Lorsqu’on étudie le travail graphique de Georges Bess, nous partons littéralement en voyage. Dessinateur sans frontières (ayant vécu aux Etats-Unis, au Tibet, en Inde,…), il a su interpréter les plus grands paysages et les ambiances les plus captivantes pour les séries de bande dessinée comme Le Lama blanc, le Fantôme du Bengale, Amen ou encore Anibal 5.

Depuis 2019, Georges Bess a pour ambition d’adapter les plus grands classiques : Dracula, Frankenstein et tout dernièrement Notre-Dame de Paris (éditions Glénat)- magnifiques voyages en noir et blanc où le guide est accompagné de son épouse également artiste, Pia Bess. Les histoires sont remarquablement illustrées et c’est même un grand plaisir de les relire sous un jour aussi neuf.

Entretien avec Georges Bess – conteur sans frontières.

.
.
.
.

Vous dites que vous faites avant tout du cinéma avec vos dessins. Le beau et l’horreur sont-ils un plaisir à représenter ?

.
.
.
.

Je tiens à dire que je ne suis pas un spécialiste de l’horreur. Avec la sortie de « Dracula » et de « Frankenstein », beaucoup ont pensé que j’allais rester dans le genre. J’avais connu des demandes similaires lors de la sortie de la série Le Lama blanc. Je refuse les étiquettes. Tout m’intéresse. Chaque projet peut devenir une expérience formidable.

A 13 ans, j’ai lu d’affilée « Frankenstein » et « Dracula ». Ces deux livres m’ont ouvert la porte de la littérature. Cela m’a autant passionné que cela m’a fait peur.

Puis, à un moment donné, dans ma carrière de dessinateur, j’ai pris la décision de ne plus travailler avec des scénaristes mais, par l’adaptation, être avec de grands auteurs classiques.

.
.
.
.

« Dracula » (1897) a été adapté maintes et maintes fois. Quelle est la genèse du livre ?

.
.
.
.

Même si j’avais lu le livre adolescent. J’avais plus ou moins oublié l’histoire. Lorsque mon éditeur m’a proposé d’adapter « Dracula », je n’ai pas réellement été enthousiaste. Je pensais que cela n’allait pas été intéressant. Puis, à cause de problèmes de santé, j’ai été immobilisé dans un fauteuil pendant des mois. Je me suis à lire et à relire « Dracula ». Je n’ai pas été au départ séduit par le style et l’histoire. C’était selon moi un peu trop désuet.  Mais j’ai tout de même réalisé des croquis dans une série de carnets et je me suis pris au jeu de travailler sur le roman de Bram Stoker.

Je me suis même rendu dans le quartier d’Hampstead à Londres chez un ami. Il m’a notamment emmené dans la taverne où Stoker avait ses habitudes. J’ai ainsi pu « visiter »le cimetière d’Highgate. L’ambiance était assez victorienne et cela m’a inspiré graphiquement. Au fil du temps, j’ai aimé réaliser cette adaptation de « Dracula ». Je voulais surprendre les lecteurs avec un livre classique d’une certaine façon. Heureusement, le livre a même eu un succès inattendu.

.
.
.
.

Comment avez-vous conçu la figure du Comte ?

.
.
.
.

Je me suis inspiré du visage et surtout de l’allure d’un ami. Il est aujourd’hui décédé. J’aimais l’idée que Dracula puisse se transformer en de multiples animaux. Il prend également la forme du Nosferatu du film de F.W. Murnau (1922). 

.
.
.
.

.
.
.
.

L’animal est omniprésent dans vos œuvres. Vous aimez le représenter ?

.
.
.
.

Depuis mes premières années en tant que dessinateur, on m’a toujours proposé des scénarios avec des animaux ou des enfants. Au même titre que les arbres, j’adore les dessiner.

Lors de mes pauses, je regarde des documentaires animaliers.

.
.
.
.

De par ces cadres démesurées, ces plans larges, « Dracula » est-il un cauchemar ?

.
.
.
.

Pas du tout. Je travaille juste par envie. Il n’y a pas de « plan de bataille ». Au fil du temps, je me suis libéré de toute contrainte. Il y a toujours un maximum de pages à ne pas dépasser, je déborde très souvent… Je veux rester libre.
.
.
.
.

Pour quelles raisons avez-vous choisi Keith Richards pour le personnage de Renfield ? Vous faites des « castings » ?

.
.
.
.

Je travaille beaucoup mes personnages. Je veux qu’ils soient reconnaissables et spécifiques à une personnalité. Le cas de Renfield est particulier. J’avais remarqué avec mon épouse, Pia, que dans les films de Dracula, le personnage était souvent joué par un acteur soit fantaisiste (comme Roland Topor dans le « Nosferatu » (1979) de Werner Herzog) soit par un chanteur (Tom Waits dans le « Dracula » 1992 de Coppola ; Alice Cooper dans « Dark Shadows » 2012 de Tim Burton). J’ai donc moi-même fait mon casting. J’avais dessiné initialement Mick Jagger mais j’ai préféré finalement Keith Richards.
.
.
.
.

.
.
.
.

Avez-vous pensé l’adaptation de « Frankenstein » comme une histoire à disséquer ?

.
.
.
.

Chaque livre a son propre univers. Dans le livre de Mary Shelley (1818), Victor Frankenstein commence ses recherches par de nombreuses dissections. Par contre, il n’y pas de description en relation avec la méthode du docteur pour donner la vie à sa créature. Une seule phrase résume l’expérience. D’ailleurs, aucune adaptation cinématographique ne s’aventure dans les détails. Seule la foudre donne vie à la créature. Par conséquent, j’ai utilisé le même procédé.

.
.
.
.

La figure de la créature rend violent ceux et celles qu’il rencontre. Vous le représentez pourtant de façon athlétique voire noble. Est-il proche de la Créature du marais de Bernie Wrighton (« Swamp thing » 1970) ?

.
.
.
.

Dès le départ, mon éditeur m’a offert le livre mais j’ai préféré prendre mes distances. Dans « Frankenstein » de Mary Shelley, Victor a l’ambition de créer un bel homme. Mais lorsqu’il réussit l’expérience, il est dégouté par le résultat et préfère s’enfuir. J’aimais tout de même l’idée de montrer que la créature avait quelques beaux aspects esthétiques. De plus, elle est très intelligente et apprend très vite. La souffrance est par conséquent d’autant plus forte. Les adaptations cinématographiques éludent souvent cet aspect.

.
.
.
.

.
.
.
.

Les paysages sont gigantesques et hostiles. Est-ce une œuvre à la fois passionnante et épuisante ?

.
.
.
.

J’aime tout dessiner y compris la laideur. Plus les années passent et plus j’ai la joie de créer. Lorsque vous réalisez un album avec des centaines de pages, vous y pensez du matin au soir. Il m’arrive même d’en rêver la nuit. Comme un ruminant, je remâche sans arrêt les histoires. Je réalise une grande quantité de crobars. Je suis comme avalé par le projet. On peut le voir chez quelques autres dessinateurs. On peut remarquer des albums avec une réflexion profonde.

.
.
.
.

« Notre-Dame de Paris de Paris » est une œuvre qui a été réalisée à 2 avec Pia Bess. Pour adapter Victor Hugo c’était nécessaire ?

.
.
.
.

Pia participe à mes projets depuis des années et c’est formidable. J’ai passé ma vie à dessiner seul. Pia est une artiste-peintre surdouée. C’est donc un vrai bonheur de travailler avec elle.

Pia est une grande lectrice de Victor Hugo. A l’exception de « L’Homme qui rit » (1869), je n’ai finalement connu ses écrits que tardivement.

.
.
.
.

.
.
.
.

Qui est la Esmeralda ?

.
.
.
.
Le personnage de Victor Hugo a à peine 16 ans. Par conséquent, je ne peux imaginer une jeune fille de cet âge-là qui puisse rendre fou les hommes. J’ai voulu représenter Esmeralda plus âgée, plus femme. Je me suis inspiré des tenues des gitanes indiennes. Etant un grand voyageur, je me suis rendu plusieurs fois au Rajasthan.

.
.
.
.

Aviez-vous voulu représenter Pierre Gringoire avec une figure animale ?

.
.
.
.
Je pense que Victor Hugo s’est identifié à ce personnage. Il se moque de la figure du poète. L’histoire étant si tragique, Gringoire apporte une touche plus légère et d’autodérision. Par conséquent, j’ai dessiné la tête d’un imbécile. 

.
.
.
.

Frollo est-il un vampire ?

.
.
.
.

Il est en effet un personnage obscur. Le visage d’un homme politique m’a inspiré… Puis, je m’en suis éloigné car je ne voulais pas passer des années avec lui dans les parages. Même Phoebus, l’amour d’Esmeralda, n’est pas un personnage très sympathique. Cependant, même si « Notre-Dame de Paris » est un roman noir du début à la fin, Victor Hugo a voulu conserver des subtilités. Frollo, le personnage le plus antipathique, s’est pris de pitié pour Quasimodo et a décidé de l’élever.

.
.
.
.

Votre Paris est-il aussi une ville fantasmée ?

.
.
.
.

J’invente toujours à partir du réel. J’ai aimé l’idée d’imaginer le Paris médiéval. Il reste très peu de l’architecture de cette époque mais lorsque vous allez dans certaines villes de Province, des quartiers ont pu être préservés.

.
.
.
.

.
.
.
.

Pour avoir choisi de ne pas représenter graphiquement la fin ?

.
.
.
.

La fin est si tragique que je n’avais pas envie de l’illustrer. Au fil du temps, j’ai considéré Quasimodo comme un ami, Esmeralda comme une fille – elle est si innocente et si passionnée. Le premier devient fou et la dernière meurt dans la tristesse.

.
.
.
.

Quelle sera la prochaine adaptation ?

.
.
.
.

A chaque fois, c’est un travail à la fois passionnant et difficile (en particulier « Notre-Dame de Paris »). Je tiens toujours à apporter ma propre vision de l’histoire tout en restant fidèle. Toutes les adaptations cinématographiques de « Dracula », de « Frankenstein » ou de « Notre-Dame de Paris » n’adaptent pas exactement le récit.  

Je commence à travailler sur une nouvelle adaptation mais je préfère rester pour le moment silencieux.

.
.
.
.

PARTAGER