Autrefois photographe de plateau, Denis Darzacq a su garder le goût pour les images . Devant son objectif, les corps, les paysages, les objets font sens. Photo-journaliste au début de sa carrière, Denis Darzacq conserve un intérêt pour l’événement et la situation. Ses œuvres ont pour sujet le voyage, pour la périphérie ou encore le lien vers l’autre. Les rencontres méritent bien quelques clichés…

Entretien avec Denis Darzacq, photographe du mouvement.

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Est-ce le cinéma qui vous a entraîné dans la photographie ? (vous avez accompagné sur certains films Satyajit Ray, Chantal Ackerman et Jacques Rivette)

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Avec l’expérience de la photographie de plateau, j’ai pu travailler sur la distinction entre la fiction et la réalité. Quand vous regardez les films de Rivette ou d’Ackerman, vous pouvez voir une image Réaliste et simple proche du documentaire. Les plans fixes font écho à la photographie. La fiction semble réelle. J’ai toujours aimé cette ambiguïté. Certaines de mes photographies se sont inspirées de ces constructions, comme de fausses photographies de plateau.

Récemment, lauréat de la commande publique de la Bibliothèque Nationale de France (BNF), sur la France après la crise sanitaire, j’ai réalisé un travail sur les communautés alternatives en Ariège, et j’ai voulu donner à ces photographies une approche qui s’apparenterait plus à du théâtre filmé. Je créais des séquences calmes avec une poignée de personnes. Les photographies semblent être des scènes de théâtre.

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Photographe de presse, vous vous orientez au fil des ans dans des thèmes précis comme les minorités sociales et sexuelles. Pourquoi un tel choix ?
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© Denis Darzacq

J’ai la chance de faire moi-même partie d’une minorité. J’y ai gagné une plus grande ouverture d’esprit. Malgré tous les privilèges d’un Parisien blanc éduqué, on peut relever chez moi des failles. Ces dernières m’ont finalement permis d’acquérir une plus grande humanité. Je doute de moi-même, des hiérarchies, de leur organisation sociale.

Les opinions qui ont dicté mes actes dans ma jeunesse s’affirment aujourd’hui. En tant que photographe, au fil de mes voyages et rencontres, je défends davantage l’échange et le partage avec autrui. Jeune, en travaillant pour la presse nationale et plus particulièrement pour le journal Libération,  je pouvais prendre en photo un homme politique un jour, le lendemain je me rendais à un concert rock et le surlendemain faire un reportage sur un mouvement social. J’ai découvert ainsi le monde. J’ai toujours cette curiosité.
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La photographie doit-elle transformer les corps ?

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Je cherche toujours à mettre les corps que je photographie dans un équilibre précaire. Cela permet de montrer de façon métaphorique, notre difficulté que nous avons, tous à chacun là trouver notre équilibre dans ce monde. J’ai le souvenir d’avoir vu la projection en plein air d’un film muet de Charlie Chaplin dans un village au Cambodge. Les enfants riaient aux éclats devant les maladresses et gaffes de Charlot. Pourtant, ils n’avaient jamais entendu parler de lui auparavant. Le rire est un langage universel. Tout le monde peut s’identifier au corps malhabile de Charlot, sa maladresse nous parle. On se reconnait dans son humanité.
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© Denis Darzacq

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Avec « Nus » (2003), que révèlent nos corps non érotisés ?

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J’ai pris en photo des corps qui ne sont pas marchands. Ils n’ont rien à vendre, ni leur beauté, ni leur jeunesse. Ce sont juste des corps avec leurs défauts et leurs qualités.

J’ai eu l’idée de cette série photographique lors d’un voyage en Chine. A bord de l’avion, j’avais lu un dépliant vantant les pavillons d’une banlieue de Shanghai. Ce type d’habitation né dans les années 30 aux Etats-Unis s’était alors mondialisé. Totalement urbain, j’ai toujours voulu retrouver une boulangerie, un cinéma, un restaurant, un supermarché à proximité de mon logement. Par conséquent, dans un environnement pavillonnaire, j’ai le sentiment de me retrouver à nu.

Afin  de ne pas victimiser mes modèles , je leur ai demandé de marcher, d’aller de l’avant. La volonté de mouvement rééquilibre l’image. Par ailleurs, je leur ai demandé de ne pas regarder l’objectif de mon appareil photo cela donne au spectateur une impression d’assister à une scène de rêve.

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Est-ce un défi de capturer les danses et les mouvements avec une seule image (La série la Chute) ?
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Pour chaque image particulière, il y a un appareil photo adapté. Pour la série La Chute, je voulais une image très nette. Par conséquent, je devais utiliser un appareil photo avec une très haute vitesse.

L‘idée de la Chute m’est venue alors que je suivais une compagnie de danse en Algérie. La seule pensée d’avoir la possibilité de se rendre en Europe pour une série de spectacles faisait sauter de joie ces jeunes danseurs.

© Denis Darzacq

A la suite les émeutes de banlieue de 2005 qui ont eu pour cause, la mort de deux jeunes garçons après une course poursuite avec la police Clichy-sous-Bois. L’ensemble des banlieues françaises se sont alors révoltées. La Chute est une réponse à ces événements.

L’année précédente, j’avais réalisé avec l’écrivaine Marie Despleschin le livre « Bobigny Centre ville ». J’entendais des discours comme quoi la jeunesse française n’était pas volontaire, était indisciplinée, n’avait pas le sens de l’effort, incapable de s’intégrer et par conséquent d’avoir une pensée politique. A Bobigny, j’avais pourtant vu tout autre chose, le désir de participer à la marche des choses, comme tout le monde. J’ai donc réalisé la série La Chute. Les modèles n’expriment rien mais leurs différents mouvements leur permettent de s’évader du sol. Le spectateur se pose alors la question : Est-ce qu’on les laisse tomber (au sens propre du terme) ou devons-nous intégrer ces jeunes issus des milieux populaires ?

De nos jours, je pense que j’appellerais différemment cette série. Les photos montrent peut-être une chute mais il est possible que ces jeunes souhaitent également s’échapper de la pesanteur matérialiste.
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Paris, un supermarché, le Musée du Louvre, une zone pavillonnaire, le Yorkshire, les champs de bataille de la Grande Guerre… Le lieu est-il un personnage dans vos photographies ?
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Il est pour moi important que l’œil du spectateur puisse circuler entre le corps et le décor. Il faut un équilibre. La photographie d’art doit être suffisamment riche pour qu’elle ne puisse pas s’épuiser.
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Avez-vous parfois été surpris par vos modèles ?

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Le photographe a toujours besoin de l’autre. Sans l’autre et son savoir faire, son intelligence son attitude, il n’y a pas image.
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© Denis Darzacq

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Quel est votre rapport aux couleurs ?

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Je regarde beaucoup la peinture. Du XVIème siècle jusqu’à aujourd’hui. C’est pour moi fondamental.

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Que souhaitez-vous réaliser à présent ?

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Depuis une dizaine d’années, je souhaite réaliser des photographies qui s’échappent du devoir d’informer – c’est-à-dire son but premier. Je veux que mon travail fasse écho à la peinture ou à la sculpture abstraite. Je réalise des collages manuels que je prends en photo. J’aime faire des images qui nous permettent de changer d’échelle.

Je veux mixer les corps et l’abstrait. J’ai envie de recycler mes photographies afin de les intégrer dans un autre contexte. C’est finalement un travail sur soi. 

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© Denis Darzacq
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