Les rayures sont devenues une véritable identité graphique, sa tenue d’étudiant de campus américain le distingue et enfin son style est tout simplement unique. Originaire de l’Illinois (The Prairie State), Landis Blair est un artiste singulier et fascinant. En 2017, il réalise avec le scénariste David L. Carlson « L’Accident de chasse« . Inspiré d’une histoire vraie, le récit est une véritable descente aux enfers d’un aveugle qui, comme Dante, devra affronter son passé et ses démons.

Dans l’univers de Landis Blair, la mort est omniprésente. Elle peut glacer le sang mais elle peut également faire rire. En 2023, Blair publie deux histoires courtes : « Le Chemin des étoiles » (Editions Ecole des loisirs) et « Vers le Sud » (Editions Martin de Halleux). Les deux livres sont un hymne à la liberté (de création).

Entretien avec Landis Blair, un artiste graphique exceptionnel.

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Quel est votre avis sur l’illustration de nos jours ? Selon vous, peut-on encore innover ?

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C’est un univers très spécial pour moi. Dans mon esprit, faire une illustration est une forme de résolution de problèmes en termes de narration. Il peut y avoir certes de nombreuses solutions, mais vous devez choisir celle que vous pouvez mettre en œuvre le plus efficacement possible, en fonction de vos capacités et de votre temps. Les histoires visuelles fonctionnent mieux lorsque les illustrations et les mots apportent des éléments différents à l’histoire. C’est par leur addition que le lecteur acquiert une compréhension complète et profonde de l’intrigue. Cette convergence de mots illustrés dans mon esprit est presque une forme de magie.

Oui, je pense nous pouvons encore innover dans le monde de l’illustration. Dans un certain sens, c’est même inévitable. Lorsque vous racontez votre propre histoire sous la forme d’images, c’est une partie de vous-même qui se traduit dans le dessin qu’importe si de grands illustrateurs ont pu vous inspirer.

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Vous vous habillez comme un geek (grosses lunettes, nœud papillon,…). Est-ce un personnage que vous aimez incarner ou bien cela fait-il partie de votre identité ? Votre univers ?

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Je dois avouer que le fait de porter un nœud papillon et de grosses lunettes me permet de jouer un personnage. Mais aujourd’hui, tout cela fait partie de moi. Il est même difficile de distinguer mon propre moi et ce personnage que je mets en scène. Je m’habille ainsi depuis 15 ans. Je n’arrive pas à m’imaginer sortir en public sans porter une cravate ou un nœud papillon. Le personnage est devenu pour moi un refuge et sans lui, je me sens vulnérable et exposé.

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Les œuvres en noir et blanc sont-elles particulières pour vous ?

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Oui, à ce stade de ma vie, je suis beaucoup plus attiré par les œuvres en noir et blanc que par les œuvres en couleur. Il est fascinant de voir combien d’informations peuvent être transmises de tant de manières différentes par les artistes à travers l’histoire simplement en utilisant le noir et blanc. Cependant, je n’ai pas toujours eu cette opinion. Enfant, je me souviens très bien de ne pas m’intéresser aux bandes dessinées en noir et blanc car je les trouvais ennuyeuses. C’est plutôt amusant de voir sa propre perspective changer si radicalement.

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Peut-on dire que vos bandes dessinées parlent principalement des États-Unis ?

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Non, je ne pense pas que ce soit exact, mis à part le fait que mes grands souvenirs et mon lieu de vie sont américains. Je considère mes livres comme traitant principalement de l’anxiété et de la mort. Ce sont des sujets universels.

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Les bandes dessinées françaises publiées dans des magazines comme Métal Hurlant ou Pilote ont-elles une grande influence dans votre travail ?

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Non car je n’étais même pas au courant de leur existence jusqu’à assez récemment. La seule bande dessinée européenne à laquelle j’ai eu accès quand j’étais enfant était Tintin.

Ceci étant dit, lorsque je viens en France, je suis époustouflé par la profondeur et la variété de toutes les bandes dessinées et j’espère un jour pouvoir en lire beaucoup plus et en apprendre davantage.

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Dans « L’Accident de chasse : une histoire vraie de crime et de poésie », Chicago est-elle l’endroit idéal pour une bande dessinée noire ?

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Je ne sais pas si Chicago est l’endroit idéal pour une bande dessinée noire, mais c’est certainement un bon lieu. Je suis sûr, cependant, que les amateurs de bandes dessinées noires pourraient débattre sans cesse quant à savoir quelle ville constitue le meilleur décor. « L’accident de chasse », cependant, est basé sur une histoire vraie qui s’est déroulée à Chicago. Avec le scénariste David L. Carlson, nous n’avions donc pas le choix concernant le lieu de l’intrigue.

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De plus, vous venez de l’Illinois. Vous connaissez très bien la ville…

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A l’âge adulte, j’ai surtout vécu dans différents quartiers de Chicago. Même si je ne pense pas être un grand expert de cette ville, je l’aime cette ville. Je m’y sens comme chez moi et je connais très bien certains quartiers.

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« Vers le Sud » est votre première publication française. Avez-vous apprécié cet exercice d’histoire comique muette ?

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Oui, ce livre a été une très belle expérience. L’éditeur [Martin de Halleux] m’a donné une certaine liberté pour écrire et dessiner l’histoire que je voulais et étant donné qu’il s’agit d’un livre plus court, j’ai pu m’y immerger complètement pendant seulement quelques mois.

Ne parlant pas français, le défi de communiquer uniquement avec des images était également un aspect attrayant du travail sachant que je le faisais pour des lecteurs qui ne parlait pas la même langue que moi. Cela m’a certainement fait beaucoup réfléchir sur comment les images pouvaient communiquer jusque dans les moindres détails.

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Est-ce finalement un rêve tragique pour un homme de devenir libre comme un oiseau ?

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Je ne pense pas du tout que ce soit un rêve. C’est seulement une tragédie. La mort frappe tôt ou tard tout le monde et nous libère de notre existence. La tragédie est que la plupart des humains vivent leur vie sans s’y préparer.

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La Mort est-elle un personnage spécifique dans vos livres ?

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Oui, la mort est un personnage, ou plutôt un thème, omniprésent dans mes livres. Dans mon esprit, c’est le moteur de toute activité humaine et de toute culture, et pourtant, beaucoup de gens ne s’en aperçoivent jamais. J’ai certainement mes propres peurs à propos de la mort, mais je trouve que ces peurs s’amplifient lorsqu’on refuse d’y faire face chaque jour.

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Quelle est la place des femmes dans vos histoires ?

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Il y a un certain nombre de femmes et de filles dans mes petits livres publiés par des éditions indépendantes. Cependant, en raison de mes propres insuffisances en tant qu’illustrateur, j’avoue les trouver beaucoup plus difficiles à dessine. Il est même difficile pour moi de réaliser un livre plus grand avec une femme comme personnage principal. J’espère cependant qu’avec de la pratique et du temps, je pourrai corriger certaines de mes lacunes.

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« Le Chemin des étoiles » est-il un hommage aux monstres, à l’architecture et à la nature ?

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Non. Il s’agit plutôt d’un hommage aux enfants et au pouvoir de leur imagination, pour le meilleur comme pour le pire. Il est regrettable que nous ne reconnaissions généralement pas ce pouvoir jusqu’à ce que l’on perde. Dans « Le Chemin des étoiles » en particulier, je me suis inspiré de mes propres souvenirs d’enfance. J’étais allongé, éveillé dans mon lit car je craignais de m’endormir. Ma seule source de divertissement et de distraction était la couverture du lit. J’ai des souvenirs précis d’avoir rampé dessous et j’y ai inventé des mondes et des aventures. J’aimerais avoir encore avoir toute cette imagination.

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Humanisez-vous les animaux en les dessinant sous la forme de portraits ?

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Je pense que c’est plutôt le contraire : j’animalise les humains. Ceci étant dit, ma série de dessins que j’ai rassemblés dans un petit livre, « Sartorial Beasts » (2023) est plus un jeu qui m’amuse. Dès que vous remplacez la tête d’un humain par une tête d’animal, vous réalisez immédiatement à quel point tous nos vêtements les plus sophistiqués peuvent être ridicules. Je continue à faire ces dessins simplement parce qu’ils me font rire.

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Quels sont vos projets ?

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Je travaille actuellement sur l’illustration d’un livre pour enfants tout en développant quelques idées d’histoires personnelles.

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