Il a su terroriser les plus puissants et les plus arrogants. Sa seule arme était pourtant faite de crème pâtissière avec un zeste d’humour (belge). Noël Godin, sous les traits de l’intrépide Georges Le Gloupier, a fait parler de lui en Belgique, en France mais également dans le reste dans le monde entier. Jean-Pierre Chevènement, Pascal Sevran, Nicolas Sarkozy, Bill Gates mais aussi Bernard-Henri Lévy ont tous été entartés sous les cris de « Gloup! Gloup ! ». « Pauvres de jouissance, ils veulent être riches d’illusions » écrivait le philosophe socialiste-utopiste Charles Fourier. Au-delà de la farce, Noël Godin est un stratège anarchiste.
Entretien sucré.
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Rire de l’autre, c’est aussi une action politique ?
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Cela dépend de quel autre on rit. À nous de choisir de belles cibles incarnant le goût du pouvoir, l’arrogance, le fauxculisme, l’esprit de sérieux.
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En 1968, vous déversez un pot de colle sur Marcel De Corte, grand admirateur du dictateur portugais Salazar. Avez-vous tellement pris goût à l’action que depuis vous ne pouviez plus vous empêcher d’agir contre ceux qui vous désolaient ?
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Nous avons très vite constaté qu’avec une simple tarte à la crème ou un bête pot de colle, on pouvait plonger dans de véritables paniques les puissants du jour. Notre Internationale pâtissière, c’est la revanche burlesque des petits et des grands garnements contre les tristes sires voulant les mettre au pas.
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Georges le Gloupier est un personnage que vous avez incarné avec entre autres Jean-Pierre Bouyxou. Il est chevelu, barbu, lunettu. Et c’est aussi un sacré puits de sciences qui a inventé le « piano automobile à musiquer les embouteillages » et qui a rédigé un très fouillé traité d’entomologie sur la vie des hannetons. Que pense le Gloupier de Noël Godin ?
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Le lanceur de tartes Le Gloupier pense que le porte-paroles belge du mouvement gloup-gloup Noël Godin devrait moins parader dans les médias. Les entartements de personnalités hautaines parlent d’eux-mêmes. D’autant mieux qu’ils sont accompagnés de petits poèmes en alexandrins qui éclairent suffisamment les pourquoi de chaque offensive chantilly. Par exemple, pour l’ex-ministre de la Culture Philippe Douste-Blazy, c’était « Entartons, entartons les ministres bouffons. » Pour Sarkozy, c’était « Entartons, entartons les cracks nauséabonds. » Et naturellement pour BHL, c’est à chaque coup « Entartons entartons les pompeux cornichons. »
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En 1969, vous entartez Marguerite Duras. Regrettez-vous de ne pas avoir entarté Robert Bresson afin de boucler la boucle ?
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C’est plus cocassement complexe que ça. Durant des années, j’ai saboté méthodiquement mon rôle de critique cinématographique dans la presse belge en injectant de nombreux faux dans les organes où je travaillais : fausses news, faux entretiens, faux films, fausses photos, faux cinéastes… sans que personne ne découvre le pot aux roses. Dans la revue catholique belge Amis du film et de la télévision, j’avais inventé que le facétieux Le Gloupier avait entarté l’austère Robert Bresson qui l’agaçait, et que Marguerite Duras avait vengé le cinéaste en l’entartant sur la terrace du café parisien Flore. La réplique du savant biscornu, ce jour là, aurait été : « Madame, je préfère votre pâtisserie à votre littérature. » Nous en étions là quand j’apprends que Marguerite Duras va débarquer à Louvain, en Belgique, pour présenter son long métrage Détruire dit-elle (1969) au « Challenge des cinémas d’art et d’essai ». Et la fiction devient réalité. Le Gloupier entarte pour de vrai la romancière et ça fait la Une dans la presse belge.
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Vous vous considérez comme un cinémaniaque. Vos actions pâtissières sont-elles dignes d’une mise en scène ? Etes-vous un acteur ?
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Les attentats pâtissiers sont réalisés comme des films. Sauf que leurs protagonistes principaux ne savent pas qu’il jouent dedans. Le personnage de Le Gloupier est inspiré du Bourvil des comédies de Jean-Pierre Mocky. Il se déplace en sautillant ainsi que Bourvil le fait dans le génial La Cité de l’indicible peur (1964).
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Êtes-vous un agent de la CIA comme l’affirme Marco Ferreri ?
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Marco Ferreri a réellement accusé la CIA d’avoir téléguidé son entartement au Grand Hôtel en plein Festival de Cannes. J’ai dû à plusieurs reprises certifier que je n’étais pas un agent de la CIA, que je n’étais à la solde que de l’esprit de fantaisie.
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Vous ne regrettez aucune de vos actions pâtissières ?
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Aucune. Même celle menée contre Jean-Luc Godard, à Cannes, en 1985. Il se fait qu’en l’occurrence, j’aime beaucoup le cinéma du réalisateur du sulfureux Week-end jusqu’au moment où il a sorti son film saint-sulspicien Je vous salue Marie qui chagrinait beaucoup de ses partisans mécréants. On se rappelle qu’à l’époque Je vous salue Marie avait choqué des intégristes chrétiens par son anticonformisme iconoclaste mais que c’était là un véritable film-prière. Ce qui m’avait vraiment mis en pétard, c’est que Godard avait convié le distributeur italien du film à retirer l’ouvrage des salles avoisinant le Vatican pour ne pas désobliger celui que j’appelle « le taré tiaré ». Et que donc l’implacable bouffeur de curé qu’avait été jusqu’ici Godard s’agenouillait tout d’un coup devant le gangstérisme pontifical. Mais quand Godard a appris que j’étais désaccrédité à vie du Festival de Cannes, il a exigé qu’on me rende mon laissez-passer de presse. Et quand Frédéric Mitterrand a accusé Le Gloupier d’avoir été violent avec son gâteau, Godard s’est écrié : « Mais non !, c’était comique, c’est le cinéma muet qui rattrape mon cinéma ! » Quelle classe !
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Vous avez entarté Bernard-Henri Lévy sept fois.
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Huit fois jusqu’ici.
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Avez-vous manqué d’autres occasions de l’attaquer à nouveau ?
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BHL est couramment gloupinisé par des inconnus. Cela lui est arrivé en tout cas dans une bibliothèque de Reims ou dans une boulangerie de Montpellier. Et on a pu assister sur Internet à la volée d’onctueuses tartes qu’il s’est prises à Belgrade.
J’ai néanmoins un regret : j’ai loupé, pour ma part, le mariage de Bernard-Henri Lévy et d’Arielle Dombasle en 1993 à Saint-Paul-de-Vence.
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En entartant Bill Gates en 1998, vous êtes reconnu internationalement. Est-ce le rêve d’un internationaliste libertaire ?
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C’est flatteur pour nos tueurs à gags. Mais ce qui doit être avant tout international, c’est le principe même de l’entartage. Plus aucun m’as-tu-vu n’a la moindre raison de dormir encore sur ses deux oreilles. Gloup gloup !
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Rémy Belvaux, réalisateur du film « C’est arrivé près de chez vous » (1992) a d’ailleurs participé à cet attentat pâtissier. Il est aujourd’hui décédé. Que retenez-vous de sa participation à vos actions ?
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Rémy s’avérait être un des fers de lance de notre guérilla gloup-gloup. C’est lui d’ailleurs qui devait réaliser le long métrage sur la saga tartesque qui se tournera peut-être un jour.
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Vous vous retrouvez dans le mouvement Yippie qui propose « la révolution immédiate dans le plaisir sans frein ». Êtes-vous un anarchiste en perpétuelle réflexion ?
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Il faut se méfier des zozos « en perpétuelle réflexion ». Ils sont souvent péniblement professoraux. Essayons d’être plutôt en perpétuelle ébullition. Ca fait plus de dégâts. À l’attaque !
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L’entartage est-ce une propagande par le fait ?
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Oui, bien sûr. J’aime l’expression. L’entartage est un héritier loufoque surexcitant des attentats anarchistes pimentés de la Belle Époque.
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Avec l’entartage du ministre Jean-Pierre Chevènement, vous êtes envoyé en 2002 au 1er Tribunal d’Instance de Paris. Vous perdez votre procès. Est-ce une victoire du sérieux ?
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Nous allons en appel. C’est de nouveau la douche froide. Nous rebondissons en Cassation. Et on l’a encore dans le baba. Du coup, faut sortir beaucoup de sous alors qu’il n’y a rien dans notre tirelire.
Quelque chose d’extraordinaire est alors arrivé : Ma compagne et une bande de joyeux chenapans ont organisé une gloup-gloup party au Mirano, une boîte branchée de Bruxelles que je ne fréquentais pas. La soirée était présentée par le chanteur Plastic Bertrand. Un grand nombre de lustucrus sont venus nous soutenir. Une vente aux enchères a même été organisée. L’acteur Benoît Poelvoorde a vendu pour nous le script original du film « C’est arrivé près de chez vous » et la chanteuse Lio a mis aux enchères sa célèbre petite culotte bateau légendaire.
En quelques heures, nous étions prêts à recommencer nos forfaits pâtissiers.
Au final, le sérieux a perdu. Car, lors du procès, Jean-Pierre Chevènement avait déclaré qu’il aurait préféré recevoir une gifle ou un pétard agricole dans la figure qu’une tarte à la crème. C’est que, avait-il expliqué, en entartant un homme politique, on entarte son image qui est seul capital.
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Y a-t-il des personnalités que vous adoreriez entarter ?
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Tous les potentats, jambon à cornes ! Avec une préférence particulière pour Macron. Et l’opération BHL n°9 est en préparation.
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Croyez-vous au grand soir pâtissier ?
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Il serait la solution à tous nos problèmes. Je recommande gloupitamment la lecture du plus génial livre qui existe « Le Nouveau monde amoureux » (1816, réédité aux Presses du réel) que l’on doit à l’utopiste de choc Charles Fourier.
Fourier y propose de ne pas abolir les guerres mais de remplacer loufoquement les armes sanguinaires par des petits pâtés à la crème.
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Pour en savoir plus :
« Entartons, entartons tous les pompeux cornichons! » de Noël Godin – Flammarion 2005 https://www.decitre.fr/livres/entartons-entartons-les-pompeux-cornichons-9782080685469.html