La taille imposante, la barbe fournie et les cheveux anarchistes – Gustave ꝂVern a une présence physique. Un vrai personnage.

Scénariste de l’émission culte Groland, acteur, réalisateur, ce Mauricien d’origine est un artiste aux multiples talents. Avec son compère de toujours, Benoît Délépine, Gus a su bouleverser la télévision et bousculer le monde du cinéma. « Aaltra », « Louise-Michel », « Mammuth », « Le Grand Soir », « En Même temps »,… Tous ces films ont une empreinte unique – La volonté d’éclairer, dans ce monde impitoyable, les petits (ces Don Quichotte) – ceux et celles qui ne renoncent pas. Banzaï!

Entretien avec Gustave ꝂVern.

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Un arrière-grand-père avec un nom de famille où la graphie de ce nom prend un Ꝃ) est -ce déjà un signe pour être « à part » ?

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Je tiens beaucoup à cette barre de fraction issue du vieux breton car elle fait partie de mon nom. Cependant, cela m’a donné pas mal de soucis administratifs puisqu’elle n’est pas dans la norme graphique. Mon nom était mal orthographié, et ainsi d’une certaine façon pas reconnu. Pendant deux ans, je n’ai pas pu avoir de permis de conduire. Heureusement, j’avais un ami dans la police qui m’a permis de régler la situation.

Même sur mon passeport, mon nom est orthographié K/vern car la barre de fraction ne peut être écrite. C’est un nid à emmerdes mais je tiens tout de même à l’orthographe de mon nom. C’est celui de ma famille, de mes racines.   

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Patrick Sabatier a-t-il été un élément déclencheur ? un antagoniste parfait ?

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Jeune, j’avais travaillé à la télévision en tant qu’intermittent du spectacle notamment pour l’émission Avis de Recherche. Lorsque Sabatier arrivait dans les bureaux, il ne disait jamais bonjour. Pourtant à l’antenne, il voulait se donner une image de brave type sympa. Des années plus tard, j’ai eu l’idée pour Groland du sketch « Amour » avec Patrick Fédard. Un type insupportable dans la rue mais devant l’écran, un animateur débonnaire.

J’ai été viré subitement le même jour qu’un collègue breton. En même temps, nous avions l’impression de sortir de prison… Mais quand vous travaillez dans ce domaine, vous ne savez jamais vraiment quel est votre avenir. Cela m’avait beaucoup stressé. En tant qu’intermittent du spectacle, j’aurais très bien pu mal finir. Finalement, j’ai eu une chance incroyable de par mes rencontres.

Pour me « venger », j’ai eu l’idée de réaliser une caméra cachée où je venais récupérer les cadeaux de ceux qui avaient participé aux émissions. Sabatier était alors sur la pente descendante. Benoît Délépine a adoré l’idée et m’a proposé de travailler avec lui à Canal +.

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Quand est venu le moment de jouer Gustave de Kervern chez Groland ? (Super soupe au lait, écriture de chansons glou glou oh oui oh oui)

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C’est l’instinct de survie de l’intermittent du spectacle. J’avais fait auparavant les émissions d’Yvan Le Bolloc’h et Bruno Solo, le Top 50 et le Plein de super. J’ai alors dit mon envie de faire des reportages dans les festivals de musique dans toute la France. Malgré ma timidité, je voulais passer à l’écran pour devenir « plus indispensable ».

J’ai ensuite écrit des sketches de Groland. Benoît Délépine et Jules-Edouard Moustic, cherchant de nouveaux personnages à mettre à l’écran, m’ont proposé de jouer le reporter. Passant mon temps à aller dans les bars, j’ai alors proposé ce type à la recherche de personnes hallucinantes mais qui finalement ne le sont pas. Dans mon premier sketch grolandais, j’avais trouvé le type qui pissait le plus loin. La blague a plu et donc j’ai continué de jouer tout en écrivant d’autres gags. J’ai eu à nouveau de la chance.

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En 2003, vous coréalisez le film « Aaltra ». Pourquoi avoir décidé l’aventure à deux ?

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Au départ, nous voulions juste trouver une raison pour aller boire des coups avec le réalisateur finlandais Aki Kaurismaki. Benoît a eu l’idée d’un road movie en chaise roulante. Nous avons alors décidé de réaliser un film ensemble. Un ami belge, Vincent Tavier, qui avait co-écrit « C’est arrivé près de chez vous » (1992), a accepté de nous accompagner dans une camionnette. Le budget était ridicule. « Aaltra » a été pensé comme un simple geste artistique. Nous n’avions même pas de distributeur.

Nous savions que notre budget pour réaliser était limité et pas l’envie vraiment d’enchaîner les champs-contre champs lors des dialogues. Nous avons alors préféré de longs plans séquences – ce qui donnait d’ailleurs un certain rythme. Avec Benoît, c’est devenu notre signature. Les acteurs apprécient cette façon de travailler. Cela donne aussi de l’importance au scénario et aux textes. C’est à la fois génial et risqué.

Benoît et moi avons finalement adoré l’expérience « Aaltra ». Cela nous a même donné envie de réaliser un autre film.

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Que fait Benoît ? Que fait Gus ?

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L’idée est de se mettre dans un cadre. Nous voulons réaliser des films originaux tout en mettant de côté l’aspect maniéré et esthétique. Finalement, nous dirigeons peu les acteurs. On leur dit juste ce qui ne va pas. Comme nous travaillons souvent avec de grands acteurs, il n’y a pas trop à dire. On leur donne une grande liberté d’expression.

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 Y’a-t-il une part d’improvisation dans vos films ?

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De moins en moins. Avec « Aaltra » et « Avida » (2006), l’improvisation était totale. Dès que nous avons pu avoir des acteurs professionnels tels que Yolande Moreau, la contrainte était de transmettre un scénario complet de 100 pages. « Louise – Michel » (2008) a été le premier film organisé de cette façon. Avec Benoît, nous avons pris l’habitude d’écrire tous les dialogues. Certes, nous avons perdu en spontanéité, mais ils nous arrivent encore d’accepter la moindre bonne idée. Malgré le peu de temps que nous avons pour tourner, nous avons apprécié les propositions de Blanche Gardin pour « Effacer l’Historique » (2020). Elle a un tel génie comique.

La première version du scénario est de toute façon trop dialoguée donc au fil du tournage, on réduit le texte. Parfois, la scène devient totalement silencieuse. Il faut trouver la bonne mélodie pour le film. Il y a des moments bien rythmés puis il faut se calmer.

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Pourquoi tourner pratiquement tout le temps en août ?

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Car le reste de l’année nous écrivons et tournons les sketches de Groland. L’été est aussi un moment suspendu où une grande partie de la population fuit les villes et les zones commerciales. Lorsque nous tournions « Aaltra » à Bruxelles au mois d’août, nous ne croisions que ceux et celles qui n’avaient pas les moyens de partir en vacances.

« En même temps » (2022) a été exceptionnellement tourné en décembre car nous avions besoin de tourner des scènes de nuit. En hiver c’est plus facile.  

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Ce fut une épreuve de tourner lors du Salon de l’Agriculture pour le film « Saint Amour » (2016) ?

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Ce fut en effet très difficile. Nous avions deux caméras qui filmaient en permanence. Nous avons même pensé abandonner le tournage après le Salon de l’Agriculture. On ne prenait pas de plaisir à réaliser le film. « Saint-Amour » nous a un peu échappé. Ensemble, Benoît Poelvoorde et Gérard Depardieu étaient très difficiles à contrôler. Nous avions envisagé d’ajouter Michel Houellebecq mais cela aurait été impossible. Vincent Lacoste a amené une note de fraîcheur dans le trio. Nous avons toujours cherché les moutons à 5 pattes. De plus, le sujet de « Saint-Amour » était le vin. Forcément, le tournage ne pouvait qu’être difficile à contrôler.

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Le moteur sera toujours l’esprit Don Quichotte (le combat des petits contre les grands). Y’aura-t-il un jour une véritable adaptation du livre de Cervantès ?

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Nous craignons d’abord la malédiction Don Quichotte. Terry Gilliam en a connu les frais. De plus, je n’ai jamais lu le roman de Cervantès. Avec Benoît, nous préférons les histoires originales. De plus, les films d’époque coûtent trop chers et trop compliqués à monter.

Albert Serra a tout de même réalisé un superbe « Don Quichotte » contemporain, « Honor de Cavalleria » (2006). Il n’y a que deux personnages.

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Illustration par les frères Brizzi

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Catherine Deneuve, Brigitte Fontaine, MissMing, Benoît Poolvoerde, Gaspar Noé… témoignent de leurs liens avec toi dans « Impertinents ». Les rencontres c’est le ciment de la vie ?

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C’est la raison pourquoi avec Benoît nous ne faisons que des road movies. Cela correspond à notre idée de la vie : Aller à la rencontre des gens et découvrir de nouveaux lieux. Je puise mon inspiration ainsi. Partout, il y a de la folie dans la nature humaine. Les lieux ont beaucoup d’importance dans nos films. A chaque fois, nous sommes à la recherche de lieux à la fois inconnus, beaux, avec une identité. Avec Benoît, lorsque nous sommes invités dans les festivals de cinéma, nous adorons visiter les musées locaux ou les zoos car nous avons un grand amour pour les animaux.

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Le fait d’être réalisateur vous donne un regard plus compréhensif quand tu es acteur ?

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Oui. J’apprécie quand un réalisateur me félicite ou me donne un conseil pour une scène. A présent, lorsque je réalise à mon tour, je n’oublie pas cette attention auprès de celles et de ceux que nous dirigeons. Je pense que les acteurs sont fragiles . Ils sont souvent dans le doute.

Je suis devenu acteur à nouveau par instinct de survie. Je craignais que Groland s’arrête subitement. Il fallait donc continuer de travailler.  Heureusement, Groland vit toujours. Au début, avec le stress et la timidité, ce n’était pas un exercice facile.

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Vous jouez plus dans tes films que Benoît Délépine. C’est un plaisir de jouer ?

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Dans nos films, je suis souvent le remplaçant sur le banc de touche. Quand un acteur non-professionnel joue mal, je suis prêt à prendre sa place. Pour « Saint-Amour », ce fut particulier. Benoît [Poelvoorde] était totalement ivre à force de goûter tous les vins des stands. Pour les scènes de beuverie, j’étais donc devant la caméra pour le tenir. Il paraît même qu’on me voit à l’écran lui souffler le texte.

Parfois, je travaille vraiment un rôle comme celui du boucher dans « Mammuth » (2010). Benoît [Délépine], quant à lui, ne se trouve pas bon acteur donc il n’est pas devant l’écran. Je pense qu’il a tort. Moi, je le trouve bon. 

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Quels sont vos projets ?

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Je viens de réaliser seul un téléfilm pour Arte. L’exercice ne fut pas une épreuve mais il me manquait tout de même la complicité avec Benoît (25 ans d’amitié). Lorsque vous prenez la décision de réaliser un film à 2, il est capital de bien s’entendre et ne pas hésiter à faire des concessions rapidement.  

Nous préparons actuellement un film à nouveau ensemble. Nous espérons le tourner en 2024 avec Catherine Deneuve et Bastien Bouillon. Le sujet sera autour du cirque Romanès. Avec Benoît, nous adorons travailler donc on ne s’arrête pas.

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Photo de couverture : ©Brieuc CUDENNEC

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