Selon les époques, la mode fait partie intégrante de nos personnalités. Ce qui paraissait élégant il y a 30 ans peut paraître aujourd’hui dépassé. Un vêtement est-il tout de même condamné à être jeté pour de bon ?

Sacs, gilets, manteaux, robes,… Le vintage prouve bien au contraire que nos tenues peuvent redevenir tendance. Avec le temps, le vêtement peut même s’améliorer. Mêlant innovation et nostalgie, la mode est toujours pleine de surprise.

Pénélope Blanckaert, directrice du département Hermès & Fashion Art et co-autrice du livre « Les Trésors du Vintage« , se passionne depuis toujours pour l’univers du vêtement.

Entretien-portrait vintage.

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Quand êtes-vous devenue une victime de la mode ?

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Avec la mode depuis très jeune puisque je lisais, au grand désespoir de ma mère, la Redoute et Les 3 Suisses dès 8/9 ans, qui étaient cachés sous mon lit.

Tout a vraiment commencé lors de mon séjour en Californie au début des années 2000. Contrairement à l’Europe, le vintage était au goût du jour. Je n’avais pas de conscience écologique. L’idée de redonner une vie à des vêtements qui avaient déjà été portés me plaisait beaucoup. J’ai d’ailleurs encore un pull cachemire orange typique des années 80 que j’avais acheté à ce moment-là.

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Qu’avez-vous pu appris auprès des spécialistes du vintage Dominique Chombert et Françoise Sternbach ?

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Elles ont réalisé un remarquable travail de défrichage en inventant les ventes aux enchères de mode vintage. Les premières ventes à l’Hôtel Drouot à la fin des années 90 avaient pour thème la fourrure – Dominique, étant la fille d’un grand fourreur, connaissait bien cet univers. Les ventes aux enchères se sont ensuite élargies à d’autres vêtements. Le rythme est alors devenu soutenu avec environ 20 ventes par an. Au début des années 2000, avec le succès des sacs seconde main, Dominique et Françoise ont proposé des événements Hermès et Channel. Il était encore possible de trouver à l’époque des vêtements de mode d’avant-guerre. Les ventes dédiées à Christian Dior, Yves Saint-Laurent, Schiaparelli ou encore Paul Poiret ont été extraordinaires. Les prix étaient parfois dérisoires. Cependant, Internet étant inexistant, le public était restreint.

De nos jours, un grand nombre de ventes aux enchères sont 100 % digitalisées via différentes plateformes (Drouot, Interenchères, Auction,…).
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Par la tenue vestimentaire, avez-vous conçu un personnage ou finalement vous avez trouvé votre identité ?

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La manière de s’habiller a toujours été très importante pour moi. Même lors de mon enfance, ma tenue vestimentaire me donnait confiance en moi. Même si moi-même au fil des années j’ai eu une multitude de phases de mauvais goût, ce qui compte c’est d’aimer ce que l’on porte. Ma tenue doit correspondre à ce que je veux exprimer ce jour-là. La mode doit être un outil qui vous sert à vous exprimer. Même s’il m’arrive de faire quelques écarts, j’aime beaucoup porter du bleu marine. C’est même devenu un uniforme pour moi.

J’aime la mode qui se porte dans la vie de tous les jours. Je n’ai jamais été une collectionneuse. J’achète des vêtements pour les porter.

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Aime-t-on le vintage parce que c’est ancien ou l’aime-t-on pour un certain savoir-faire ?

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© INDIA LANGE

La qualité des vêtements a bien entendu changé. Par exemple, les cachemires des années 60-70 sont incroyables car ils ne boulochent pas contrairement à ceux d’aujourd’hui. Cependant, ce que l’on recherche surtout dans la mode ancienne c’est la pièce unique dans le but de se singulariser. La proposition vestimentaire d’aujourd’hui est très uniforme. Vous pouvez aisément retrouver les mêmes tenues portées par des femmes des grandes métropoles du monde entier.

La mode est une boucle : On s’inspire du passé afin de le mélanger avec les tenues de notre époque. Il faut manier et interpréter les vêtements. Tout comme dans le design, lorsque vous extrayez une pièce de son contexte et que vous l’assembler avec une tenue très différente, elle ne dit plus du tout la même chose. Le vintage peut être un véritable jeu : Créer des silhouettes d’aujourd’hui avec des vêtements d’hier.

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Depuis plus de 30 ans, n’y a-t-il plus véritablement d’identité vestimentaire ?

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Les années 80 marquent selon moi la dernière époque vestimentaire identifiable. Les années 90 sont marquées à la fois par le minimalisme (grunge) et à la fois par un côté flamboyant et baroque (Versace, Moschino, Christian Lacroix).

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© JÉRÔME MACÉ

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Est-ce que c’est le « comme neuf » qui est le luxe du vintage ?

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Pour moi, pas du tout. Les sacs iconiques comme les Kelly et Birkin chez Hermès ou 2/55 et Timeless chez Chanel, sont au contraire bien plus beaux et élégants quand ils sont patinés.

Le sac est un marché particulier avec une côte où certains clients recherchent à tout prix le « comme neuf».

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Le vintage est-il à contre-courant de ce que les créateurs proposent de nos jours lors des défilés de mode ?

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© TANIA ET VINCENT

Lors de mes premières années dans l’univers de la mode, seule une poignée de maisons telles qu’Yves Saint Laurent, Dior, Chanel ou encore Balenciaga et Lanvin avaient un département archives. Pendant des décennies, les vêtements étaient donnés aux mannequins ou vendus à des clientes privilégiées ou simplement perdus. Le patrimoine n’était pas valorisé. De nos jours, la plupart des maisons se rendent comptent que leur histoire et leur storytelling sont de vrais atouts en termes de communication et de marketing. A travers des ventes, des tenues ont ainsi été rachetées. Les archives sont devenues stratégies avec les expositions et la sortie de livres.

Les créateurs se sont toujours inspirés de la mode d’autres époques – Cependant, pendant longtemps, ils ne l’ont pas revendiqué – à quelques exceptions près mais il s’agissait souvent d’hommage. Les œuvres conçues par un ancien créateur de la même maison ou simplement le travail antérieur du même artiste pouvaient cannibaliser les offres actuelles. De nos jours, piocher dans les archives est au contraire un bon argument marketing. Le passé est un atout car de nombreuses personnes accèdent à la mode en premier lieu avec le second marché.

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La vente aux enchères est-elle un lieu d’émotions (montée des enchères, compétition) ?

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Pour nos acheteurs, sans aucun doute.

Néanmoins, malgré Internet comme support, je regrette le fait que nous n’arrivons toujours pas à attirer un nouveau public de particulières tandis que les jeunes générations achètent de plus en plus leurs vêtements et accessoires sur le second marché via des plateformes de revente. Les enchères font peur. Beaucoup craignent que les prix s’envolent. L’année dernière, nous avons organisé une vente des premières collaborations 3 Suisses avec des créateurs de renom : Jean-Paul Gaultier et Vivienne Westwood ou encore Agnès b., Paco Rabanne et Courrèges, depuis les années 80 jusqu’aux années 2000. Nous avions réalisé une belle recherche avec des images d’époque tout en les présentant de manière contemporaine afin que le vêtement puisse de nos jours dire autre chose.

La couverture médiatique avait également été forte : ELLE, LE FIGARO, France Inter ….. Sur le live de la vente aux enchères, nous n’avons eu que 100 inscrits. Pourtant, les montants d’adjudication ont oscillé entre 20 et 250 €. 

Nous essayons de démocratiser les ventes aux enchères de mode. Elle doit être accessible à toutes et tous. Évidemment, je préfère vendre un vêtement à une cliente finale plutôt qu’un à professionnel qui le revendra au triple du prix …. Passer d’un business B to B à un modèle B to C. C’est le cas pour la majorité des spécialités dans les ventes aux enchères, et notamment le design et la joaillerie.

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© JÉRÔME MACÉ

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La fourrure est-elle un habit hors du temps ?

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Avec le réchauffement climatique et le combat contre la maltraitance animale, à laquelle j’adhère absolument par ailleurs,  la fourrure n’est plus vraiment au goût du jour. J’aime beaucoup les animaux et la réutilisation des vieux manteaux de fourrures peuvent justement empêcher que de nouvelles bêtes soient écorchées.

Dans les années 80, le manteau de fourrure était un véritable signe extérieur de richesse. A tel point que lorsqu’au début de ma carrière, des maris venaient nous présenter les manteaux de vison offerts à leurs épouses, parfois munis de leur factures en Francs,  ils étaient abasourdis par leurs estimations. Eux avaient dépensé plusieurs mois de salaire pour combler leurs épouses.

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Le dessin vintage est-il également recherché ?

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Les croquis sont en effet recherchés. Nous avions monté une vente entièrement dédiée aux patrons et croquis de maisons de couture prestigieuses. L’un de nos fleurons français a raflé presque toute la vente de peur que cette précieuse documentation n’aille ailleurs.

Certaines maisons ont jeté un grand nombre de dessins. Quel désastre pour la mode !

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© OLIVIER ZAHM

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Motif panthère, motifs fleuris,… Pourquoi ce qui nous paraissait « ringard » est à nouveau adoré ?

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La mode est un cycle permanent : ce qui paraît has-been sera à nouveau désirable un jour. Il y a également des cycles dans les enchères, corrélés à la mode contemporaine. Lorsqu’une maison délabrée place un directeur artistique de renom à sa tête, celle-ci peu rapidement redevenir le nec plus ultra. Et les pièces vintage de ces maisons atteignent des records tandis qu’ils ne trouvaient pas preneur quelques années auparavant. Céline est un bon exemple avec l’arrivée d’Hedi Slimane. Sauf que Céline sortait déjà d’une période de gloire avec Phoebe Philo.

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L’homme est-il plus réfractaire au vintage ?

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Il est amusant de voir les hommes d’aujourd’hui s’inspirer des tenues féminines parodiant souvent des bourgeoises sur le retour. Et plus généralement, les jeunes hommes sont devenus coquets. Cependant, Le problème que nous rencontrons avec les clientes particulières reste le même avec la mode masculine.

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La cravate est-elle en voie de disparition ?

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Oui je le regrette. C’est un habit qui pourtant peut être élégant.

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Au fil des temps, les tailles ne sont plus les mêmes, les courbes d’hier ne sont plus aussi populaires ? De nos jours… Comment actualiser le vintage ?

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Les retouches sont à la portée de toutes et tous. Je me rends régulièrement chez mon « couturier » de la rue de l’Échiquier et nous nous amusons beaucoup. Souvent, il s’agit d’une légère modification de proportion et le tour est joué. Certaines fourrures sont transformées en coussins. Un vêtement doit toujours reprendre vie d’une manière ou d’une autre.

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Quels sont vos projets ?

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Je vais poursuivre passionnément les ventes et persévérer pour élargir leur audience. Développer les valorisations d’archives au sein des maisons de mode. Et enfin, solidifier un travail de stylisme exclusivement de seconde main en prospectant les marques qui m’intéressent. Notamment les souliers qui ont besoin de contenu digital et de silhouettes pour présenter leurs produits. Ainsi pas de cannibalisation ! Je pense notamment à la maison Carel que j’apprécie beaucoup.

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