Presque 200 ans après sa publication, « La Dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils continue d’inspirer les artistes. En 1853, soit quelques années plus tard, Giuseppe Verdi a composé un splendide opéra en trois actes, « La Traviata ». Après la France et l’Italie, c’est au tour de la Géorgie d’adapter librement cette histoire d’amour impossible. Figure majeure du théâtre européen, Rezo Gabriadze a présenté en 1981 « Alfred et Violetta ». Avant de disparaître en 2021, il a pu présenter une nouvelle forme de cet émouvant spectacle de marionnettes.
Léo Gabriadze, le fils, met en scène actuellement « Alfred et Violetta » actuellement au théâtre La Scala de Paris. Les marionnettes jouent avec la lumière, avec le décor et délivrent des émotions sincères.
Entretien avec Léo Gabriadze, messager de paix.
.
.
.
Le théâtre Gabriadze a été fondé en 1981. L’œuvre de votre père est-il un héritage exclusif ou souhaitez-vous également explorer l’art par vous-même ?
.
.
.
.
Mon père a fondé ce théâtre privé après sa carrière dans le monde du cinéma. En tant que scénariste, il avait participé à plus de 30 films soviétiques. Mon père s’était lassé de ce type d’industrie mais souhaitait se concentrer sur un univers plus intimiste et plus libre. Il voulait un contrôle total. Mon père écrivait, mettait en scène, réalisait les marionnettes tout comme le décor. Avant d’être scénariste, il été peintre et sculpteur.
J’ai grandi avec le petit théâtre de mon père. Puis, après de longues années à Los Angeles, je suis rentré en Géorgie. J’ai alors compris que le théâtre de mon père était comme un sanctuaire qu’il fallait préserver à tout prix. C’était un concentré de tout ce qu’il pouvait créer. J’ai alors pris la décision de succéder à mon père.
Contrairement à beaucoup de films où toute intrigue est résolue avec un révolver, le théâtre de mon père est un hommage à la compassion et à l’humanité. De nos jours, nous avons besoin de privilégier la paix plutôt que le conflit. Le théâtre Gabriadze est certes l’univers de mon père mais j’y apporte également une partie de moi-même. Il est décédé il y a 2 ans mais son âme continue de vivre avec l’art.
.
.
.
.
Vous avez présenté la pièce « Alfred et Violetta » en 2022 au théâtre Goldoni à Venise. Est-ce une nouvelle version ?
.
.
.
.
« Alfred et Violetta » fut le premier spectacle qu’a présenté mon père en 1981. L’histoire se passait alors à la même époque. La Géorgie était toujours en Union soviétique. La pièce ne durait que 45 minutes. « Alfred et Violetta » fut présenté pendant quelques années puis mon père s’est concentré sur d’autres pièces.
Ensuite, il a pris la décision de réécrire « Alfred et Violetta ». L’histoire durait plus longtemps, de nouveaux personnages apparurent et le décor fut changé. L’époque n’était également plus en 1981 mais en 1991 lors de l’indépendance de la Géorgie. L’histoire débute lors de la période soviétique puis se termine en tragédie lors de la guerre civile de mon pays.
.
.
.
.
L’adaptation est-il un exercice difficile ?
.
.
.
.
Non. C’est très gratifiant lorsque vous vous basez sur le travail d’auteurs comme Alexandre Dumas fils et Giuseppe Verdi. Mon père a conservé quelques personnages et quelques éléments de l’histoire originale. Il a ensuite choisi d’autres chemins artistiques. La fin est par exemple différente.
.
.
.
.
« Alfred et Violetta » est-il aussi un hommage à la Géorgie ?
.
.
.
.
Bien entendu. J’ai connu la guerre civile. Le spectacle est très émouvant pour moi car il me rappelle ce que j’ai pu ressentir. Tout comme Alfred, j’ai dû quitter la Géorgie.
.
.
.
.
Pensez-vous que votre père a fait d’Alfred un élément autobiographique ?
.
.
.
.
Mon père a mis une part de lui-même dans toutes les marionnettes du spectacle. En tant que dramaturge, il adorait tous les personnages qu’il écrivait. En aucun cas, ces derniers pouvaient être cyniques ou totalement mauvais. De nos jours, je trouve que beaucoup d’artistes mettent trop de distance avec leurs personnages.
.
.
.
.
Quel est le rôle de la marionnette Coucou ?
.
.
.
.
J’ai connu beaucoup de personnes comme lui. Coucou est peu éduqué, alcoolique et consommateur de drogues mais au fond c’est quelqu’un de bien. Il est une victime de son époque. En Géorgie, la guerre civile a meurtri tant de personnes comme Coucou. C’est une marionnette que j’adore.
.
.
.
.
Le corbeau (Nevermore) est-il l’antagoniste de l’histoire ?
.
.
.
.
C’est le cas mais il ne pense pas faire de mal. Le corbeau veut préserver la réputation de la famille d’Alfred. Il se rend finalement compte de son erreur à la fin. Chez mon père, les personnages ne sont ni totalement blancs ni totalement noirs.
.
.
.
.
Pour quelles raisons le train soviétique parle russe ?
.
.
.
.
Il est une référence au proche de Staline, le géorgien Sergo Ordzhonikidze. Il avait l’habitude de se déplacer en train. Contrairement à ce sinistre personnage, la machine, symbole d’un monde en décomposition, tente d’aider Violetta. Pendant des siècles, la Géorgie était sous l’emprise des Russes. Par conséquent, la langue a fait partie du quotidien.
.
.
.
.
C’est important pour vous de présenter « Alfred et Violetta » hors de Géorgie ?
.
.
.
.
Oui. C’est un devoir de montrer au reste du monde l’histoire de mon pays. Comme je l’ai déjà dit, nous avons plus que jamais besoin de messages d’espoir et de paix.
.
.
.
.