Figure incontournable du cinéma porno des années 90, co-réalisatrice avec Virginie Despentes du film coup de poing « Baise-moi » (2000), autrice de l’autobiographie géante « La Voie humide, Une œuvre au rouge » (Editions Diable Vauvert – 2007), Coralie Trinh Tih est une artiste à redécouvrir voire à découvrir. Passionnée par le tarot, par les écrits sadiens mais aussi par la musique, l’ancienne actrice évolue dans la multiplicité.

Entretien avec Coralie Trinh Tih, artiste surdouée.

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L’écriture a-t-il toujours été une évidence pour vous ?

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Enfant, il m’arrivait de lire jusqu’à 4 livres par jour. Cependant, je n’ai jamais eu l’idée d’écrire avant ma rencontre avec Virginie Despentes. Pour moi, les auteurs n’étaient que des personnes décédées. J’admirais les grandes figures littéraires du XIXème siècle. Je ne pouvais pas imaginer qu’être écrivain pouvait être un vrai métier.

A la fin des années 90, je me suis mis à écrire et ce fut un vrai plaisir de raconter à mon tour.
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Vous acceptez l’appellation sadienne ?

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Sans Sade, il n’y aurait pas de personnalités comme Nietzche. Le marquis est pour moi un grand philosophe. A la fois immoral, amoral et libertaire, il transporte son lecteur dans des situations très inconfortables afin de mieux lui inculquer une certaine vérité. Je garde un grand souvenir de la lecture de « Français, encore un effort si vous voulez être républicains » (1795). Je n’étais qu’une adolescente et j’ai été convertie au style sadien.  
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Que retenez-vous de vos années d’adolescente à Paris ?

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J’étais une batcave, c’est-à-dire une punk et une gothique. Ce mode de pensée fut une expérience déterminante pour moi. Finalement, si je n’avais pas été batcave, je n’aurais probablement pas été actrice X. Je prenais des drogues. Le porno était une expérience parmi d’autres. J’aimais l’extrême à tel point que je pensais vivre vite et mourir jeune.    

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En quoi la rencontre avec le tarot de Marseille et Alejandro Jodorowsky a-t-elle été un tournant dans votre vie ?
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Passionnée par l’ésotérisme, j’étudiais déjà l’Oracle de la triade. J’ai découvert le tarot de Marseille à l’âge de 17 ans mais c’est avec la rencontre d’Alejandro Jodorowsky que j’ai vraiment adhéré à cet univers. Après la sortie de « Baise-moi » (2000), je me sentais psychologiquement très mal. Philippe Manœuvre m’a alors présentée à Alejandro Jodorowsky. Ce fut en effet une rencontre importante. Pour m’aider, Alejandro a réalisé mon arbre psycho-généalogique et nous avons beaucoup échangé sur sa grande passion, le tarot de Marseille.     

Il s’agit d’un miroir de l’âme. Chaque carte propose de multiples interprétations et de symboles. Je crois au tarot de Marseille de façon très rationnelle. On ne peut prédire le futur mais on peut s’y préparer avec les cartes. Il n’y a pas de magie. C’est juste l’étude de la psychologie du subconscient.   
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Votre autobiographie elle-même se construit autour du tarot.

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Le tarot de Marseille possède une structure parfaite. Je voulais m’y rattacher pour raconter ma vie. « La Voie humide » est long de 770 pages. Je ne m’attendais pas à écrire autant. J’ai dû même réduire mon texte afin de ne pas atteindre les 1 000 pages. Cependant, la plupart de mes lecteurs disent que le livre est très facile à lire. J’ai voulu avoir une écriture simple.  
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Vous êtes passionnée de musique. Vous avez notamment été critique pour Rock n Folk. Y’a-t-il une chanson qui correspond à une identité ?
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Tout dépend du jour mais « The Drowning man » de The Cure m’a toujours accompagnée. L’album Pornography a été d’une grande importance pour moi. Le titre a influencé d’une manière ou d’une autre mon parcours de vie.
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Pourquoi considérez-vous The Tower 3 comme votre premier film ?

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J’ai d’abord tourné dans des films amateurs. Ils étaient auto-produits et je dirigeais le tournage. Je vendais mes photos et mes vidéos via les petites annonces de Hot Video. Le tout premier s’appelait « La Cartomancienne baise comme une chienne » puis il y a eu une séquence pour « Insatiables salopes » de John Love (Alain Payet). Ayant déjà une vie sexuelle libre, l’ambiance n’était pas aussi différente que les soirées que je faisais à l’époque. Il y avait juste une caméra.

Ce n’est qu’avec « The Tower 3 » (1995) que j’ai découvert la dimension professionnelle du X. Il y avait notamment du maquillage et des lumières adaptées aux scènes. Cette façon de travailler fut une révélation pour moi.  
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La pornographie a-t-elle été une échappatoire ?

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Comme pour la drogue, j’ai toujours voulu explorer de nouveaux univers. Je n’avais pas l’objectif de faire carrière dans le X. Âgée de 18 ans, j’avais l’appellation jeune majeure. C’est-à-dire qu’étant sans ressources, j’étais suivie par la DDASS et orientée vers des études. Je logeais à Garches dans les Hauts-de-Seine et je me rendais au lycée dans le Marais. J’ai été dénoncée à l’administration comme étant participante à des vidéos X. Mon éducateur n’a pas porté de jugement mais m’a demandé de choisir entre le milieu pornographique et l’aide aux études. J’ai pris la décision de continuer dans le X car je me voyais mal faire un quelconque BTS. Je ne m’imaginais pas travailler dans un bureau.    
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Vous devenez juste Coralie dans les films pornographiques. Votre nom suffit pour connaître le succès. La starification du monde X (vous tournez notamment aux Etats-Unis) vous a-t-il donné le vertige ?
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J’avais envisagé d’utiliser le pseudonyme Isadora mais c’était trop tard car mon prénom avait déjà été affiché dans certaines vidéos.

Cela a été un choc de me voir la première fois sur une affiche Hot video dans la rue. J’avais l’impression que ce n’était pas moi mais ma créature. J’ai d’ailleurs un œil très critique quand je visionne les films que j’ai tournés. C’est comme lorsque vous écoutez votre voix sur une bande sonore. Vous avez l’impression que ce n’est pas vous. Je sais des acteurs de films classiques qui d’ailleurs ne supportent pas de se voir dans les films. Vous devenez très critique face à votre image.

Avec l’accumulation des tournages, vous pouvez également oublier certains moments. J’avais fait partie d’une équipe de casting pour un film X. Nous avons auditionné un acteur qui m’a rappelé que nous avions déjà tourné ensemble. Je me souvenais de la séquence mais pas de lui. J’avais été très gênée par la situation. Un film X peut se tourner en 3 heures. La plupart du temps, vous ne savez rien des scènes avant d’arriver sur le plateau. Vous n’apprenez jamais de texte et parfois vous devez improviser.

Seuls des réalisateurs Marc Dorcel ou John B. Root préparaient de vraies scènes.    
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Cela fait quoi d’avoir été si célébrée dans un monde X si conservateur ?

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Je n’avais jamais senti de conflits. Les scènes X montrent surtout des moments de fantasme grotesque. Il n’y a rien de réaliste. Cependant, j’ai appris au fil du temps qu’un réalisateur avec qui j’aimais travailler était raciste. Cela m’a traumatisé.

Je refusais de tourner dans des films qui allaient s’intituler « La Blanche souillée par des noirs ». La production n’avait aucun scrupule à répondre à des demandes d’un public raciste.

Par contre, en tant que femme d’origine asiatique, je n’ai pas connu d’hostilité. Je pense que pour beaucoup je ne faisais pas minorité racisée. Cependant, j’ai pu entendre ou voir des discriminations envers des actrices noires ou maghrébines. C’était scandaleux.
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Pourquoi avez-vous quitté le X ?

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Ce ne fut pas un départ volontaire. L’écriture du scénario de « Baise-moi », la pré-production, le tournage, la post-production, la promotion m’ont pris énormément de temps. Par conséquent, je n’avais plus l’esprit et plus l’état pour reprendre la carrière d’actrice porno.

« Baise-moi » a été une grande aventure. Alors qu’un film classique nécessite des années de préparation, avec Virginie, nous avons tout fait en un an.

J’ai co-écrit et co-réalisé un long-métrage alors que je n’avais que 23 ans. Le film m’a transformé. Cependant, quoique je fasse dans ma vie, je serai toujours perçue comme une fille qui a fait du porno.
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Pourtant vous n’avez pas réalisé d’autres films.

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C’est vrai mais j’adorerais réaliser du porno. Beaucoup d’actrices X l’ont fait et cela me plairait beaucoup. 

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#Metoo vous a-t-il surpris ?

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Je prenais même au départ mes distances. La première transposition française de #Metoo s’intitulait Balance ton porc et le principe me dérageait car ce n’était pas les mêmes intentions qu’aux Etats-Unis. Le mouvement s’est temporisé depuis et révèle de véritables scandales.

Ce n’est que depuis peu que je comprends le féminisme. J’ai toujours été anti-sexiste mais je n’ai jamais été à l’aise avec les mouvements qui se terminent avec la formule iste. Pour décrire le film « Baise-moi », avec Virginie, j’ai écrit qu’il s’agissait d’une œuvre post-féministe.

#Metoo n’a pas vraiment touché le X. Pourtant, c’est un milieu qui mêle argent et sexe. Cela attire pas mal d’esprits dérangés. Beaucoup d’actrices ont eu de mauvaises expériences voire des traumatismes.  
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Vous avez également tourné avec des réalisateurs comme Marc Caro, Gaspar Noé, Olivier Dahan. Etait-ce une façon de tenter d’autres expériences ?
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Je dois dire que « Exercise of steel » (1998) de Marc Caro a été de loin ma pire expérience de tournage. J’ai été peinte en argent, vêtue de latex, au milieu d’un studio sur fond vert. Je portais des lentilles argentées qui me faisaient pleurer sans cesse. La chaleur était insoutenable. Par contre, le court métrage est très réussi.

Je ne voulais pas être une actrice classique mais comme on me proposait de bons rôles, je les acceptais. J’ai failli jouer dans un clip de hip hop du label hostile records. C’était une époque où on voulait faire rencontrer des hardeuses et des rappeurs pour un projet de compilation. Dans le bureau du producteur, j’ai raconté que j’écoutais de la musique hardcore. Cela pouvait surprendre qu’une actrice X puisse avoir des goûts si particuliers. Le producteur a alors eu l’idée de me présenter à Virginie Despentes. Nous sommes devenues amies et nous avons réalisé « Baise-moi » ensemble.     
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Qu’avez-vous apporté au résultat final du film « Baise-moi » ?
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L’histoire raconte l’amitié entre les personnages de Nadine et de Manu. La co-réalisation devait faire écho. Je n’ai pas apporté le côté porno du film. Certains membres de l’équipe de tournage ne comprenaient d’ailleurs pas que je ne puisse participer aux répétions des scènes hard. Virginie n’avait pas besoin de moi pour faire réaliser du X. Elle connaissait très bien le genre.

Pour « Baise-moi », nous nous sommes naturellement réparti les rôles. Virginie avait plus un rôle de direction d’acteurs. Quant à moi, je m’occupais de l’image du film. Le tournage s’est fait principalement avec la caméra à l’épaule, en décor naturel, sans éclairage.

Autrement, avec Virginie, de l’écriture du film à la post-production, nous avions vraiment les cerveaux reliés ensemble. A tel point, qu’il est difficile pour moi de savoir qui a eu telle ou telle idée. Je me souviens juste que pour la scène du viol dans le hangar, j’ai repris une idée de Frédéric Dard dans le livre « La Vieille qui marchait dans la mer » (1988). Ian Scott n’arrive pas à pénétrer sa première victime.

Lisa Marchall qui interprète Karla explosait de rires après chaque prise. A tel point qu’elle tombait du capot de la voiture. Pourtant, la scène dans le film est très dure à regarder. Même un réalisateur comme Gaspar Noé, lors du visionnage des rushes, a dû quitter la salle de montage. Avec Virginie, nous nous sommes dit que nous avions réussi quelque chose (rires).

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Avez-vous compris le scandale à la sortie ?

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Pas du tout. Le producteur nous avait informées qu’une association avait porté plainte auprès du Conseil d’Etat afin d’interdire la projection du film. J’en avais ri. Pour moi, « Baise-moi » n’était pas sérieux. Les journaux télévisés de 20H parlaient de notre film. C’était comme si nous avions préparé un concert dans une MJC et on se retrouvait subitement au Stade de France. Le public n’était juste pas prêt. « Baise-moi » a choqué pour de mauvaises raisons. Virginie et moi-même ne voulions pas que les spectateurs viennent voir le film pour le scandale mais juste pour son histoire.

Je me souviens avoir été traumatisée par un article acerbe de Charlie Hebdo. Avec les Guignols de l’Info, c’était le média qui m’éduquait le plus politiquement. Charlie Hebdo nous reprochait notamment le merchandising de « Baise-moi ». Nous avions pensé faire des badges et des T-shirts comme pour une simple tournée de concerts.

Je réalise que malheureusement beaucoup de gens de gauche ne sont pas pro-sexe. Je n’ai jamais aimé les moralisateurs.
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La mort en 2005 de Karen Bach a-t-il été un choc ?

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Absolument. Lors du tournage de « Baise-moi », avec Raphaëlla, Karen et Virginie, nous sommes devenues amies. Mais au fil du temps, nous sommes revenues à nos occupations respectives. Je n’aurais jamais imaginé que Karen puisse faire un tel acte. Elle travaillait alors pour une chaîne sur le câble. Les suicides sont toujours difficiles à prévoir même pour les proches.
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N’y a-t-il pas assez de films comme « Baise-moi » selon vous ?

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« Baise-moi » ne doit pas être un modèle. Il s’agit avant tout d’un ovni. Il n’y aura pas de « Baise-moi le retour » (rires).
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Avez-vous l’envie d’écrire ?

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Oui. J’ai plusieurs projets que j’aimerais finaliser.
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