en scène de l’époque. A présent, je participe au spectacle depuis plus de 20 ans. 

 

 

Comment dirige-t-on des amateurs pour une pièce aussi importante ?

 

 

Hervé Blanchard : Nous leur laissons prendre du plaisir à jouer dans cette pièce. Nous faisons peu de répétitions. Certains ont eu une expérience théâtrale, d’autres non.pilate Des volontaires acceptent de jouer dans la pièce et ne veulent pas parler sur scène. Nous avons même certaines personnes en réserve. S’il y a des manques dans la distribution, certains peuvent venir en renfort.

 

Hugues Bacigalupo : Nous avons même connu un épisode malheureux. En 2004, entre deux représentations, Stéphane Braun, mon cousin, directeur du théâtre de Ménilmontant et interprète de Jésus, a été mortellement blessé dans un accident de la circulation. C’était le jour de ses 33 ans. Pourtant, 3 jours plus tard, la pièce a été jouée.

« La Passion » est une vraie aventure humaine. Certains nous aident seulement pour l’accueil des spectateurs. Au fil du temps, les volontaires ont été de moins en moins nombreux. Enfant, je me souviens avoir participé à des spectacles où il y avait 70 personnes sur les planches.

 

 

Annulée notamment à cause des conditions sanitaires, la pièce de théâtre est-elle une résurrection en 2022 ?

 

 

Hugues Bacigalupo : En 2020, nous étions persuadés que nous allions tout de même jouer la pièce. Puis, le 17 mars, le premier confinement a été décrété. Tout était prêt pour la première mais nous avons dû tout annuler. Ce fut une réelle frustration.

Qu’importe les difficultés, l’histoire de « La Passion de Ménilmontant » doit perdurer.

 

Hervé Blanchard : La tradition faisait que nous avions la chance d’accueillir chaque année de nouveaux volontaires. Depuis la pandémie, les choses sont de plus en plus difficiles.

 

 

Quelle est la place de la musique (composée par René Aubry) ?

 

 

Hugues Bacigalupo : Il connaissait très bien Didier Braun, frère de Stéphane et nouveau directeur du théâtre. René Aubry a composé des morceaux exclusifs pour « La Passion ». Vous ne pouvez les entendre ailleurs que durant les représentations de la pièce. Cette année, nous avons inclus une danse. Une composition de René Aubry a alors été intégrée.

 

 marie madeleine

 

 

L’actrice Catherine Heigel succède à Michael Lonsdale pour la narration de la pièce. Une voix féminine c’est une nouvelle force ?

 

 

Hervé Blanchard : C’était une vraie volonté de trouver une comédienne. Elle succède à des voix masculines : celle de Michael Lonsdale, de Laurent Terzieff et de Michel Etcheverry.

 

Hugues Bacigalupo : Dans « La Passion d’Amiens », Jésus n’est même pas présent sur scène. Le spectacle fait comprendre au spectateur qu’il est en fait assis à côté de lui.

 

 

Quelle est l’identité du Christ dans La Passion de Ménilmontant version 2022 ? « Et pour vous, qui est -il » ?

 

 

Hervé Blanchard : Cette ouverture que l’on offre aux spectateurs est une caractéristique de « La Passion ». Nous n’imposons rien au public. Chacun vient voir la pièce de théâtre pour une raison unique. Le spectateur doit en sortir avec sa propre clé.

 

 

Jouer dans une crypte à défaut du Théâtre de Ménilmontant à présent fermé c’est une façon de revenir au véritable théâtre amateur ?

 

 

Hugues Bacigalupo : Nous avons la chance d’être accueillis dans la Crypte de Saint François d’Assise.

 

Hervé Blanchard : Chaque année, nous avons la chance d’avoir une partie du public qui est très fidèle. Certaines personnes se déplacent depuis Marseille ou depuis Verdun. Une telle motivation de la part du public nous rend fiers.

 

 

la pieta

 

Pour en savoir plus :

 

La Page Facebook de La Passion de Ménilmontant : https://www.facebook.com/LaPassiondeMenilmontant

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