Grand maître de la littérature française de science-fiction et artisan de la notion de Paradoxe temporel, René Barjavel (1911-1985) se distingue par son discours mêlant crépuscule de notre temps et amour indestructible. Véritable classique du XXème siècle, « La Nuit des temps » (1968) n’échappe pas à la règle. Ecrit dans un contexte de révolution des mentalités et de conscience écologique naissante, le livre reste encore de nos jours une œuvre clé. En 2021, Christian de Metter publie une adaptation bande dessinée de « La Nuit des Temps » (éditions Philéas). Tout en gardant son propre style, le dessinateur transpose l’histoire de Barjavel dans une époque plus proche de la nôtre. Les couleurs et les personnages sont particulièrement saisissants dans une intrigue où le passé se mélange avec le futur.

Entretien avec Christian de Metter.

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Comment est né le projet d’adapter « La Nuit des temps », œuvre majeure de René Barjavel ?

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© Christian De Metter

C’est une proposition de l’éditeur. Moïse Kissous, patron du groupe Steinkis créait Philéas, une maison d’édition de bande dessinée consacrée à l’adaptation littéraire. Ils avaient obtenu les droits de « la nuit des temps » et mon nom avait été évoqué pour en faire l’adaptation. Il m’a donc appelé pour me proposer le projet. La science-fiction n’étant pas mon domaine de prédilection, je lui ai demandé quelques temps pour y réfléchir même si j’avais déjà un peu l’envie, depuis quelques temps, de me confronter à ce genre d’univers. Par contre j’ai toujours aimé Barjavel. J’avais même demandé par le passé à un de mes éditeurs de se renseigner concernant les droits d’un autre de ses livres mais je n’avais jamais eu de réponse de cet éditeur. Et puis je me suis dit que ce genre de proposition ne se refusait pas.

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L’adaptation en bande dessinée doit-elle forcément calquer l’intrigue ou y’a-t-il tout de même une part de liberté et d’interprétation ?

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Tout dépend du roman que vous adaptez. Certains romans policiers vous obligent à rester très fidèles au risque de casser toute la mécanique. D’autres livres offrent plus de libertés. Certains incitent même à développer, ajouter, etc. L’important en ce qui me concerne c’est qu’il faut que je puisse m’y investir personnellement, que je finisse presque par croire que c’est moi qui ait écrit cette histoire. Quand on oublie le roman, on peut faire des choix dans l’intérêt de la bande dessinée.

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Pour quelles raisons avez-vous décider de transposer l’intrigue de nos jours ?

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J’avais lu « La Nuit des temps » dans ma jeunesse et à sa relecture il m’a semblé être très connoté à une époque et une certaine façon de penser. Les années 60. Or les thèmes qui y sont abordés sont intemporels. Quand je fais un livre, qu’il soit une adaptation ou une création, je cherche toujours à m’adresser à mes contemporains et même je dirais, un peu aux futurs lecteurs potentiels. On peut raconter une histoire qui se passe dans une époque passée et malgré tout parler de notre présent mais je trouvais qu’ici, il me semblait nécessaire d’amener cette histoire vers un contexte plus proche de nous. Ce qui menace l’humanité aujourd’hui, le mauvais traitement infligé à la planète et le risque de sa destruction.

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© Christian De Metter
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Le décor est souvent sobre, obscur puis parfois fantastique (avec notamment la faune et Gondawa). « La Fin des temps » doit-il être perçu comme un songe ?

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Je voulais surtout accroitre visuellement le contraste entre l’époque actuelle et celle des souvenirs d’Eléa. Il fallait que ce que raconte Eléa paraisse vraiment merveilleuse.

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Les couleurs ont-elles été difficiles à sélectionner ?

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L’époque présente se passe principalement au Pôle sur une période d’environ un an. Je sais donc qu’une partie de l’histoire se déroulera pendant la nuit polaire. Je fais ce choix de privilégier le bleu et le sombre pour cette partie associée à la science moderne que je qualifierais de froide et comment dire… administrative, obtuse. La partie racontée par Eléa se doit par contraste d’être plus chaleureuse avec des couleurs plus vives puisqu’y est évoqué une grande histoire d’amour.

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© Christian De Metter
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Comment avez-vous imaginé le personnage d’Eléa ?

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C’était très difficile. Elle est décrite comme « la plus belle femme du monde ». Mais chacun aura un avis très différent sur la question. Un européen n’aura pas la même idée qu’un asiatique ou un africain, un russe, un marocain, etc. Et vous et moi aurons également sans doute un avis très différent. Et je voulais éviter le côté blonds aux yeux bleus du livre. J’ai donc opté pour un aspect presque d’une autre humanité. Au départ, dans mes premières recherches, elle avait un profil africain, des yeux plus asiatiques et des cheveux plus connotés « occidentaux », en gros. Mais cela a tiqué quand j’ai montré cela. J’ai donc adouci un peu le tout. 

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© Christian De Metter
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Le peuple de Gondawa est paradoxal : technologiquement supérieur, il garde des coiffures et des tenues primitives. Représente-t-il le passé et le futur et donc une opposition à nous qui sommes dans le présent ?

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Il représente surtout le côté exclusivement guerrier de l’humanité. La force, la brutalité. L’adaptation d’un roman en bande dessinée rencontre toujours le problème du nombre de pages et donc de la place pour développer les choses. Il fallait que visuellement on comprenne immédiatement cette violence.

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« La Nuit des temps » est également un récit sur l’amour impossible. Avez-vous voulu associer ce thème à la destruction ?

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Je vois plutôt « la Nuit des temps » comme une grande histoire d’amour. Et cet amour ne s’éteint pas, il existe pour toujours et depuis la nuit des temps. C’est l’humanité qui se détruit et toujours pour les mêmes raisons. Le pouvoir, la conquête, l’expansion, le « progrès », la haine, la bêtise. Seul le fait d’aimer, aimer des personnes mais aussi la nature, le vivant, l’art, le « beau », etc, permet son développement. J’enfonce des portes ouvertes hélas…

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Plus de 3 ans après la parution de votre livre, croyez-vous encore à la fin des temps (destruction de notre environnement) ?

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Que dire… Heureusement que nous avons des dirigeants responsables, intelligents, qui pensent plus au bien-être de l’humanité et à son futur plutôt qu’à des profits personnels, gagner des élections, diviser les gens, etc. Et partout sur la planète je vois ces dirigeants pacifistes, vifs dans leur corps et dans leur tête, qui œuvrent toujours uniquement pour un avenir radieux. Et ça me rassure. Hum…
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© Christian De Metter

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Dessin de couverture : © Christian De Metter

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