De 1939 à 1943, la Pologne et l’Ukraine furent le théâtre des expérimentations les plus poussées, en particulier la région de Zamosc où les Nazis ont tenté de construire leurs villes et villages utopiques. Une communauté germanique et « racialement pure » s’installe dans un espace idéalisé et vidé de sa population autochtone.
Christian Ingrao, historien et chercheur au CNRS, traite de cette ébauche du rêve nazi dans son dernier « La promesse de l’Est ». Rencontre.
– Peut-on parler de colonisation dans la politique nazie en Pologne et en URSS ?
Absolument ! Ce que les Nazis définissaient comme colonisation c’est celle des Grecs durant l’Antiquité et des chevaliers teutoniques au Moyen-Age.
La colonisation fait référence aux mouvements de population notamment de Souabe durant les XVIIème et XVIIIème siècles qui se sont installées en Europe Centrale et en Russie.
La colonisation nazie n’est pas une conquête continentale comme celle que les Allemands ont pratiqué en Afrique par exemple mais il s’agit une conquête intra-continentale. Par conséquent, leur colonisation est tournée essentiellement vers l’Europe de l’Est.
– En quoi le mot « utopie » est pertinent dans la pensée nazie ?
Dès 1939, les Nazis définissent leur espace vital. Ils sont décidés ici et maintenant à briser la malédiction de l’insularité germanique. Au fil des siècles, encerclés d’ennemis, les Allemands n’ont pu s’étendre. Les Nazis veulent faire émerger ce continent allemand et ainsi surpasser les ancêtres. Il faut une révolution qui modifierait toute l’histoire de l’Humanité : la révolution raciale de la Scandinavie à l’Allemagne.
– Dans l’application de la pensée pangermaniste, pour quelles raisons l’Est était-il le territoire d’une nouvelle Allemagne ?
Ces territoires sont plus simples et plus réalistes à conquérir pour le grand empire des Nazis. L’Est est un espace où, selon eux, les Slaves n’ont pas laissé leurs traces.
De plus, il y a une lutte idéologique : il faut contrer la lutte des classes, sélectionner les populations afin de lancer la révolution raciale c’est-à-dire éliminer les Juifs, les Socialistes, les Communistes, les handicapés,…
– Pour quelles raisons, la population ukrainienne a été moins touchée par la politique nazie comparée à d’autres ?
C’est pour des raisons sociologiques : Les Ukrainiens sont selon les Nazis plus nordifiés que les autres populations comme les Polonais ou les Russes. Au 8ème siècle, des migrations vikings ont suivi les fleuves et se sont installés en Ukraine.
De plus, il y a un fort nationalisme ukrainien vivifié par les occupations polonaises et russes et soutenu par les Nazis.
– Sur quel plan l’installation de colons allemands s’est-elle fait et certains sont-ils restés après la guerre ?
Le stock de personnes est réduit (environ 4 à 5 millions de colons allemands). Pourtant, le territoire à conquérir est immense s’étendant de la Pologne jusqu’à l’Oural. Il faut par conséquent réduire les populations locales. Au départ, le projet nazi a un certain écho auprès des indépendantistes ukrainiens tout comme les Vichystes. L’idée initiale de 1940 intègre en effet l’Ouest de l’Europe tout en prenant en compte la nordicité. Durant cette même année, on parle de populations aryennes installées en Bourgogne au Moyen-Age. Les Nazis soulignent également qu’en 1871 et 1918, l’Alsace-Lorraine a été germanisée. Les Juifs et les populations non-germaniques sont alors expulsés.
Cependant, suite aux défaites militaires de l’Allemagne, peu à peu les colons quittent les territoires comme la Galicie ou la Roumanie à partir de 1943.
– Quel était l’avis des autorités face au possible métissage entre Allemands et peuples de l’Est ?
Les Nazis édictent que chaque SS et colon doit soumettre leur mariage à une expertise raciale avec l’étude des 2 arbres généalogiques des mariés. Une analyse est faite sur les maladies héréditaires, les handicaps,… Les Nazis ont en fait le projet d’un monde rigoureux sur le mariage et la famille. Il y a une graduation raciale avec des autorisations tout de même sur la sexualité des hommes. Certaines populations peuvent même être autorisées à se marier à un Allemand.
– Quelles sont les particularités d’un village/ville repensé à la mode nazie ?
La tradition et la modernité s’allient dans un espace qui est réfléchi par la séparation. Chacun est a sa place et tout est ordonné. Il y a un espace pour l’enfant, la vie conjugale, l’agriculture, la vie collective. Des places de ville sont prévues pour les institutions de la bienveillance nazie, pour la ligue de l’Etat de la providence nazie… Et il n’y a qu’en ville où les populations halogènes sont autorisées. Dans les campagnes, la population doit être pure. Il s’agit d’une campagne en lien avec les nouvelles technologies. Le mode de succession est égalitaire en Ukraine et en Pologne et la question de la propriété foncière est fondamentale.
– Est-ce que l’échec de l’action Zamosc c’est aussi la grande corruption au sein même de son fonctionnement ?
L’administration tente de bien gérer le territoire. Odilo Globocnik est adjoint de Himmler pour la création de points d’appui SS dans le Gouvernement général en Pologne dont la ville de Zamosc. Globocnik souhaite tout transformer et impose de nouvelles règles pour le baptême, le mariage, la vie quotidienne,…
La corruption fonctionne à plein régime au sein du Gouvernement général. Il s’agit en fait d’un état virtuel où la domination socio-raciale est permanente.
Des femmes sont vendues et parfois envoyées en Allemagne comme domestiques-esclaves.
– Qu’avez-vous appris de plus après la publication de votre livre « les chasseurs noirs : la brigade Dirlewanger » ?
Je n’ai pas eu le sentiment de reprendre le travail. J’ai écrit tout ce que je voulais dire sur le sujet.
Il reste bien des enquêtes sans doute en mènerai-je quelques-unes, mais j’ai appris ce que je voulais apprendre.
Pour en savoir plus: http://www.seuil.com/ouvrage/la-promesse-de-l-est-christian-ingrao/9782021332964
Le compte Twitter de Christian Ingrao: https://twitter.com/gragratraina?lang=fr