Bien qu’inconnue de beaucoup, l’Expédition du Mexique (1861-1867) fut au cours du XIXème siècle une intervention majeure de l’armée française. Désireux d’instaurer un empire sud-américain à la fois catholique, stable et dépendent de la France, Napoléon III décide de mettre sur le trône (aztèque) le jeune Maximilien de Habsbourg. Le nouveau monarque, au destin funèbre, a été accompagné de son épouse, Charlotte de Belgique. La jeune fille de Léopold Ier devient ainsi l’Impératrice d’un Mexique au bord de l’insurrection.
Depuis 2018, le scénariste Fabien Nury et le dessinateur Matthieu Bonhomme mettent en scène la vie de Charlotte dans ce territoire si lointain et si hostile. Avec son histoire passionnante et son dessin captivant, « Charlotte Impératrice » continue de nous enchanter. Tome 3 et avant-dernier album, « Adios, Carlotta » est un crépuscule pour l’Impératrice.
Entretien avec Matthieu Bonhomme à propos de cette bande dessinée bluffante.
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L’Expédition du Mexique est un sujet peu abordé dans la culture et finalement peu connu. C’est pourtant un moment de l’histoire où des peuples et des civilisations se sont affrontés avec des armes modernes. Le sujet est-il finalement difficile à traiter ?
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Tout d’abord, Fabien Nury s’est occupé de l’histoire. Pour cela, il a beaucoup étudié le Mexique durant cette période, le rôle de la France et son envie d’expansion coloniale. C’est ainsi que Fabien a découvert le personnage de Charlotte, princesse de Belgique et épouse de l’empereur Maximilien Ier.
Je suis ensuite arrivé sur le projet. La difficulté a été la recherche de documentation. Il fallait être fidèle à l’époque et aux personnages qui avaient vraiment existé. Cependant, cette dernière est riche grâce à la naissance de la photographie et de la presse illustrée. De plus, il existait encore les peintres de cour. De nombreux portraits ont été réalisés à cette époque.
En général, je fais également mes recherches dans le cinéma. Quelques rares films ont traité l’expédition du Mexique et la retranscription y est assez mauvaise. Les soldats portent des uniformes plus ou moins inventés. Malgré tout certaines ambiances ou paysages peuvent aussi nourrir mes visuels.
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Vous vous inspirez de sources mondaines (gravures et journaux) notamment lors des cérémonies impériales ou pendant le mariage de Charlotte. L’intrigue plonge peu à peu dans les ténèbres. Avez-vous également fait des recherches dans le Mexique populaire et indigène ?
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J’ai fait des recherches sur le peuple mexicain et les villes. Nous ne voulions pas tomber dans la caricature du sombrero. Par conséquent, j’ai réalisé des croquis d’images du Mexique. Les images que j’ai pu trouver de la révolution de 1910 m’ont également inspiré, notamment les visages et les tenues portées. Les rebelles y apparaissent dangereux et les femmes ont une vraie personnalité. C’est une façon de montrer que l’empereur et l’impératrice ont connu des difficultés à asservir le Mexique.
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Charlotte impératrice ne ressemble pas à la vraie Charlotte. Vous ne la trouviez pas assez jolie. Qui vous a inspiré votre Charlotte ? Est-elle plus proche de l’image de Sissi ?
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Dès le départ, je me suis interrogé sur le dessin des personnages historiques. Devais-je les représenter comme ils étaient vraiment ? J’en ai fait le choix avec Leopold Ier, Maximilien et les frères de Charlotte. Cependant, il faut parfois s’extraire de la réalité. Ce fut le cas pour Charlotte. Graphiquement, je n’arrivais pas à lui rendre les traits séduisants et à les simplifier afin de pouvoir les transposer sur une jeune fille puis sur une impératrice. Charlotte devait être malléable.
Lorsqu’on voit les photos de l’époque, Sissi était une belle femme. Je la représente de façon réaliste dans le tome 1 tout en renforçant son côté pimbêche.
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Comment est née la couverture macabre du tome 3 ?
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En bande dessinée, la couverture est toujours un vrai sujet. Pour le tome 2, dès le début, nous savions que nous devions représenter Charlotte à cheval dans un paysage brulant. Ce fut un long processus.
Pour le tome 3, ce fut une histoire différente. Avec Fabien, nous réalisions le story board du décès de Léopold Ier. Il coïncide avec la fête des morts. Par conséquent, les scènes s’entrecroisent. Des figures morbides apparaissent et un squelette sort de la page. Il est alors apparu à Fabien que nous venions de trouver la couverture. J’ai mis de la couleur sur le croquis et je l’ai mis de côté.
En général, l’éditeur demande de travailler sur la couverture à la fin de la réalisation. Lorsque nous avons présenté le croquis – ce fut une surprise car pour le tome 1 et 2, Charlotte était toujours représentée. Il a fallu que je cherche d’autres visuels, mais mes autres propositions de couverture furent faibles face au squelette. Par conséquent, nous avons gardé cette piste.
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« Adios Carlotta » montre les corps qui se libèrent. Charlotte est-elle un objet de désir ? (Phallus sculptés, conseils, nudité)
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Il n’y a pas de démarche volontaire d’aller vers un récit érotique. Nous voulions raconter l’histoire d’un adultère. Sous l’influence de cette entremetteuse aux dents écartés qui semble manger des hommes comme s’ils étaient des gâteaux, Charlotte s’émancipe par rapport à l’emprise de son mari. Dans ce tome 3, elle a le droit d’être une femme.
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L’inscription de la chanson « Adios Mamà Carlotta » est-elle une façon d’enclencher le volet de la tragédie ?
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La scène où les Mexicains entourent de façon menaçante le couple impérial fait écho à celle du tome 2 où le peuple les acclame. Charlotte n’est plus triomphante. La foule chante « Adios Mamà Carlotta » pour se moquer d’elle puis la violence commence.
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Il y a aussi le volet western avec une exécution et des escarmouches. Ce sont des scènes qui donnent du plaisir à dessiner ?
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Dans le tome 1, il y avait déjà de l’action sans que ce soit de la bagarre et sans qu’il y ait de coups de feu, la scène où cet homme est fessé à coups de ceinture est rude.
Dans le tome 3, la violence est présente pour représenter la déchéance du couple impérial. La maquette piétinée dans la boue symbolise la chute.
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Que représentent les animaux ?
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Ils accompagnent la légende et y apportent de la menace. Les animaux crient dans ce tome 3. La faune et la flore semblent s’unir contre les personnages. Charlotte vacille, crève de chaud et bascule. Je l’ai rarement dessinée de face et droite. Le lézard du début et de la fin du tome 3 est l’animal de la sorcière. Charlotte est comme maudite par une force mystérieuse et immortelle.
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Comment sera le tome 4 ?
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Ce sera le dernier album. Fabien vient de terminer le scénario. L’histoire se passera essentiellement en Europe. Alors que les autres tomes étaient assez linéaires et se passaient dans un temps d’environ 2-3 ans, le prochain s’étalera sur plus de 10 ans. Le récit va être bouleversé. Chacun des personnages aura son moment de bravoure.
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