Cheveux roux, costume de groom impeccable et énergie débordante, Spirou a su passionné un grand nombre de lecteurs depuis 1938. Rob-Vel, Jijé, Franquin, Fournier, Tome & Janry,… Tous les auteurs et dessinateurs y ont ajouté une part d’eux-mêmes dans les aventures.
Emile Bravo a proposé à son tour de nouvelles histoires – entraînant le groom au cœur de la Seconde Guerre mondiale. Un retour aux sources qui permet d’expliquer l’origine du nom Spirou mais aussi le lien avec Fantasio. « Journal d’un Ingénu » et la série « L’Espoir malgré tout » racontent également des histoires originales des années 30-40. On y voit le quotidien de la Belgique occupée, le sort des Juifs déportés et les conséquences de la Libération. Avec ses bandes dessinées, Emile Bravo réussit à conjuguer classique et innovation.
Entretien.
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Quel est votre premier souvenir de Spirou ?
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Je l’ai connu après Tintin. Le côté espiègle me plaisait beaucoup. Par rapport à Tintin, Spirou est même insolent. Le trait à la fois nerveux et élégant de Franquin renforce cet aspect.
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Dans la première histoire, « La Loi du plus fort », vous donnez le nom de Jean-Baptiste au personnage principal. Il deviendra ensuite Spirou (écureuil en wallon). Est-ce une façon de le rendre plus réaliste, plus proche du lecteur ?
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Je voulais surtout répondre aux questions que je me posais enfant. Dans un contexte réel, il était nécessaire d’expliquer ce qui s’était passé. J’ai choisi le prénom Jean-Baptiste car je baptisais Spirou.
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La faim, la peur, l’oppression sont présents dans tous les albums. Est-ce que ce sont des histoires qui traitent de ceux qui sont restés humains sans faire le choix de la résistance armée ?
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Je voulais parler de cette période avec un point de vue humain. Enfant, je me posais beaucoup de questions sur la guerre. Comment aurais-je réagi ? Qui aurais-je été ? je ne sais pas si j’aurais été capable de prendre les armes.
Spirou, étant un exemple pour la jeunesse, ne peut devenir être un combattant et tuer. Il est un humaniste. Dans mes albums, Spirou résiste de manière pacifiste. En France, le roman nationaliste fait croire qu’il y a eu un grand nombre de combattants. Je voulais montrer une autre facette de la guerre. Certains sont juste restés humains.
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La couverture de « Journal d’un Ingénu » représente le drapeau belge. Avez-vous voulu montrer qu’un autre pays d’Europe a réussi lui aussi à résister ?
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Oui. Contrairement à la France qui a connu le gouvernement de Vichy, le gouvernement belge a choisi l’exil à Londres. Le roi a été fait prisonnier. La Belgique est à la fois un petit et un jeune pays (indépendance en 1830). Pourtant, il est dit qu’il s’agit du territoire qui a connu le plus de champs de bataille en Europe.
Les intrigues se passent certes en Belgique mais j’ai voulu m’adresser aux Français en présentant un pays qui lui aussi s’est battu et a souffert de l’Occupation. En Europe de l’Ouest, c’est en Belgique que le seul convoi pour les camps de concentration a été arrêté par une poignée de résistants [Convoi n° 20 du 19 avril 1943].
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Malgré son âge, plus avancé, Fantasio est-il finalement le plus enfant ?
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Il s’agit d’un vrai adolescent. Dans les premiers Spirou, c’est un personnage loufoque, fantasque et imprévisible. J’aime son côté snob. Même si Fantasio est plus âgé que Spirou, il est plus immature. Bel exemple pour les jeunes : Il faut rester plein de défauts.
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L’occupant allemand est représenté comme une machine. Il est anonyme et obscur. Seules 2 exceptions : Le SS belge qui connaît Spirou et le très jeune allemand. Qui est l’ennemi ?
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A la fin de la série « L’Espoir malgré tout », Spirou souffle : « L’ennemi c’est nous ». Il faut avoir une véritable réflexion sur ce que nous sommes.
L’uniforme déshumanise. J’aime le passage de ce Belge volontaire dans la SS. Lors du contrôle, il reconnaît Spirou et hésite dans ses décisions. Puis, lorsque celui qu’il interroge prétend qu’il est Juif, le jeune soldat reprend sa noirceur.
A propos du jeune à la fin de « L’Espoir malgré tout » : la jeune fille, Mieke, lui demande de se découvrir devant une dame, le soldat enlève sa casquette avec la croix gammée dessus. On ne voit alors qu’un enfant perdu et flottant dans son uniforme trop grand.
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La jeune fille, Kassandra, dont Spirou est amoureux est étrangère, membre du Kominterm et s’emporte facilement – au même titre que Mieke. Sont-elles l’antithèse de Spirou ?
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J’ai voulu montrer des femmes qui se battent. En pleine guerre et en tant qu’adolescente, Mieke est en pleine recherche d’identité. Spirou reste, quant à lui, calme. Cependant, le groom est un personnage très féminin.
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Tintin est également présent et sa Belgique catholique et scout. Vos albums sont-ils un pied de nez à l’intégrisme religieux ?
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Je voulais réaliser un hommage et arrêter l’opposition entre Tintin et Spirou. Jeune, je les aimais autant. Pour moi, Spirou se situe plus dans la réalité. Alors que Tintin est un véritable personnage de bande dessinée. Par conséquent, j’ai voulu conserver cet aspect dans « Journal d’un Ingénu » et dans « L’Espoir malgré tout ». Spirou, étant été élevé dans une institution catholique, lit le journal Le Petit Vingtième et aime les aventures de Tintin au même titre que tous les jeunes belges de l’époque.
Le tome 2 de « L’Espoir malgré tout » regorge de références de « L’Etoile mystérieuse ». J’ai repris l’ambiance de fin du monde avec l’Occupation.
Cependant, cela s’arrête là. Certains lecteurs auraient reconnu les traits d’Hergé dans le personnage du jeune SS belge ou d’Heydrich. Ce n’était pas mon intention d’évoquer sa collaboration.
Concernant l’intégrisme, j’ai voulu certes montrer des prêtres ultraréactionnaires mais il y a également ce curé humaniste proche de la figure de prêtre ouvrier.
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Vous vous considérez comme un auteur et non comme un dessinateur. Vous parlez « d’écriture dessinée ». Cela explique-t-il l’importance des bulles dans votre travail ?
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Les dialogues sont le ciment de l’histoire. Cependant, le dessin dit quelque chose indépendamment du texte. Les personnages que je dessine ne sont jamais figés. Ils ont des expressions différentes. Le dessin peut montrer des choses très subtiles. D’ailleurs, je nomme souvent mes personnages acteurs.
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« Journal d’un Ingénu » et « L’Espoir malgré tout » finissent avec à peu près le même plan avec Spirou et Fantasio. Est-ce une ode à l’amitié ?
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Il y a toujours une fille mais celle-ci disparaît. Spirou se retrouve seul et rejoint Fantasio pour de nouvelles aventures. A la fin de « L’Espoir malgré tout », les deux amis marchent vers l’histoire de l’album « Il y a un sorcier à Champignac » (1951) de Franquin.
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Lors de l’exposition << Spirou dans la tourmente de la Shoah » au Mémorial de la Shoah, vous rappelez que vous vous êtes inspiré de Jean Doisy, le créateur de Fantasio, ou encore de Felix Nussbaum. Votre Spirou n’a pas terminé de parler ?
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Je voulais rappeler ce que c’était le nazisme. L’exemple de Félix Nussbaum est criant. Tous les survivants de la Shoah disparaissent progressivement de nos jours. Il faut être conscient qu’ils ont tous été des miraculés.
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Que pensez-vous de la multitude des albums sur Spirou ?
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Une collection a proposé de réaliser un nouveau Spirou. L’idée est très bonne. Ayant carte blanche, j’ai proposé ma propre version.