La presse féminine peuple de nos jours tous les kiosques. Adaptée à son époque, elle touche à la fois tous les âges et tous les genres de femmes. Il y a plus d’un siècle, les journaux et les magazines réservés à la gente féminine étaient pourtant minoritaires. Ce temps, celui de la Belle époque puis de la Grande Guerre, était encore loin de celui du droit de vote des femmes ou encore de l’accès à la contraception.
Pourtant, la presse féminine d’avant la Première Guerre mondiale mérite une étude attentive. En effet, bien qu’il s’agit d’une lecture souvent réservée à une classe particulière : la bourgeoise, les articles du Cachet de Paris ou encore L’Elan de la Mode traitent davantage du rôle de la maîtresse de maison. Peu à peu, les femmes s’adressent aux femmes sans le contrôle d’un homme ou du mari.
Gaëlle Noirot, diplômée d’un master de recherche en histoire contemporaine, réalise une étude sur La bourgeoise française : beauté et apparence à travers la presse féminine (1907-1914) sous la direction de Corinne Legoy, maîtresse de conférences à l’Université d’Orléans. Elle nous en dit plus sur la presse féminine du début du XXème siècle.
Entretien.
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En quoi la presse féminine a-t-elle permis de renforcer le combat féministe dans un pays où les femmes doivent demander l’autorisation de leur époux pour travailler ou se syndiquer?
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Si l’on prend l’exemple de L’Elan de la Mode qui est à destination du grand public, il s’agit d’un titre de presse qui entretien le stéréotype de la femme parfaite (basé sur le modèle bourgeois d’ailleurs). On y retrouve des rubriques pour être une épouse séduisante, une mère aimante et une fée du logis. Mais, paradoxalement, nous pouvons noter qu’à partir de 1905, il y a l’arrivée d’une rubrique féministe qui aborde différents thèmes au fil des numéros (l’égalité homme-femme, le renoncement à la dot de mariage, le mariage d’amour etc. Rosemonde Sanson relève également, en 1912, le fait que le journal cite des jeunes femmes de dix-neuf ans, désespérées par leurs fiançailles. Il est probable que ces petites chroniques aient permis de planter quelques graines dans l’esprit de leurs lectrices.
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Bien qu’il s’agisse d’un nom d’emprunt, la baronne de Clessy est-elle mise en avant sur les couvertures car son rang garantit un certain bon goût ?
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Sans aucun doute c’est effectivement une garantie de bon goût. La presse féminine d’il y a 100 ans (comme aujourd’hui d’ailleurs) part de la bourgeoisie, des stars de l’époque pour montrer aux classes plus populaires les modes à suivre (même si, en réalité, le lectorat visé par L’Elan de la Mode semble être celui des nouvelles riches puisque ce sont elles qui peuvent s’acheter de telles toilettes et qui ont l’occasion de les porter). En réalité la Baronne de Clessy est Claire, épouse de Charles Huons de Penanster. Elle n’est donc pas baronne. Je ne crois pas l’avoir vue, en tant que figure, sur une des couvertures de mon corpus en revanche son nom est systématiquement cité en plus de sa qualité de rédactrice en chef. A cela s’ajoute le fait que chaque première rubrique de L’Elan de la Mode est en réalité une « Revue de la Mode » écrite par la Baronne qui est souvent composée de conseils autour de la mode et des dernières tendances à suivre.
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L’explosion de la presse féminine est-elle avant tout un écho de l’essor de la bourgeoisie durant la Belle Époque ?
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D’un côté, la presse thématique explose au XIXe siècle (Gilles Feyel estime que si l’on mélange les titres professionnels – mais toujours de mode – et les titres à destination du public, on compte, environ, 400 titres différents entre le début du XIXe siècle et 1914). Et une nouvelle fois, ces chiffres ne concernent que la presse féminine. On peut largement supposer que cet essor est appuyé avec les lois Ferry – qui permettent d’élargir le nombre de lecteur.ices – mais aussi la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui doit également aider.
D’un autre côté, une chose est sûre c’est que la presse féminine est liée à la bourgeoisie qui représente un idéal à atteindre. On y présente diverses toilettes pour chaque occasion de la journée, certains titres présentent les sorties où il faut se montrer (comme les courses hippiques de Longchamp ou de Deauville, le casino, les bals etc.). Or, une ouvrière ne change pas forcément de tenue quotidiennement, encore moins plusieurs fois par jours. Elle n’a, également, pas le temps et les moyens de se rendre (au moins régulièrement) dans ce genre de lieux. Donc, comme de nos jours lorsqu’on lit un magazine de presse féminine où certaines stars montrent leur tenue sur le tapis rouge ou dans un gala, on pouvait représenter des tenues plus riches (à destination des bourgeoises), pour inspirer les plus modestes ou, tout simplement, les faire un peu rêver.
Pour essayer de répondre à la question, je ne suis pas sûre que les deux soient réellement liés même s’il y a un essor en miroir qui est indéniable. Corrélation n’est pas forcément causalité.
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Y’a-t-il des articles et sujets communs que l’on retrouve à la fois dans la presse féminine bourgeoise et à la fois dans la presse féminine plus populaire ?
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Si l’on se penche également sur les travaux d’autres historiens, il semblerait, en effet, que l’on retrouve certains thèmes ou rubriques récurrents. Parmi eux, Sylvie Roy note le champ lexical de Paris qu’elle définit comme « Un gage de qualité » et, dans les journaux de mon corpus, on peut, souvent, apercevoir Paris en arrière-plan. On retrouve également des romans feuilleton, des patrons de couture, des rubriques de mode, des courriers des lectrices, etc.
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La presse féminine pouvait-elle être lue par des hommes ?
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En théorie oui, il n’y a rien qui interdisait la lecture de ce type de presse aux hommes. En revanche, dans la société de l’époque où les mœurs et les représentations jouaient un rôle primordial je ne suis pas sûre, qu’en pratique, beaucoup d’hommes en lisait.
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Quel est le rôle de l’illustration dans la presse féminine ? Imposait-on déjà des modèles jeunes et minces ?
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Oh oui ! A titre d’exemple, au cours de la rédaction de mon mémoire j’ai pris plusieurs gravures de mes deux titres sur des dates différentes et j’ai mesuré la largeur du cou des mannequins et celle de leur taille. Ils avaient, à un ou deux millimètres près, la même largeur (dans la réalité, une taille est trois à quatre fois plus grand qu’un cou). Il y avait donc, déjà à l’époque, un culte de la minceur. A ce dernier s’ajoutait également celui de la jeunesse. Je n’ai, me semble-t-il, pas croisé un seul mannequin âgé dans tous mes journaux. Si elles ne sont pas trait pour trait identique, les mannequins demeurent, malgré tout, des jeunes femmes blanches, belles, aux traits juvéniles avec un maquillage très léger pour rehausser les couleurs. Elles ressemblent un peu à des poupées. D’ailleurs, si l’on jette un œil aux réclames qui composent les titres féminins, les femmes qui ne sont pas minces (pour ne pas dire maigres), sont souvent caricaturées.
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La pratique du sport bouleverse-t-il la tenue vestimentaire des femmes ?
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Indéniablement ! Les pratiques sportives féminines semblent débuter aux alentours des années 1880. Ce sont des pratiques qui s’adressent, dans un premier temps aux bourgeoises. Ces dernières peuvent alors s’adonner à la voile, l’équitation, le patin à glaces, le ski, etc. Dans Le Cachet de Paris on peut même trouver des gravures représentant des femmes en train de pratiquer le golf, le badminton, le ping-pong, le tennis ou encore la bicyclette. Cette dernière revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans L’Elan de la Mode (davantage par le biais publicitaire) mais aussi dans Le Cachet de Paris (pour la présentation de toilettes ici). Et ces nouvelles pratiques nécessitent de nouvelles toilettes. Il n’est pas question d’abandonner le corset, la jupe et le corsage mais il s’agit plutôt d’arborer des tenues plus amples et des matériaux plus souples. Il y a cependant un nouvel élément qui fait également son apparition dans les années 1910, il s’agit de la « jupe tombante », principalement utilisée pour le vélo. Cette dernière pouvait ainsi se transformer en culotte (pantalon) grâce à un ingénieux système de galon et de faux ourlet. Cette révolution vestimentaire n’est, cependant, pas au goût de tous les contemporains de cette période. Dans Le Cachet de Paris, par exemple, on la décrit comme « excentricité de la haute couture » et « horrible ».
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Est-ce par la presse que les femmes ont pu témoigner et échanger sur leurs doutes et leurs rapports à leur propre corps ?
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Je ne crois pas avoir lu directement des courriers (notamment dans les correspondances) où les femmes faisaient part d’un quelconque mal-être physique. En revanche, dans certaines « Causerie médicale » que l’on peut retrouver dans L’Elan de la Mode, on peut prendre l’exemple d’une voisine ou d’une amie qui a une peau fantastique grâce à tel produit ou telle technique. Il s’agit souvent, dans ce genre de rubrique, de publicité à peine déguisée. D’ailleurs, dans les réclames (qui elles sont omniprésentes dans la presse féminine), on peut croiser des témoignages de femme (vraies ou non) vantant les mérites de tel ou tel produit.
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La presse féminine a-t-elle perduré pendant la Première Guerre mondiale ?
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Je ne peux pas généraliser à tous les titres mais oui. Peut-être certains titres abaissent ils leur fréquence de parution mais nous avons des journaux qui continuent de paraitre pendant cette période. Cependant, il ne fait nul doute que certains journaux ont mis la clé sous la porte (définitivement ou au moins le temps du conflit). Mais, si je me concentre sur mes deux titres d’étude par exemple, Le Cachet de Paris survit pendant et après la Première Guerre mondiale tandis que L’Elan de la Mode disparait en 1914 mais Le Petit Echo de la Mode (qui rappelons-le, propose le même contenu que le premier et dépend de la même rédaction) ne disparait qu’en 1983.
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