Suite aux attentats de janvier 2015, une nouvelle fois l’horreur s’abat sur Paris durant la nuit du 13 novembre de la même année. Après l’attaque manquée au Stade de France, des terroristes abattent de sang-froid ceux qu’ils croisent dans les rues et cafés de la capitale alors que d’autres assaillants prennent en otage le public du Bataclan. La mort est partout. L’attaque du Bataclan va durer pendant des heures. 90 personnes vont perdre la vie et des centaines en sortiront physiquement et psychologiquement meurtris. Plus de 7 ans après les faits, chacun d’entre nous se souvient encore de cette nuit d’effroi. Le 13 novembre 2015 est une date clé de notre histoire.

Dans le but de publier un livre-témoignage, le photographe Olivier Roller a rencontré 21 survivants du Bataclan- tous membres de l’association Life For Paris.

Tous ont désiré se faire tatouer après cette nuit d’horreur. Tous ces dessins sur la peau ont une histoire à raconter. « Bataclan, Mémoires – Photographies, récits, tatouages » est un livre d’une originalité rare car ils nous entraînent dans une intimité certaine – celle qui a côtoyé la mort de près mais qui a choisi de vivre – au plus près de la peau.

Entretien avec Olivier Roller.

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Comment est né le projet ?

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Le 13 novembre 2015, je réalise mon premier jour de workshop à Strasbourg au profit d’une association. J’apprends les événements par la télévision et mon épouse me téléphone. Nous étions inquiets car nos enfants étaient restés seuls à Paris – ma fille devait en plus dormir chez une copine rue de Charonne à proximité des attentats. Les terroristes sont d’ailleurs passés en bas de notre appartement.

Je suis par conséquent resté éveillé toute la nuit. Puis, je rentre à Paris et je découvre une ville sonnée. Le calme était exceptionnel. Des cordons de police barraient le chemin de la zone du Bataclan. J’apprends plus tard que des voisins belges assez discrets mais très sympathiques ne sont jamais revenus dans leur appartement. Ils ont été assassinés en mangeant une pizza dans un restaurant.

Le 13 novembre 2015 a par conséquent été une date importante pour moi. Et dès le début, j’ai souhaité réaliser un projet autour de cet événement. 5 ans plus tard, alors que je discute avec quelqu’un qui vient dans mon studio pour être pris en photo, je remarque que la personne, il s’appelle Christophe, a un tatouage. Je l’interroge pour en savoir plus. Christophe me raconte alors qu’il a survécu à l’attaque du Bataclan et avec d’autres, il a voulu se faire tatouer. Cette réponse me percute littéralement et par instinct, je lui demande d’être mis en contact avec des survivants qui se sont faits tatouer après l’attentat. Cela a pris du temps mais le doyen des tatoués a été convaincu par ma démarche. A partir de là, ils m’ont suivi jusqu’au bout.

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La couverture est sobre – Sans photo. Le livre est-il avant un témoignage brut ?

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Dès le départ, l’objet-livre devait être le reflet du sujet. Le tatouage est lié à la peau. Par conséquent, il fallait une couverture bloc. Le texte est tout aussi important que les photos. Je voulais que le lecteur comprenne que les personnes photographiées respirent. Le papier devait être doux comme une peau et imprégné d’encre bleu au même titre qu’un tatouage.

J’adore les livres mais je trouvais qu’il manquait un bel ouvrage sur l’attentat du Bataclan. Je voulais une œuvre qui puisse être consultée, reconsultée et rangée dans une bibliothèque. La tranche comporte d’ailleurs suffisamment d’informations et permet de retrouver aisément le livre.

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Pour quelles raisons le projet est devenu également une installation sonore ?

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J’ai expliqué aux personnes photographiées que je souhaitais réaliser une exposition de mon travail avec une installation sonore. La confiance devait se faire dès le début. L’installation sonore était une idée – pas un projet structuré. Durant les premiers témoignages, j’enregistrais  afin de retranscrire au mieux par écrit. Puis j’ai réalisé qu’avec l’ampleur du projet, il fallait le meilleur son possible.

J’aimerais plonger le public dans l’obscurité et l’allonger sur le sol. La voix d’un survivant serait alors entendue. Les seules images aperçues seraient des fragments de peaux avec ou sans tatouage. La tragédie du Bataclan fait partie de la mémoire collective. Tous nous savons ce que nous faisions au moment où nous avons appris que quelque chose se passait dans les rues de Paris et au Bataclan. Il est selon moi nécessaire de tout conserver.

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Le premier à être photographié c’est Jean-Claude. Il était âgé de plus de 60 ans au moment de l’attaque. Est-il une personne importante pour les autres survivants ?

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Il était le plus solide et le plus suspicieux des médias. Il est arrivé dans mon studio et a refusé d’enlever ses lunettes de soleil car cela fait partie de son identité. Par défi, je retire l’éclairage de son visage. Puis peu à peu, la situation se calme et tout se passe très bien. J’ai privilégié le tatouage plutôt que le visage.

Après la séance avec Jean-Claude, tous les autres ont eu davantage confiance.

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Sont-ils des modèles à part ?

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Ils étaient en effet des personnes différentes de celles que je photographie d’habitude. J’ai dû m’adapter à leurs personnalités. Je me suis vraiment mis à leur service et j’ai vraiment adapté mon attitude dans mon geste photographique pour révéler leur tatouage.

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Certains racontent pour la première fois leur nuit du 13 novembre 2013. L’accumulation des témoignages a-t-elle parfois été trop pesante ?

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J’ai vécu l’expérience avec beaucoup d’énergie. Ce fut pour moi un véritable cadeau. Avec toutes et tous, nous avons éclaté de rire et pleuré. Avec tous les témoignages que j’ai pu avoir dans ma carrière de photographe, je crains moins la mort. Il faut savoir déjouer nos craintes avec la parole et les relations humaines. 

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Les verbatims sont-ils une façon d’être le plus fidèle aux survivants ?

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Les verbatims permettent d’aérer le texte. Je voulais que le livre soit une oralité plutôt qu’une écriture. Certains sont manutentionnaires dans un aéroport, d’autres sont professeurs d’université ou avocats. J’ai dû m’adapter aussi à leurs discours.

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Que pensaient les victimes des terroristes ?

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Que ce soit la tentative d’attentat au Stade de France ou les meurtres dans la rue et les bars, c’était horrible. L’attaque du Bataclan est tout de même à part car il s’agissait d’un huis clos entre les terroristes et leurs victimes. L’horreur et la tension ont duré pendant plusieurs heures avec la question pour ceux retenus en otage s’ils allaient mourir ou non. Pendant ce laps de temps, les terroristes vont échanger avec leurs victimes et vont décider de tuer certains et épargner d’autres. Ces aspects m’ont beaucoup interrogé. Comment pouvait-on renoncer à son humanité ?  En se souvenant des terroristes, les victimes du Bataclan n’arrivent toujours pas à comprendre leurs actions.

Alix, une des survivantes, a fixé le regard d’un des terroristes. Après les premiers tirs, son visage était plein de sang. Alix s’interroge : Qu’est-ce qu’elle voit c’est l’âme du terroriste ou sa propre âme ?…

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Certains ont été persuadés de mourir mais ont finalement survécu. Comment chacun vit avec cette expérience ?

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Dès les premiers tirs, une partie du public quitte le Bataclan. Certains vont se réfugier dans des appartements à proximité mais continuent de craindre que les terroristes vont les retrouver et les tuer.

D’autres restent dans la salle jusqu’à l’assaut final de la police.

Tous les survivants ont connu un moment ensemble : l’arrivée des terroristes dans le Bataclan. La sidération fait place à l’angoisse de mourir puis le sursaut de vie apparaît. Certains pensent à l’avenir de leurs enfants, à leur conjoint… Un des survivants, Stéphane, raconte qu’il fait tout pour envoyer un SMS à sa copine mais ces doigts tremblent trop. Lorsque les terroristes n’ont plus de balles, ils mettent environ 20 secondes à recharger leur kalachnikov. Les otages comprennent qu’il faut qu’ils utilisent ce court temps pour tenter de sortir de l’endroit.

Chacun va trouver une raison pour s’accrocher à la vie. Certains ont été blessés physiquement – d’autres non. Cependant, tous sont blessés psychologiquement. Un grand nombre des survivants ont encore l’esprit dans le Bataclan. Plus de 7 ans après les faits, le traumatisme les accompagne.

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Le témoignage de Florence, mère d’une des victimes assassinées, est-il à part ?

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Il y a comme une pyramide de la tragédie : Le mort est la plus grande victime puis ensuite le blessé physique et le blessé psychologique. Cependant, il ne faut pas oublier ceux qui ont perdu un mari, un fils, une fille, une mère, un père.

Florence est la mère de Caroline. Elle a recueilli toutes les informations (y compris les rapports d’autopsie) et les témoignages pour comprendre comment sa fille est morte. Caroline a été tuée avec deux balles alors qu’elle enlaçait une autre femme qu’elle ne connaissait pas. Une des cartouches a atteint son cœur et elle a probablement traversé le corps de l’autre. La seconde balle est entrée dans la nuque de Caroline et est sortie de l’autre côté de la tête. Florence a décidé de se faire tatouer sur le corps aux endroits où sa fille a été touchée par les balles. Elle dit que les terroristes ont tué sa fille mais ils n’auront pas son tatouage.

Comme ceux et celles qui ont perdu un proche, nous n’étions pas au Bataclan. Cet aspect peut nous rendre plus proche d’eux. Ils font le relais entre nous et les victimes.

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Y’a-t-il eu des suites après le livre ?

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Lorsque le livre a été achevé, j’ai ressenti une certaine tristesse. J’avais l’impression d’être dépossédé. Le livre appartient à présent à tout le monde.

J’ai gardé des liens avec ceux qui ont témoigné. Parce qu’elle a raconté sa nuit au Bataclan, Natasha a trouvé la force de devenir partie civile et donc présente au procès.

D’autres ne souhaitent plus témoigner. Je suis de temps en temps invité aux rencontres, autour d’un verre, des rescapés du Bataclan. C’est incroyable car je suis le seul à ne pas être victime. J’apprécie tant la confiance qu’ils m’ont donnée. Lors de nos soirées, certains se confient davantage. Une fois, j’ai interrogé deux d’entre eux (Christophe et Gabin) afin de savoir où ils étaient durant la prise d’otage. Chacun décrit le lieu (à droite de la scène) et nous nous rendons compte qu’ils étaient en fait au même endroit, qu’ils avaient dû se parler. Croyez-moi l’émotion était grande. Des années plus tard, des liens continuent de s’établir.

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Toutes les photos appartiennent à ©Olivier Roller https://www.olivierroller.com/

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