Couper, redécouper, assembler… Le papier peut offrir une multitude de possibilités artistiques. Selon la matière, la couleur, il peut en effet être une source d’inspiration quasi-infinie. Alors que d’autres ont choisi le pinceau, le style et l’outil numérique comme moyens d’expressions, l’artiste suisse Anna Sommer utilise le cutter pour concevoir son univers. Les personnages sont uniques en leur genre. Malgré cette fantaisie, ils parlent finalement beaucoup de nous et nos émotions. Anna Sommer a un talent rare qu’il faut suivre de près.
Entretien avec une artiste-artisan qui expose actuellement (jusqu’au 7 octobre 2023) à la Galerie Martel à Paris.
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Dès la fin des années 80, alors que vous commencez une carrière de graphiste, vous profitez de vos pauses déjeuners pour découper des silhouettes dans du papier noir. L’art a toujours été une passion pour vous ?
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Dessiner a toujours été une passion en effet. J’ai toujours voulu raconter des histoires. En suivant une formation de graphiste, je me suis intéressée à l’utilisation du cutter. L’ordinateur n’était pas encore utilisé comme aujourd’hui, par conséquent, c’était le meilleur outil pour construire des maquettes. J’utilise très souvent le cutter comme outil de création.
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Pour quelles raisons vous avez arrêté pendant des années de lire de la bande dessinée ?
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Je n’ai jamais arrêté mais pendant mon adolescence, peu de choses m’intéressaient dans la bande dessinée. Puis, plus tard, j’ai découvert les œuvres d’auteurs comme Julie Doucet et Chester Brown. Leur travail m’a beaucoup influencée.
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Vous illustrez avec des papiers découpés ce qui limite les publications. Un livre doit-il être lui-même une oeuvre d’art ?
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Oui. Je suis toujours à la fois impatiente et à la fois craintive de découvrir mes livres lorsqu’ils sont imprimés. Je pars à la recherche des erreurs que j’aurais pu commettre. Cela prend du temps pour moi de vraiment apprécier le livre.
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Les couvertures de livre sont-elles un travail particulier ?
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Je les imagine très souvent à la fin. Pendant le projet, des idées fortes me viennent à l’esprit mais finalement je change d’avis. Lorsque je dois réaliser une couverture pour un autre auteur, c’est un exercice difficile car je ne souhaite pas que mon illustration raconte trop l’histoire du livre et en même temps je ne dois pas m’éloigner du récit.
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Les enfants sont-ils des lecteurs difficiles ? Apportez-vous plus d’attention pour la littérature jeunesse ?
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Je suis méticuleuse car j’ai le souvenir, enfant, que j’aimais regarder le moindre détail des illustrations. C’est une époque de la vie où vous êtes sans cesse dans la découverte. Lorsque vous dessinez pour les enfants, il y a également un aspect pédagogique indéniable. En collaboration avec des médecins, j’ai notamment illustré des livres sur certaines maladies. J’en ai conçu un pour les enfants malvoyants. Les enfants pouvaient toucher le livre et sentir ainsi le relief des découpages. Pour « L’œuf » (2004) que j’ai écrit avec mon compagnon, l’artiste Noyau, j’ai réalisé des découpages et lui a peint une histoire dans l’histoire.
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Le livre « Tout peut arriver », vos auto-portraits,… Le dessin parle-t-il finalement de vous ?
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C’est en effet un miroir. Il m’arrive de m’en rendre compte bien plus tard en constatant des détails dans mes œuvres. Pendant quelques années, j’ai travaillé dans un atelier qui était occupé par d’autres artistes. J’ai aimé voir la façon dont ils travaillaient. Je pouvais voir les émotions qu’ils voulaient retranscrire apparaître sur la feuille.
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La femme est très présente dans votre travail. Est-elle le meilleur des modèles ?
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Je peux mieux me mettre à la place de mes protagonistes féminines.
Dans mes graphic novels, les vêtements de mes personnages n’ont pas une grande importance, contrairement à mes papiers découpés, où les vêtements sont importants pour moi. C’est lié aux papiers, qui se rapprochent du textile, et dans le processus de travail, c’est une sorte d’habillage de mes personnages à partir des différents papiers. Ici, la mode et l’élégance sont plus importantes pour moi. Etant née dans un petit village suisse où les femmes s’habillaient de façon rudimentaire, je n’avais pas l’habitude de voir de l’élégance. C’est allant en ville que j’ai pu voir des femmes avec des talons et de belles robes. Il est possible que si j’avais été issue d’un milieu urbain, je n’aurais pas été aussi fascinée par l’élégance et la mode.
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Que symbolise le poulpe dans votre œuvre ?
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J’aime utiliser les papiers très fins et mous japonais pour mes découpages. Les couleurs sont également magnifiques. Avec un tel support, c’est un plaisir de réaliser un animal comme le poulpe car il est en perpétuel mouvement. Avec ses multiples bras, cette bête peut faire une multitude d’actions. Le poulpe n’est pas non plus un animal négatif pour moi. L’encre symbolise la possibilité de raconter une histoire.
L’animal relie les composantes masculine et féminine.
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Le sexe est-il un moment qui vous fascine ?
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J’aime surtout illustrer l’intimité des corps lorsqu’ils s’imbriquent entre eux. J’ai réalisé cette série car je voulais me lancer le défi de me limiter artistiquement avec seulement trois couleurs. Au début de ma carrière, je ne travaillais d’ailleurs qu’en noir et blanc. Le désir d’utiliser d’autres couleurs est venu plus tard.
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Avez-vous des désirs d’illustration ?
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Il me faut beaucoup de réflexion pour réaliser. Les images viennent vers moi que lorsque je travaille. C’est ensuite que je construis une histoire. Je suis parfois témoin de scènes dans la vie de tous les jours et cela m’inspire. Une amie fumait par exemple devant moi. Sa posture à la fois drôle et élégante m’a subitement inspirée.
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Quels sont vos projets ?
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Chaque fois que je termine un livre, j’ai déjà des envies d’en réaliser un autre. Mais j’ai également des commandes d’illustration. Par conséquent, je ne peux consacrer tout mon temps à la réalisation d’ouvrages personnels. Je dois être patiente. Mais c’est toujours un plaisir de proposer de nouvelles conceptions, de nouveaux dessins et de nouvelles couleurs.
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