Lorsqu’on pense espionnage, les images et histoires de James Bond, du KGB, de John Le Carré ou encore de Casanova nous viennent à l’esprit. L’univers médiéval est moins évident. Et pourtant, les guerres et conspirations sont innombrables durant cette immense période de l’Histoire. Des personnalités comme Charlemagne, Richard Cœur de Lion ou encore Louis XI ont su s’entourer d’ombres.
Que trame l’ennemi ? Comment le détruire de l’intérieur ? Peut-on faire confiance envers nos alliés ? Comment mieux défendre le territoire ?
Toutes ces questions se sont posées et les espions ont eu la charge d’obtenir les réponses. Valentin Baricault a étudié le vaste sujet dans son livre « L’Espionnage au Moyen-Âge » en utilisant de multiples sources. Sans écoute téléphonique et sans gadget, le pouvoir a su manœuvrer dans l’ombre.
Entretien avec Valentin Baricault sur ce Moyen-Âge secret.
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« Je gette toutes vos lettres au feu » Preuve du mécanisme de sécurisation de l’information. Est-ce un exercice difficile d’écrire une histoire de l’espionnage au Moyen Âge ?
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De prime abord, avec la volonté de détruire toute preuve d’espionnage, nous pouvons penser qu’il existe peu de preuves de renseignements transmis. Cependant, nous pouvons également étudier d’autres sources telles que les chroniques, les archives judiciaires et les registres de délibérations de villes. Au XII-XIIIème siècles, il y a d’ailleurs une explosion documentaire.
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Le Moyen Âge est une période longue. Y’a-t-il eu des temps de l’espionnage qui se démarquent les uns des autres ?
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Pas nécessairement mais les périodes de guerre sont propices à l’envoi d’éclaireurs afin d’observer les manœuvres de l’ennemi. L’espionnage des villes est constaté dès la seconde moitié du XIIIe siècle en Italie alors qu’en France nous pouvons le remarquer uniquement au début du XVème siècle. Chaque commune transalpine adopte un système d’espionnage en lien avec l’économie et la diplomatie. La ville de Bologne a même une personne engagée pour cela.
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Vous comparez l’espion avec la prostitution en tant que « plus vieux métier du monde ». Était-ce un individu secret qui était méprisé ?
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Il y a avant tout une méfiance qui pousse l’autre à se munir lui-même d’espions. Il s’agit d’individus qui doivent rester secrets et anonymes. On est capable d’espionner, mais on ne veut surtout pas subir cette pratique infamante, associée au mensonge, à la dissimulation, à la duperie.
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L’ambassadeur vit dans les cours étrangères. Est-il un espion embarrassant car diplomatiquement protégé ?
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Le diplomate représente une autorité politique étrangère. C’est un risque d’inviter une personne étrangère. Le diplomate Philippe Commynes constate qu’une telle personnalité vivant dans la cour d’un autre prince peut obtenir facilement des renseignements secrets. Lors de sa venue à Venise en 1494 , il comprend qu’il doit également espionner.
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Quelle est la représentation iconographique et littéraire ?
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Les sources sont rares. Alors que j’étais en vacances en Normandie, je me suis rendu au Musée de la Tapisserie de Bayeux. Muni d’un audio-guide, je constate que la broderie du Xième siècle montre un espion caché dans une cour pour écouter. Le personnage est plus petit que les autres. Est-il à l’écart ou est-il une figure plus réduite comme un esclave, à l’image des représentations iconographiques en Grèce ancienne ? Serait-il donc un être inférieur car il s’agit d’un espion ?
L’ensemble de la tapisserie illustre des messagers et des éclaireurs. Chacun ayant sa propre mission.
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Le bon espion est-il celui qui a avant tout une mission de défense des territoires ?
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Dans « le Livre du corps de policie » (XVème siècle), la philosophe Christine de Pizan glorifie en effet celui qui défend le territoire, notamment en usant des espions. Au cours du même siècle, en pleine Guerre de Cent ans, le roman de chevalerie «Le Jouvencel » raconte la volonté du fils du roi Amydas de conquérir une ville. Le père désapprouve ses méthodes qui consistent à utiliser des espions. N’écoutant pas, le fils prend enfin la ville. Midas déclare alors : L’offense est à vous et non pas à moy ». Cette histoire révèle que l’éthique chevaleresque continue de perdurer au XVème siècle. L’espionnage reste une pratique infamante.
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Les croisés convertis à l’Islam ont-ils été les parfaits espions pour le Sultan ?
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Les croisades ouvrent un espace géographique particulier et une période longue. Les Turcopoles sont des membres de la cavalerie légère qui se sont convertis au Christianisme. Ils ont même une place particulière dans la règle du Temple. En 1192, les Turcopoles sont utilisés comme éclaireurs lors de l’attaque de la caravane égyptienne par Richard Cœur de Lion. Malgré le fait qu’il a des origines lointaines, le roi d’Angleterre a été capable de prendre des éléments locaux afin d’accomplir des objectifs militaires en Palestine.
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Les éclaireurs et le génie sont-ils des espions en plus d’être des soldats ?
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Ils observent de loin et avancent dans des territoires ennemis. Dans les sources des croisades, on parle de sentinelles. Les éclaireurs n’ont pas l’objectif de s’infiltrer dans les rangs de l’ennemi.
Lors du Siège d’Antioche en 1098, une opération de renseignements est lancée afin de prendre contact avec un individu installé à l’intérieur des murs. De telles opérations restent tout de même limitées.
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Louis XI est-il le roi qui met en place les premiers services secrets français ?
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Le terme est anachronique car il n’y a pas de réelles organisations. Cependant, nous pouvons constater des prémices significatives. Plusieurs sources démontrent que le roi maîtrise la communication en particulier contre Charles le Téméraire avec notamment les chevaucheurs de la poste royale.
Il y a également une volonté de cerner les espions ennemis. Louis XI met tout en œuvre de mater toute querelle à travers certains procès. La documentation de contre-espionnage est mise en place afin de capturer plus facilement les traitres. En 1477, après la victoire contre le Téméraire, le roi de France écrit une ordonnance demandant à ce que tout sujet qui détient une information à propos d’espionnage doit prévenir les autorités. Par ses méthodes, Louis XI réussit à étendre son royaume de façon maximale.
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Par la littérature, la Renaissance est souvent perçue comme l’âge d’or de l’espionnage. L’époque fait-elle à nouveau de l’ombre du Moyen-Âge ?
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Par opposition à l’Antiquité, la Renaissance a construit le mythe que le Moyen-Âge était une période de ténèbres. A propos de l’espionnage, c’est une ineptie puisque Végèce, écrivain romain du IVème siècle, est une des personnalités les plus recopiées à l’époque médiévale. De nombreux passages de l’Epitoma rei militaris traitent de l’espionnage.
Dans le testament politique destiné à son fils Charles VIII, Louis XI reprend des passages entiers écrits par Végèce. Il considère qu’il s’agit d’instructions utiles pour l’avenir du royaume.
L’espionnage est important pendant la Renaissance car des débuts préexistaient. Des réseaux de guetteurs et de juridictions sont déjà en place.
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Illustration de couverture : Détail de la Tapisserie de Bayeux : Depuis Telham hill, un éclaireur-messager observe l’armée du duc Guillaume, puis se retourne prévenir le roi Harold »