Par son esthétique, son aspect lointain mais aussi sa magie, le cinéma muet continue encore de nos jours à fasciner. L’expressionisme allemand a su en faire son identité propre. Suite à la Première Guerre mondiale, des acteurs comme Max Linder, Buster Keaton ou encore Mary Pickford ont su devenir des stars de cet art si nouveau.

Avec « Le Feu & la glace » (Editions Futuropolis), le scénariste Jean-Luc Cornette et le dessinateur Jürg imaginent un film réalisé par Georg Wilhem Pabst qui réunit les vedettes Marlène Dietrich, Louise Brooks et Adelaïde Hall sur un navire voguant vers l’Amérique. Le tournage va connaître des péripéties…

Entretien avec Jean-Luc Cornette et Jürg.

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Après « Ziyi » (2013) et « Fleur de Tonnerre » (2020), vous avez à nouveau travaillé ensemble. Comment est né le projet du « Feu & la glace » ?

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Jean-Luc Cornette : J’ai commencé à travailler seul sur l’histoire. Sébastien Gnaedig, le directeur éditorial des éditions Futuropolis, a lu le scénario et m’a proposé de m’associer à nouveau auprès de Jürg en tant que dessinateur. 

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« Le Feu & la glace » est-il un livre d’histoire-fiction, une folie sur le cinéma ou finalement un voile sur notre actualité (extrémisme, lesbianisme) ?

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Jean-Luc Cornette : C’est un mélange des trois. Je n’ai jamais été un passionné d’œuvres politiques et militantes. Cependant, j’ai toujours aimé intégrer dans mes histoires des valeurs et un discours sur notre monde en arrière-plan.
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Est-ce que ce fut un plaisir de reconstituer une époque avant les tragédies (crises économiques et politiques) ou avez-vous laissé place à une certaine fantaisie (imaginer un film qui n’a jamais existé) ?

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Jean-Luc Cornette : La période des années folles m’a toujours intéressé. Pour certains, suite à la Première Guerre mondiale, c’est un moment de liberté retrouvée.

J’ai de plus toujours aimé les portraits de femmes qui arrivent à s’extraire de leurs conditions. Elles luttent face à la société patriarcale. Marlène Dietrich et Louise Brooks sont des exemples de femmes qui osent s’émanciper, s’autoriser une liberté qui ne leur est pas acquise au départ. 

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« Le Feu & la glace » a-t-il été également une étude sur le cinéma de Georg Wilhem Pabst ?

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Jean-Luc Cornette : Je voulais imaginer la rencontre entre Louise Brooks et Marlène Dietrich. Louise Brooks, la grande vedette du cinéma allemand dans les années 20 était américaine alors que Marlène Dietrich, futur star montante était allemande. Pabst aurait pu les diriger. Par conséquent, j’ai imaginé toutes ces rencontres.

J’ai fait des recherches pour rendre tout cela plausible. J’ai même vérifié la disponibilité des artistes et à quel endroit ils auraient pu tourner un film.

J’ai imaginé un long métrage qui ressemblait aux œuvres que Pabst et Louise Brooks ont tourné ensemble. Cette dernière y jouait une femme libre et les films laissaient transparaître des messages crypto-lesbiens.

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Jean-Luc vous êtes également dessinateur et Jürg vous êtes également scénariste. Chacun était-il pourtant à sa place ?

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Jean-Luc Cornette : Nous nous connaissons depuis des années. Il y a un vrai plaisir à travailler ensemble. Avec Jürg, Sébastien Gnaedig, nous faisions des réunions durant la réalisation du projet. Nous donnons chacun notre avis sur le scénario, les découpages dessinés, les pages définitives,…

Jürg : Oui, nous avons l’habitude de travailler ensemble et je fais une totale confiance à Jean-Luc lorsqu’il s’occupe du scénario, après, comme il l’a précisé , nous en discutons avec Sébastien et donnons chacun notre avis en cas de doutes.

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Comment avez-vous imaginé les couleurs du « Feu & la glace » ?

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Jürg : Les planches étant réalisées en niveau de gris au crayon , les valeurs et les contrastes sont déjà posés, comme pour « fleur de tonnerre » , l’idée est de glisser quelques couleurs en à plat , afin de ne pas surcharger les ambiances , pour cet album , je me suis inspiré des gammes de couleurs de peintres de l’époque, comme Otto Dix , Grosz , ainsi que de films documentaires et de cartes postales colorisées pour obtenir cet aspect un peu rétro.
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Comment avez-vous imaginé Louise Brooks, Marlène Dietrich et Adelaïde Hall ?

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Jean-Luc Cornette : Il y a moins de documentation à propos de la chanteuse Adelaïde Hall.

J’ai aimé imaginer les réactions et interventions de chacune. Ce sont des jeunes femmes qui veulent vivre pleinement. Malgré les contraintes, elles vont sans cesse en avant. J’ai lu tout ce que je trouvait sur elle. Puis, je joue leur rôle dans ma tête. J’essaie de me mettre dans leur peau.

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Jürg :  Comment avez-vous imaginé graphiquement Louise Brooks, Marlène Dietrich et Adelaïde Hall ?

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Jürg : Je les aies d’abord dessinées sur base de films et de documents d’époques afin d’assimiler leurs traits principaux , puis essayé de me détacher du côté caricature ou portrait , pour en faire des héroïnes de papier ,le but étant de se les approprier pour coller le plus possible aux besoins du scénario.

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Charles Vanel est le seul Français de l’histoire. Est-il un simple second rôle ?
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Jean-Luc Cornette : J’ai grandi avec des films où Vanel était un vieux monsieur. Il a pourtant tourné pendant près de 80 ans.Il a été un jeune premier, puis une vedette durant de nombreuses décennies et il est apparu dans plusieurs films allemands avant les années 30. Charles Vanel pouvait tout à fait jouer le rôle d’un marin viril.

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Le titre « Le Feu & la glace » fait-il écho à la période qui précède les années noires ?

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Jean-Luc Cornette : La mentalité d’un personnage rappelle en effet ce contexte. Hitler n’est pas encore au pouvoir mais il est déjà une personnalité politique importante en Allemagne. Son idéologie ne va faire que monter en puissance et déjà certains Allemands n’attendent que ça. Le titre par contre renvoie plus aux personnalités de Louise Brooks et de Marlene Dietrich dans le film qu’elles tournent sur le paquebot.

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Êtes-vous sensibles à la disparition de films muets ?

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Jean-Luc Cornette : Un grand nombre d’œuvres cinématographiques (surtout au début) a en effet disparu. Certains films sont retrouvés de façon miraculeuse.

Le film que nous avons imaginé apparaît de temps en temps sous format noir & blanc. L’intrigue est présente dans l’album. On peut donc pratiquement le voir en lisant l’album.

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Avez-vous prévu de travailler ensemble à nouveau ?

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Jean-Luc Cornette : Pour l’instant non. Je donne en général beaucoup de travail à Jürg. Un seul album nécessite parfois 3 ans de labeur. En ce moment, je le laisse souffler (rires). On se retrouvera très certainement dans le futur.
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