Par les chroniques, nous avons beaucoup d’informations au sujet des rois et des grands seigneurs de l’époque médiévale. Ils étaient pourtant une infime minorité au sein d’une société. Les sources sont moins importantes au sujet des plus pauvres. Les mendiants, les prostituées et autres miséreux représentaient une masse qui vivait entre villes et campagnes. Les pauvres étaient-ils craints, méprisés, soutenus ?
Avec son livre « Vivre la misère au Moyen-Âge« , l’historien Jean-Louis Roch nous éclaire sur la vie des plus précaires.
Entretien.
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« Truand », « maraud », « belître », « souffreteux », « gueux », la multiplication des termes pour désigner les pauvres montre-t-elle du mépris ? de la crainte ? de la fascination ?
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Ces termes désignent les « faux mendiants », les mendiants de métier, sans « nécessité », qui pourraient travailler mais préfèrent vivre aux dépens des bonnes gens, et qui souvent se disent infirmes et ne le sont pas. S’intéresser à ce vocabulaire proliférant, c’est éclairer les raisons de la marginalisation des plus pauvres. Et ces termes ne cessant de se multiplier du XIIe siècle au XVIe siècle, il faut aussi comprendre pourquoi. Le coquin fréquente les cuisines coqus, cuisinier), le caïmant quémande, mais il est d’abord un enfant de Caïn, le père des vagabonds, le bribeur demande une bribe de pain, etc ; à chaque époque la société a inventé de nouveaux termes ; le caimant par exemple correspond à la diffusion du vagabondage après la peste de 1348. Ces termes sont non seulement méprisant, mais aussi injurieux, et permettent de refuser de donner au mendiant qui demande, tout en l’injuriant ou en lui lançant un chien. Éclairer leurs étymologies permet d’y voir plus clair, dans les différentes étapes du processus d’exclusion des sans abri.
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La « révolution de la charité » aux XI-XIIIe siècles a-t-elle permis de valoriser le statut du pauvre ?
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La multiplication des pauvres et des mendiants, il faut le dire, créé la misère urbaine à partir du XIe siècle, au moment où la ville et le commerce se développent. Le pauvre apparaît en même temps que le riche et l’entraide des voisins ne suffit plus, comme cela se passait au village.
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Y’a-t-il une crainte de la multiplication des mendiants « professionnels » ?
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Le mendiant est souvent un vagabond, qui ne sait où il demeure ; certains ne font que demander pour Dieu, mais d’autres demandent avec insistance, avec insolence, et n’hésitent pas à voler. Le vagabondage est aussi un chemin vers la guerre et le crime. On se méfie aussi de celui que l’on ne connait pas, l’étranger. Mais bien sûr l’aveugle ou le mendiant âgé qui tend sa sébille à la porte de l’église ne fait pas peur.
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La prostituée est-elle la pire des pauvres ?
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Les prostituées se regroupent dans les bordels ou les étuves (bains publics) ; elles sont à l’origine souvent des victimes de viols. Et dans les derniers siècles du Moyen Âge, ces maisons sont protégées des autorités, qui les jugent utiles, pour calmer les violences juvéniles.
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Les franciscains sont-ils les plus grands chantres de la misère ?
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Saint François a chanté Dame Pauvreté ; il s’est fait mendiant, suivant l’exemple du Christ et des premiers apôtres. Et ses disciples, les premiers franciscains, mendiaient maison par maison. Mais en s’organisant en un ordre religieux, ils ont en partie renoncé à leurs premières règles.
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François Villon, Rutebeuf,… les poètes sont-ils également les défenseurs des infortunés ?
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Certains poètes comme François Villon, qui participait à la vie estudiantine très agitée et souvent violente de l’Université, ont pu devenir criminels ; ce que les textes appellent la « riblerie ». D’autre poètes ne font que se plaindre afin que l’on leur fasse l’aumône.
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L’aristocrate était-il à l’abri de la misère ?
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Pas plus que le bourgeois. C’est ce que les textes appellent les « pauvres honteux », qui ont honte d’aller mendier dans la rue et que l’on ravitaille chez eux. Certains nobles se déclarent parfois pauvres honteux afin d’être nourris gratuitement.
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Dans quelles circonstances, le mendiant doit-il divertir ou faire rire pour obtenir l’aumône ?
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Le mendiant doit-il divertir ou faire rire pour obtenir une aumône ? Il existe des chanteurs de rue, des montreurs d’ours, des bonimenteurs, autrement des amuseurs publics ; ces activités sont devenues leur métier. Mais la plupart des mendiants racontent que le feu a brûlé leur maison, que la guerre leur a tout pris, ou qu’ils vont en pèlerinage à Saint-Jacques pour obtenir le pardon d’un crime ; à moins qu’ils ne montrent des plaies horribles peintes de façon très habile.
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La fin du Moyen Âge a-t-elle modifié la perception que la société avait des pauvres ?
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Dans une société désorganisée par la peste de 1348, où la mobilité s’accroît, l’image du vagabond devient plus négative. Dans le même temps, la terre et les ateliers manquent de bras à cause de la peste et l’on se plaint des ouvriers « oiseux » qui attendent à la taverne que les salaires montent. Ce moment curieux (et heureux) ne va pas durer ; dès les années 1530, va resurgir, du fait de la croissance démographique, le chômage de masse et va se renforcer la chasse aux mauvais pauvres. Les institutions d’assistance débordées vont devoir faire le tri entre ceux qui mendient par nécessité et ceux qui pourraient travailler.
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