Depuis toujours les monstres nous fascinent. Pour leur aspect surnaturel mais aussi pout la menace qu’ils génèrent. Il existe également des figures à visage humain et qui pourtant deviennent des êtres destructeurs. Adolf Hitler est depuis les années 20 un objet de fascination. Historiens, cinéastes, sculpteurs, dessinateurs,… tous ont dressé un portrait du führer – cet artisan de guerre et de mort. Face à cette petite moustache, ce regard d’aigle et ces gestuels grandiloquents, nous sommes comme intrigués (voire pis fascinés!).
Après avoir illustré les monstres vampiriques comme Dracula ou Carmilla, après avoir dessiné les grandes tragédies du XXème siècle (Auschwitz et Tchernobyl), l’artiste Pascal Croci publie un nouveau portrait : « Hitler« .
Le leader nazi est ici montré entouré de marées humaines et d’une poignée de femmes. Victimes parfois bourreaux, ces dernières sont nos guides dans l’enfer d’Hitler.
Entretien avec Pascal Croci.
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Après les vampires, Tchernobyl et Auschwitz, y’avait-il un cheminement logique de réaliser tôt ou tard sur un autre monstre : Adolf Hitler ?
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Je parlais déjà d’Hitler dans « Tchernobyl » mais je n’avais pas prévu de réaliser un livre sur lui. Lorsque j’ai finalement eut l’idée du projet, je ne voulais pas parler du monstre ou du personnage mais de la personne. Le jeune Hitler a été terriblement frustré de ne pas être accepté aux Beaux-arts de Vienne. Je parle même de castration face à toute forme d’échec. Je crois que toute forme d’échec peut vous amener à trouver un bouc émissaire. Son antisémitisme n’était bien entendu pas une exception. Le racisme était présent partout en Europe. La frustration d’Hitler s’est complétée avec la haine de l’époque.
J’ai de plus été inspiré par l’expérience de Milgram. On la retrouve dans le film « I…comme Icare » (1979). Réalisée au début des années 60 par le psychologue américain Stanley Milgram, cette démonstration consiste à évaluer le degré d’obéissance d’un individu. Elle a notamment été mise en place après les horreurs survenus lors de la Seconde Guerre Mondiale, où des millions de juifs ont été massacrés par les nazis. Par ces tests, les spécialistes ont compris que l’être humain pouvait obéir à un ordre supérieur et pourtant contraire à ses valeurs.
Tout comme le personnage d’Yves Montand dans « I…comme Icare », il est intéressant de vivre cette expérience.
Les relations qu’entretenaient Hitler avec les femmes m’intéressaient également de développer.
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Dès la première page de votre livre, une femme témoigne. Il s’agit d’Irma Grese surnommée « La Hyène d’Auschwitz » à cause de sa cruauté envers les détenus. Les figures féminines sont omniprésentes dans « Hitler ». Vous intégrez même Anne Frank. Est-ce avant tout une œuvre sur les femmes ?
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C’est surtout sur l’amour. Une grande partie de ses femmes étaient éperdument éprises d’Hitler. J’ai voulu illustrer ces passions tout en montrant les horreurs qui se passaient en même temps dans l’Europe occupée.
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Les femmes seront toujours présentes dans vos œuvres ?
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Oui elles le seront toujours. Esthétiquement, j’aime dessiner des femmes avec retenue dans le style de Greta Garbo ou d’Audrey Hepburn.
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Tout au long « d’Hitler », nous retrouvons des dessins inspirés de photographies de la Seconde Guerre mondiale et de films. Avez-vous voulu que le lecteur retrouve ses repères ?
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J’ai voulu rendre hommage. Dans « Tchernobyl » et « Auschwitz », je m’étais déjà inspiré d’images du documentaire « Shoah » de Claude Lanzmann. J’utilise également des repères historiques. A la fin de « Tchernobyl », je reprends les dernières paroles de Nicolae et Elena Ceausescu avant qu’ils ne soient exécutés. Il s’adresse aux soldats comme s’il s’agissait de ses enfants. Cependant, le lecteur n’a pas besoin de reconnaître ces images pour apprécier le livre.
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Y’avait-il un risque qu’« Hitler » soit comparé à « Auschwitz » ?
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Je craignais surtout que mon projet ne soit pas retenu. Un grand nombre de maisons d’éditions avait refusé de publier « Auschwitz ». Même pour « Adolphe », des scènes de sexe explicite ont été coupées. Cependant « Hitler » est visuellement moins violent.
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Hitler apparaît de temps en temps dans votre livre. Est-il un spectre ?
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J’avais réalisé le même exercice pour « Dracula ». Dans la première partie, je présente le personnage historique, Vlad Tepes. Pour le reste de l’intrigue, j’avais connu des difficultés parce que je ne savais comment le représenter. J’ai alors pris la décision de ne pas montrer Dracula.
Pour Hitler, il est certes peu présent mais avec ses écrits, il accompagne le récit. Pour la couverture, j’ai utilisé les caractères du générique « Alien – le Huitième passager (1979). Le nom d’Hitler est à peine visible. Il est comme un étranger à notre civilisation. La couverture a pu gêner certaines personnes. Le mal fascine autant qu’il dérange.
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Est-ce un livre qui dénonce les masses ?
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Oui. Cette dénonciation était déjà manifeste dans un dessin d’ « Auschwitz » où certaines personnes s’accrochent à la voiture d’Hitler. J’ai aimé faire le parallèle avec l’aura qu’avait connu Michael Jackson.
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Vous faites également référence à la légende du joueur de flûte de Hamelin. On dénonce mieux en utilisant les mythes ?
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La métaphore du rat a été utilisée pour comparer à la fois les Juifs et les Nazis. Dans « Hitler », je compare ceux qui ont pris part au mouvement d’Hitler aux rats qui suivent aveuglément le joueur de flûte de Hamelin. Chacun court à sa perte.
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Vous dénoncez les comportements d’aujourd’hui : Ces jeunes qui réalisent des selfies alors qu’ils visitent les camps d’extermination. Sont-ils les nouveaux obscènes ?
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Plongés dans le monde des jeux vidéo, beaucoup n’arrivent plus à distinguer la réalité et par conséquent avoir des émotions. Même dans la vie de tous les jours, lorsque quelqu’un s’adresse à autrui, certains ne disent plus bonjour. Nous sommes pourtant des êtres humains pas des écrans.
A la fin du livre, je reprends les propos de Charles Baron, rescapé au camp de Birkenau, car il s’adresse avec sa chair. L’historien raconte avec des sources écrites et visuelles mais il est nécessaire d’écouter et de lire les témoins et les victimes. Avec le temps, il y en a de moins en moins. C’est une tragédie car les révisionnistes et les négationnistes en profitent.
