« Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure. ». Ainsi débute « La Divine Comédie » (début du XIVème siècle), le grand chef-d’œuvre de la littérature italienne. Né de l’esprit vertigineux de Dante (1265-1321), le poème composé en trois partie (L’Enfer, Le Purgatoire et Le Paradis) n’a jamais cessé de passionner et d’intriguer. Le récit médiéval est d’autant plus célèbre pour sa première partie (Inferno). Plongé dans l’incertitude au milieu d’une forêt tourmentée, Dante fait la rencontre de son maître à penser, Virgile. Le grand poète de l’Antiquité lui demande de le suivre car Béatrice, la jeune fille que Dante aime par-dessus tout, souhaite en effet la venue de son aimé au Paradis. L’Enfer est le seul chemin pour y accéder.
Grands metteurs en scène de dessins animés tels que « Astérix et la Surprise de César » (1985), « Le Bossu de Notre-Dame » (1996) ou encore « Fantasia 2000 » (1999), les frères Brizzi sont également de remarquables illustrateurs, Après Boris Vian, Gaëtan et Paul se sont penchés sur le premier cantica de « La Divine Comédie ». L’Enfer n’a jamais été aussi glacial mais également humain…
Entretien avec les frères Brizzi qui exposent actuellement leur travail à la Galerie Daniel Maghen à Paris.
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Lorsqu’on travaille sur « La Divine Comédie ». Est-on également dans un moment de réflexion voire de doute ?
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Gaëtan Brizzi : Absolument. Quand Olivier Souillé, Directeur de la Galerie Daniel Maghen, nous a exhorté d’adapter l’Enfer de Dante en bande dessinée, nous avons tout de suite été septiques. Il s’agit d’une œuvre colossale, complexe, emblématique de toute la littérature italienne. Olivier a alors rétorqué : « Il n’y a que vous qui pouvez le faire. Nous avons réfléchi et comme nous aimons relever les défis, nous avons finalement accepté. En premier lieu, il a fallu savoir par quel moyen on faisait l’adaptation de « L’Enfer de Dante » en un seul album. Il s’agit d’une œuvre ardue voire rébarbative parfois. Avec Paul, nous avons décidé de vulgariser et de simplifier les moments les plus révélateurs de « L’Enfer de Dante ».
Il a fallu 20 mois pour réaliser ce livre. Cela inclut aussi le travail d’adaptation. Nous avons dû faire des choix afin d’éviter les redondances et mettre en lumière les grands moments de l’histoire. Nous voulions proposer une version à la fois fidèle et moderne de « L’Enfer ». Nous avons eu même envie de développer le récit en illustrant les réactions et les sentiments des personnages.
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Est-ce aussi le fait que vous ayez des origines italiennes que vous avez choisi d’illustrer l’œuvre de Dante ?
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Paul Brizzi : Nous sommes en effet d’origine italienne. Nos parents viennent de Calabre. Dès l’enfance, nous sommes allés visités l’Italie. Je dois ajouter qu’en plus je me suis marié avec une Italienne . Nous avons eu beaucoup de plaisir à réaliser « L’Enfer de Dante » car en effet cet aspect italien nous parlait beaucoup.
« La Divine Comédie » de Dante Alighieri est encore une véritable institution en Italie puisque le livre est toujours étudié au lycée. Le projet d’adaptation BD aurait pu refroidir certaines personnes. Cependant, plusieurs lecteurs italiens nous ont dit que, moi et Gaëtan, avions réussi notre adaptation. De telles opinions favorables sont de véritables compliments pour nous..
Gaëtan Brizzi: En 1976, nous avons été pensionnés de l’Académie de France à Rome. A l’époque, nous réalisions des dessins animés et le jury avait jugé que notre travail méritait d’être présenté à la Villa Médicis. Pendant deux ans, nous avons le plaisir de vivre dans le cœur de Rome.
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La complicité que trouve Dante avec son maître à penser Virgile vous plaisait ?
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Gaëtan Brizzi : Nous voulions en effet montrer cette dimension humaine au-delà de l’ambiance dantesque. Il fallait une relation entre Dante et Virgile pour que le lecteur puisse s’identifier au premier. Le protagoniste a des réactions et des comportements que n’importe qui pourrait avoir. Nous voulions Dante à la fois humain et moderne face à un Virgile plus digne. Ce dernier connaît l’Enfer. Il guide Dante et le rassure. Au fur et à mesure du récit, Virgile devient un frère.
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Que fait Paul ? Que fait Gaëtan ?
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Paul Brizzi : Nous avons toujours souhaité que le lecteur puisse penser que nos œuvres aient été réalisées par une seule main. Il est nécessaire que les illustrations soient esthétiquement homogènes. Techniquement parlant, je m’occupe des personnages et Gaétan dessine les architectures et les paysages. Nous composons au brouillon chaque page afin que nous puissions nous accorder sur la mise en scène. Puis, nous nous partageons les planches. Chacun laisse la place à l’autre. Etant jumeaux, nous avons toujours partagé le travail ensemble. Avec Gaétan, nous sommes une vraie force.
Gaëtan Brizzi : L’essentiel de notre parcours est dans l’animation. Nous avons travaillé ensemble sur des storyboards avec les studios américains comme Disney, Universal ou Dreamworks. Nous sommes rompus à la mise en scène cinématographique.
Nous avons toujours aimé échanger et discuter avec l’aide de post-it. Au fil du dialogue, nous finissons par nous mettre d’accord.
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Les plus grands artistes ont illustré « La Divine Comédie » – Botticelli, Gustave Doré, Auguste Rodin, William Blake ou encore Salvador Dali. Était-ce un exercice difficile ou vous avez décidé de vous faire avant tout plaisir ?
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Paul Brizzi : Gustave Doré a tout fait (Don Quichotte, les 1001 Nuits, les fables de La Fontaine,…). Malgré le fait que nous avons cherché une certaine originalité, nous sommes pétris de culture franco-italienne. Forcément ces maîtres sont inspirants. « L’Enfer de Dante » est un hommage à tous ces immenses artistes qui sont universels.
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Dante est dessiné de façon assez réaliste mais comment avez-vous imaginé Béatrice ?
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Paul Brizzi : Béatrice est idéalisée dans le poème original. Elle a cet aspect divin car cette jeune fille est celle pourquoi Dante est parti en Enfer. Le protagoniste aime tellement Béatrice qu’il est prêt à affronter toutes ces épreuves. Nous voulions dessiner Béatrice à la fois latente et lumineuse. Elle est plus grande que nature. Pour Béatrice, je me suis inspiré du symbolisme préraphaélite et des grandes figures botticelliennes. Ses cheveux sont ondulés telle une Vénus.
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Les suppliciés souffrent, grimacent, sont condamnés à l’effort. Les corps sont en torsion, gras presque sauvages. Votre Enfer a-t-il finalement un visage humain ?
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Gaëtan Brizzi : Dante décrit peu les univers de « La Divine Comédie ». Nous avons pu travailler sur des adaptations des romans de Boris Vian et ce fut un vrai plaisir d’illustrer ce que raconte le récit. Dante est par contre peu dans la description. Cependant, il surprend son lecteur. Lorsque Dante et Virgile arrivent face au diable, ils se retrouvent dans une sphère glaciale ce qui est aux antipodes de notre vision habituel de l’Enfer. Dans « La Divine Comédie », il n’y a pas de flamme ou de fournaise. Par conséquent, cette originalité nous a beaucoup intéressés à illustrer.
Paul a voulu dessiner un minotaure prostré car Thésée lui a échappé. Dante croise à la fois des figures païennes comme des figures chrétiennes. Cette déambulation permet également d’explorer des décors différents. J’ai voulu des environnements avec de véritables vibrations et des vertiges. Dès les premières lignes de « La Divine Comédie », « Au milieu du chemin de notre vie, ayant quitté le chemin droit, je me trouvai dans une forêt obscure. », j’ai voulu illustrer cet environnement tourmenté. Il m’a fallu dessiner une vingtaine de forêts obscures avant de trouver la bonne.
Lorsque Dante passe la huitième porte, il fait face à une gigantesque porte qui disparaît dans les ténèbres. Nous voulions décrire par le dessin les bouillonnements, les vapeurs et la pestilence que raconte Dante. Nos personnages subissent également les ombres et les lumières de l’Enfer. Il faut que le lecteur puisse croire qu’il accompagne Dante et Virgile.
Paul Brizzi : Vous avez au départ une vision dans votre tête. Vous devez ensuite la retranscrire en dessin puis vous vous voulez laisser emporter.
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Comment avez-vous imaginé le diable ?
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Paul Brizzi : Nous avons beaucoup hésité à propos de son apparence. Puis, nous avons choisi son aspect le plus populaire : le bouc. Dans notre adaptation, Lucifer est bestial, velu et gigantesque. Au contraire de celui de la vision de Dante, nous le voulions effrayant.
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Il y a également le dessin animé. Était-ce un clin d’œil à votre passé de réalisateurs de films d’animation ?
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Gaëtan Brizzi : Il s’agissait d’une demande de l’Ecole d’animation Georges Méliès. Pour la Fête des Images d’Epinal où on projette des animations sur les immeubles de la ville, les étudiants devaient réaliser un court métrage dessin animé sur notre « Enfer de Dante ». Le directeur Franck Petita nous a par conséquent invités pour que nous puissions échanger lors d’une conférence avec eux. Nous leur avons donné toute la liberté possible. Le résultat est épatant.
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« Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ». Votre éditeur cite Mark Twain pour vous féliciter. Dante est-il un auteur plus difficile à adapter que Goscinny-Uderzo, Victor Hugo, Edgar Rice Burrough ou encore Boris Vian ?
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Gaétan Brizzi : En travaillant sur Dante, il est évident que nous n’avons pas choisi la facilité. Nous voulons toujours aller au bout de notre savoir-faire et nous renouveler sans cesse.
Paul Brizzi : Nous persistons même. « L’Enfer de Dante » est un succès (10 jours après la sortie, une réimpression a été programmée) et par conséquent, avec l’accord d’Olivier Souillé, nous allons continuer à interpréter les grands textes. Après Dante, les écrits de Shakespeare, de Rabelais et de Cervantès seront illustrés.
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Pas de Purgatoire ou de Paradis de prévu pour vous ?
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Gaëtan Brizzi : Les artistes ont toujours été attirés plus par l’ombre que par la lumière. Entre l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, nous avons tout de suite choisi le premier. Nous pourrions en effet continuer d’illustrer l’œuvre de Dante mais nous sommes déjà bien occupés avec nos futurs projets. Nous verrons.
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