Au même titre que Jack Kirby, Al Williamson ou encore Frank Frazetta, Wallace « Wally » Wood (1927-1981) est une des figures majeures de l’univers des comic books aux Etats-Unis. Artiste atypique (et donc génial!), il affirmait pourtant que si sa carrière devait être à refaire, il préférerait se couper les mains. Toute œuvre a sa peine…
Wood réalise des exploits : il affirme sa signature en imposant le costume rouge mythique du super-héros Daredevil, dessine les plus belles cases et couvertures du magazine MAD et parodie (avec amour) les personnages du monde de Disney. Dans toutes ces illustrations, violence, humour et érotisme s’entrecroisent. Wood dessine juste ce qu’il désire et ce qui le fascine.
Dans la biographie « Si c’était à refaire« , Guillaume Laborie explore l’univers du maître des comic books. Une plongée aussi passionnante que mystérieuse.
Entretien à propos d’un des plus grands artistes américains – Wally Wood.
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De part ses lectures d’enfance mais aussi son travail tout au long de sa carrière, peut-on dire que Wallace Wood est un enfant d’Edgar Burroughs ?
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S’il a bien sûr lu des romans d’Edgar Burroughs, Wally enfant a surtout dévoré des comic strips (dont le Tarzan de Hogarth et Foster !).Plus tard s’il a dévoré de la science-fiction et de la fantasy en paperbacks comme tout le monde dans les années 50 et 60 (il a été un des premiers auteurs de bd à percevoir le potentiel de Conan), Wally vivait par le dessin avant tout : il lisait des comic strips et voulait en créer aussi, en se rabattant sur les comic books par défaut. Wally fait partie de la première génération d’enfants élevés par la bande dessinée !
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Que ce soit dans sa vie (service militaire bien qu’éloigné des combats) mais aussi dans son art, y’a-t-il une fascination pour la violence chez Wallace Wood ? (« Être armé c’est être libre »)
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La fascination des armes est effectivement évidente chez Wally Wood et l’expérience de la violence dans ses jeunes années (dans la marine marchande entre 1944 et 1946 puis dans le Japon d’après guerre) irrigue son travail pour les EC et notamment Two-Fisted Tales pour Kurtzman. Là encore le potentiel graphique d’une belle arme, d’un beau mitraillage, de l’accumulation de ruines est permanente dans son imagination et il en nourrit sa production en parfaite corrélation avec les demandes des éditeurs. Quand il a l’audace de se lancer dans l’auto-édition, il révèle toutefois d’autres facettes et des aspirations où la violence a certes encore sa place mais de façon plus « nuancée » : l’Heroïc fantasy du Roi du Monde est dans la lignée de ses bandes dessinées d’enfant !
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Quelle est la place des femmes dans le style graphique de Wood ?
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Il a développé un type de femme pour les comic books des années 50 qui est l’exact pendant de la femme fatale des romans ou des films noirs qu’il adore comme spectateur ou des pin-up des GI. Son encrage si caractéristique reprend les codes de la photographie des maitres du film noir (Douglas Slocombe, James Wong Howe…) et il s’inspire aussi au maximum possible des actrices du genre comme Will Eisner à l’époque du Spirit comme des modèles des premières revues « érotiques ». Son traitement en quelques coups de pinceau sur un encrage rend sexy n’importe quel personnage féminin dessiné par n’importe quel autre auteur : ses encrages sur Kirby sont ainsi fascinants parce qu’il donne une personnalité et un charme inhabituels aux personnages féminins du maître Jack Kirby.
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Tentacules, yeux globuleux, dents acérés,… Les monstres fascinent-ils Wood car disponibles à sa plus grande fantaisie ?
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Wood adore dessiner toutes sortes de créatures : je pense au travail d’un autre génie du pinceau qu’est André Franquin qui s’amuse à peaufiner le pelage de chats ou d’autres monstres rigolos ou plus terrifiants…c’est un exercice autant qu’une détente pour un pratiquant du pinceau !
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Wallace Wood est-il un artiste qui se démarque dans les détails (architecture complexe, vaisseaux…)?*
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La richesse des décors est son point fort dans le travail pour EC : il s’en plaint d’ailleurs et reprochera à l’éditeur de lui en demander toujours plus sans augmenter les tarifs (qui étaient à l’époque les plus hauts et de loin du système !). Bien avant H.R. Giger, il dote les vaisseaux spatiaux d’une dimension techno-organique surprenante et encore toujours marquante !
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Quel est l’esprit des premiers numéros de Mad ? Wood était-il un anti-Disney ?
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Comme le dit le proverbe « qui aime bien châtie bien », Kurtzman, Elder, Wood mordent à pleines dents dans la prospérité des années cinquante et sa culture tout en en moquant les traits saillants. Non seulement Wood n’a sans doute jamais été anti-Disney mais il aurait pu devenir un des nombreux artistes ayant travaillé pour Disney s’il avait fait le trajet en Californie. Le succès de Mad l’a au contraire fixé définitivement à New York contrairement à des amis illustrateurs comme Al Williamson ou Pablo Ferro qui ont eux choisi de fuir l’hystérie anti-comics des années 50 et se sont réfugiés sur la côte Ouest. Ferro est devenu un grand storyboarder pour le cinéma et Williamson a commencé une longue collaboration avec Dell Comics qui avait d’ailleurs les licences Disney. Wood aurait pu devenir un des piliers des Disney de Dell comme Murry ou Barks ! Il a choisi de rester sur la côte Est parce qu’il a profité pendant une dizaine d’années du succès de Mad mais rien ne dit qu’il n’aurait pu bâtir toute une autre carrière sur la côte Est ! Russ Manning y travaillait sur Tarzan d’ailleurs pour Dell. Autre exemple, Alex Toth émigre à la même époque à Hollywood et y devient une référence dans le design de dessins animés …beaucoup de studios autre que Disney auraient pu l’accueillir. Il tentera d’ailleurs beaucoup plus tard de rejoindre Ralph Bashki.
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La série de cartes Mars Attacks (1962), réalisée avec Norman Saunders, est un travail de commande. Y’a-t-il tout de même une patte distincte de Wood ?
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Mars Attacks est même une des premières preuves de l’influence du travail de l’artiste : en 1961, le tout débutant Len Brown propose le concept de la série à Woody Gellman en lui montrant la couverture de Weird Science 16 (1952) par Wood avec son iconique atterrissage d’aliens. Une fois le feu vert donné, Wally va livrer de nombreuses ébauches de cartes et le design des martiens pour ce qui va constituer un des évènements de l’année 1962 !
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Qu’apporte Wood au personnage de Daredevil ?
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C’est la grande contribution méconnue de Wood au Marvelverse que cette refonte d’un titre il faut le dire un peu bancal au départ. Le nouveau design du costume qui fait réellement du héros un « devil » est toujours en place depuis le numéro 7 de 1964 et c’est un des signes qui ne trompent pas dans le monde des comics! Contrairement à Steve Ditko et Jack Kirby qui sont restés longtemps soumis à Stan Lee, Wood de par son historique de succès a très tôt demandé beaucoup plus d’argent à Lee : celui-ci n’a pas cédé provoquant le départ de l’artiste…
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La collaboration entre Wood et l’Europe est-elle finalement un rendez-vous manqué ?
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Elle arrive malheureusement trop tard : il est déjà brisé et ne pourra saisir complètement ses nouvelles opportunités. Il dépend en fait depuis presque la fin des années soixante de ses assistants et il est incapable de mener le projet du Wizard King sans eux qui entament des carrières personnelles ou arrêtent la bande dessinée.
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En 1981, Wood se donne la mort à l’âge de 51 ans. L’artiste s’est-il sacrifié au travail ?
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Un suicide est toujours une tragédie avant tout personnelle et un mystère pour les autres. Ce qui est sûr c’est que dès le début, Wally Wood a mené une carrière reposant sur un travail forcené et une hygiène de vie déplorable : beaucoup de boisson, beaucoup de tensions, beaucoup de sautes d’humeurs et des alternances d’euphories et de dépressions…une accumulation de travaux où la rémunération immédiate est vite dilapidée sans assurer de lendemain. C’est en grande partie la faute du système à l’époque et à sa façon l’artiste participe à la lutte pour l’émergence d’un statut de l’artiste (royalties, droit sur les réimpressions…) mais Wood ne profitera pas des avancées des années 70 puis 80 sans parler de la nouvelle donne avec les films de superhéros des dernières années. Le système dans lequel il se débat alors exige une productivité constante or dès le début des années 70 ses problèmes avec l’alcool l’ont physiquement marqué. Ses relations avec les éditeurs sont aussi de plus en plus problématiques : il n’est plus qu’une gloire passée au caractère jugé mauvais pour les nouveaux responsables éditoriaux et il ne peut plus assuré que des travaux d’encrage basiques pour les grands éditeurs. La dégringolade vers des éditeurs de deuxième voire troisième zone est inévitable (ses derniers travaux érotiques !) et à ses soucis de santé se joignent les soucis d’argent. Au moment de son suicide, il est dans un état d’effondrement physique généralisé qui ne lui laissait sans doute plus d’issue…Il est évident que le système des droits d’auteurs actuel lui aurait permis de retrouver une aisance bienvenue.
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