Actif depuis au moins les années 80, Pierre la Police est un artiste insaisissable et par conséquent intriguant. A l’aise dans le monde de la bande dessinée mais également dans la presse (même sportive) et dans les galeries d’art contemporain, il semble être un voyageur tout terrain. Est-ce Pierre la Police qui s’adapte aux différents mondes ou bien l’inverse ? Son imagination repousse-t-elle sans cesse nos frontières ?
Selon l’illustratrice Anouk Ricard, Pierre la Police « pousse le non-sens et l’absurde à l’extrême. Le non-gag devient le gag ». L’artiste serait-il un magicien du visuel ?
Entretien avec Pierre la Police.
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Le public ne connaît pas votre vrai nom. Il y a peu d’informations sur votre parcours et vos formations. Le mystère est-il un élément crucial dans votre univers ? Est-ce également une façon d’être jugé uniquement par vos œuvres ?
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L’idée de devoir mettre en avant sa personne lorsqu’on produit une œuvre publique ne me semble pas aller de soi, c’est une simple convention à laquelle nous sommes habitués. Pour ma part je me sens plus à l’aise en retrait qu’en représentation. Loin de moi l’idée de cultiver un mystère, ma personne comme les jugements qu’on peut poser dessus n’ont pas d’importance, je veux simplement laisser mon travail parler pour ce qu’il est. M’effacer et ne pas me solidifier me permet d’être plus libre dans mes créations comme dans ma vie. J’ai fait circuler pour me représenter un portrait contrecollé sur une silhouette en carton et elle fait très bien le job.
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Quand est apparu votre pseudonyme, Pierre la Police ?
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J’ai choisi ce nom quand j’ai commencé à auto-éditer et diffuser mes travaux vers la fin des années 80. Avant cela j’avais passé toute mon enfance à bricoler des livres qui essayaient tant bien que mal de ressembler à ceux qu’on trouve dans le commerce. Je venais tout juste de terminer une formation artistique très académique et j’avais envie de mettre en pratique tout ce que j’avais appris jusqu’alors. C’était à l’époque de la figuration libre. Il y avait une scène française alternative très dynamique et beaucoup d’artistes signaient sous pseudonyme. C’était l’usage à l’époque et je l’ai adopté. Son choix peut sembler ambigu mais il m’est toujours apparu comme une référence au terme de police d’écriture qui désigne l’ensemble des caractères d’un langage complet et cohérent dans sa propre logique.
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Vous exposez vos œuvres en 1992 à la librairie-galerie Un Regard moderne. Est-ce que ce fut un véritable lieu d’apprentissage et de création ?
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Absolument, c’était ma première exposition personnelle, elle s’appelait « Mange ton bonbongle » et arrivait logiquement après que j’aie diffusé en ce lieu des ouvrages auto-édités pendant quelques années. L’auto-édition permet de se frotter aux questions essentielles de la fabrication d’un livre, d’arbitrer entre les contraintes matérielles et les choix de création, c’est à la fois très formateur et enthousiasmant. J’ai eu la chance de pouvoir apprendre et tester mes trucs dans le cadre de ce lieu qui était comme un laboratoire. Jacques Noël et Jean-Pierre Faur ont rendu possible l’existence d’un tel endroit avec son rayonnement culturel à l’époque ou l’Internet grand public n’existait pas et ou les possibilités pour les artistes émergeants de diffuser leur travail étaient très limitées.
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Le titre des livres ou des expositions est-il une véritable réflexion ?
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Le titre c’est la ficelle qui dépasse, il faut qu’on aie envie de tirer dessus pour voir ce qui se déroule ensuite. Il y a mon gout pour l’écriture, pour l’image et les différentes façons de combiner les deux. Dans certains de mes livres, surtout en bande dessinée le texte s’étend sur toute la durée du récit, d’autres de mes ouvrages sont sans paroles mais un titre ou un court texte d’introduction permet de créer un lien instantané entre toutes les pages et d’orienter le tout. Dans les deux cas de figure, le texte est tout aussi important. Je trouve beaucoup de titres, chacun renfermant tout un petit monde en germe. Faute de temps pour les développer, la plupart d’entre-eux demeurent orphelins. Peut-être un jour en aurais-je suffisamment pour faire un livre ne contenant que des titres. Si cela se fait il faudra que je lui trouve un titre.
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Bande dessinée, peinture, collage, vidéo,… Choisissez-vous le médium selon le sujet ou selon vos envies ?
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Je ne choisis pas vraiment, c’est le sujet qui vient à moi avec la forme qui lui correspond. Avec le temps j’ai tendance à préférer les supports les moins contraignants. Je suis toujours étonné de voir ce qu’on peut faire sortir de l’esprit humain avec presque rien, un crayon, un tube de peinture, du papier et un peu d’ennui.
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Le dessin de presse est-il un exercice particulier ? Devez-vous vous adapter selon le média ?
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Si l’on me donne une carte blanche c’est un travail personnel, sinon j’illustre un article et c’est un travail de commande, les deux aspects sont très différents. Les travaux d’illustration que j’ai fait se situent sur une ligne complètement différente de celle de mes travaux personnels. Dans le cadre d’une commande on a généralement peu de temps et il faut mettre au point des méthodes de travail qui permettent d’aller rapidement à l’essentiel tout en apportant des idées qui prolongent et dépassent le texte. On s’adresse à un public aussi large que varié et l’image doit être immédiatement comprise par tout le monde, chaque trait doit aller dans le sens de la lisibilité. Ces contraintes sont riches d’enseignements et cela a nourri indirectement mes travaux personnels.
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Le football est-il un univers à part ?
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Ce n’est pas un sujet que j’aurais choisi naturellement. Il y a 20 ans, Franck Annese qui dirigeait le magazine So Foot m’a offert une carte blanche dans les pages de sa publication qui porte un regard en biais sur ce sport. Ne connaissant rien au sujet et n’étant pas fan de foot je me suis dit que c’était une super idée et j’ai signé. Depuis, je tiens une chronique mensuelle dans laquelle je pose un regard d’expert au carrefour de la science et du football. Le foot étant traversé par des lignes fortes liées à l’économie, au spectacle, à la politique et à des traditions populaires c’était une façon pour moi de prolonger les chroniques Véridique! que j’avais dessinées pour Les Inrockuptibles pendant quelques années et qui traitaient de l’actualité. Cela me permet de recycler et fabriquer quelque chose d’utile à partir du flot d’inepties qui traverse mon esprit chaque jour au contact du monde dans lequel je vis.
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La ville de Kyoto a-t-elle été une vraie inspiration graphique ?
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J’ai eu cette immense chance de vivre à Kyoto dans le cadre du programme de résidence de la Villa Kujoyama. Avant mon voyage j’avais déjà une connaissance de la culture de l’image au Japon et mon projet consistait à emporter avec moi au retour un peu de l’imaginaire collectif de la catastrophe qui infusait dans le cinéma Japonais à travers les films de monstres. Je savais ce que j’allais chercher mais j’ai trouvé beaucoup plus que ça. Cette expérience a donné lieu à plusieurs livres et expositions par la suite. Certaines vannes d’inspiration, davantage culturelles que graphiques d’ailleurs, se sont ouvertes et ne se sont pas refermées depuis.
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Agnès B, Kamel Mennour,.. Etait-il si logique de vous associer aux galeries d’art contemporain ?
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C’était une continuité. Aussi loin que remontent mes souvenirs je passais tout mon temps à bricoler des choses avec ce qui me passait sous la main : Des romans photos avec mes peluches, de la bande dessinée, des courts métrages d’animation et des agencements aussi inquiétants qu’inutiles. À un moment, certes tardif, j’ai découvert l’histoire de l’art et réalisé que ce qui m’animait s’inscrivait dans cet ensemble de pratiques. Aujourd’hui je suis toujours dans ma chambre d’enfant sur cette même ligne, c’est un privilège que je mesure chaque jour. L’art, son histoire, son marché et ses acteurs sont situés sur des plans qui ne se superposent pas toujours très bien mais nous parvenons à nous croiser parfois.
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Vous avez travaillé avec Jean Lecointre sur la série montage de « La Balançoire de Plasma ». Qui s’est adapté à l’autre ?
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De fait le scénario de ce récit précédait ma collaboration avec Jean Lecointre. J’avais prévu de dessiner moi-même cette histoire et j’en avais déjà réalisé quelques pages quand je me suis aperçu que la technique de dessin au typexx que j’avais mis au point était bien trop fastidieuse pour couvrir la totalité du récit. Mon ami Jean m’avait confié son désir de réaliser un roman photo-collage et cherchait un scénario pour cela. L’idée de la collaboration s’est imposée assez naturellement. J’ai écrit les chapitres suivants comme un script pour le cinéma et régulièrement nous nous réunissions pour discuter sur le travail fait et sur celui à venir, chacun apportant de quoi nourrir le projet.
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« Les Praticiens de l’infernal » ont-ils pour but de faire rire ou de faire peur ?
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Bien qu’on aie pas l’habitude de les voir cohabiter, je suis attentif à ces deux aspects. Il y a une forme de réjouissance pour moi à saboter certaines formes convenues du récit d’aventures et à provoquer des effondrements successifs de ma propre narration. Le résultat est souvent humoristique cependant pour ne pas se perdre il faut constamment revenir à la trame principale et à une forme de tension dramatique incarnée par une figure du mal. Pour être convaincante cette figure doit pouvoir faire peur. Quand on invente des histoires c’est quelque chose de très excitant que de composer d’authentiques personnages de vilains. Dans le dernier volume des Praticiens de l’Infernal j’avais imaginé cette femme déformée vivant dans les marges du monde, se nourrissant de restes de sandwichs dans des cabanes et capable de déclencher des tremblements de terre avec sa montre.
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Donald Trump ou encore Javier Milei sont-ils des alliés ou des ennemis de l’absurde ?
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La question me rappelle l’époque où je tenais ma chronique Véridique! dans Les Inrocks. J’abordais la question du traitement de l’information par les principaux médias en le disqualifiant par de multiples déformations du langage et du sens. Aujourd’hui cette mécanique fonctionne très bien sans moi, la réalité dépasse mes conneries tous les jours, bravo. La finalité n’est pas la même toutefois. J’œuvrais avec une visée divertissante et critique à la fois là où les personnages que vous citez et les nombreux canaux qui portent leur parole au sommet sont au service d’un projet de société misérable, malade et dénué de sens.
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Où voulez-vous aller à présent (sur le plan artistique) ?
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Le seul enjeu pour moi maintenant c’est de me faire plaisir. Je m’absorbe dans la satisfaction immédiate qu’on peut trouver dans le dessin et la peinture. Depuis quelques années cela donne lieu principalement à des séries d’images miniatures qui sont comme des fenêtres ouvertes sur des mondes plus grands. C’est un travail que je n’ai pas beaucoup eu l’occasion de montrer pour l’instant. Je le poursuis sans finalité ni plan établi et le découvre au fur et à mesure comme quand on avance dans la nuit en suivant le faisceau de sa torche et de ce qu’elle révèle. On se laisse surprendre soi-même et c’est une aventure.
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