Plus de 40 ans après sa disparition, René Goscinny, formidable scénariste et co-créateur du magazine Pilote, reste indéniablement une immense source d’inspiration dans le monde de la bande dessinée. Lucky Luke, Astérix & Obélix, Iznogoud, Le Petit Nicolas,… Tous ces personnages ont connu de grandes aventures grâce à la plume de Goscinny. Ses histoires ont su faire rêver de nombreux lecteurs et restent encore de nos jours de véritables références dans le monde artistique.

Nouveau dessinateur des aventures d’Iznogoud (celui qui veut être Calife à la place du Calife), Elric Dufau a également participé au livre « René Goscinny – Scénariste, quel métier! ».

Entretien.

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Scénariste génial, René Goscinny a également été dessinateur (notamment Dick Dicks et Capitaine Bibobu). Quel est son style ?

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C’est un style plutôt épuré, très clair dans sa narration.

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Ses séjours fréquents, sa collaboration avec Harvey Kurtzman, ses influences BD ou encore son travail sur Lucky Luke et sur Oumpah-Pah montrent-ils que Goscinny avait le rêve américain ?

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Il me semble que la définition du rêve américain c’est partir de rien et grimper les échelons de la société. Je n’ai jamais ressenti ça chez Goscinny. Je pense qu’il s’est plus servi des clichés de l’Amérique pour ses histoires que du rêve américain pour sa carrière. Il l’a prouvé en allant en France. Il cherchait plutôt le rêve franco-belge !

En tout cas, au niveau des récits je trouve qu’on ressent une influence américaine dans la construction des histoires d’Iznogoud. Elles sont courtes, fantastiques, un peu dans le modèle des EC comics.

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Quel fut l’apport de René Goscinny dans les aventures de Lucky Luke selon vous ?

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Indéniablement l’humour ! Et aussi une galerie de personnages. Lucky Luke est solitaire, mais en créant Rantanplan et les cousins Dalton il amène une famille. Des personnages qu’on aime retrouver. Ensuite il y a tous les personnages secondaires et les méchants, c’est très riche en personnalités différentes.

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En quoi Le Petit Nicolas est une œuvre à part pour René Goscinny ?

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Pour lui, personnellement, je ne sais pas. En tout cas c’est sa seule série qui parle de l’enfance. Et puis, c’est la voix d’un enfant. Il amène une sorte de naïveté qui met en perspective les agissements des adultes.

Et puis, bien que ce soit illustré ce n’est pas une bande dessinée. Ce n’est pas tout à fait le même public. Pendant longtemps la bande dessinée a souffert du cliché de s’adresser aux idiots trop bêtes pour lire de vrais livres. Dans ce sens Le Petit Nicolas avait l’air plus respectable par un certain public et journalistes. Finalement, c’est peut-être, avec le succès d’Astérix, ce qui a permis à rendre la bande dessinée acceptable dans toutes les strates sociales.

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Comment expliquer le licenciement de René Goscinny par Georges Troisfontaines de la World Press en 1956?

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Quand on lit tous les témoignages, on comprend que c’est un bouc émissaire. Pour rappel ils étaient plusieurs auteurs, belges et français à vouloir créer un syndicat ou au moins une charte. Un des auteurs en aurait parlé à Dupuis qui achetait régulièrement les BD de la World Press pour Spirou ou d’autres revues. Très énervé par cette fronde il avait dit à Troisfontaines d’agir en conséquence.

Pour ce dernier, Goscinny est un des employés qui est le moins important (même s’il va aussi virer Gérald Forton.) Mais il ne se doutait pas que Uderzo, Charlier et Sempé partiraient par solidarité avec leur ami.

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L’arrivée de Goscinny et de Charlier en tant que rédacteurs en chef de Pilote en 1963 a-t-elle été un tournant dans la bande dessinée ?

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Oui, parce qu’ils ont apporté leur vision et à ce moment ils étaient complètement en phase avec les attentes du public.

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Éternel comploteur, Iznogoud est loin du profil du héros bd typique. Les lecteurs ont-ils bien souvent une préférence pour celui qui est finalement plein de défauts ?

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C’est vrai que cette remarque revient souvent. On préfère Donald à Mickey, le capitaine Haddock à Tintin… En revanche, Iznogoud n’est pas un personnage touchant, il ne provoque pas l’empathie. La différence avec les autres c’est que ça se termine forcément mal pour lui ! Je pense qu’au-delà du caractère on lit pour savoir comment ça va mal finir.

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« Le personnage a été inventé en deux heures par Uderzo et moi, dans un éclat de rire! ». Pour quelles raisons Astérix est-il toujours autant un succès populaire de nos jours ?

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C’est inexplicable. Ce n’est pas très compliqué, quand on est un auteur, de construire un univers, des personnages. En revanche, on ne sait absolument pas comment créer le charme qui va en faire le sel. J’ai l’impression que Goscinny a appliqué un peu la même recette pour tous ces projets, avec des ingrédients différents, et là il y a eu quelque chose de magique. On ne peut pas maîtriser ça.

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Les tensions entre Charlie-Hebdo et l’écho des savanes et Pilote peuvent-elles se comprendre par l’objectif des « fils de tuer le père »?

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Dans le livre « Goscinny et moi » de José-Louis Bocquet (2007), il y a un tas de témoignages sur cette période. Tuer le père est évoqué plusieurs fois. Il y a aussi les raisons d’un emballement dans la foulée de mai 68, d’un besoin de changement, d’émancipation. Et une série de malentendus par manque de communication. Quand on lit ça, on se dit que c’est dommage parce que Goscinny était très ouvert et on a l’impression d’un énorme malentendu. Il était seulement le gardien d’une revue pour enfant et tout public, donc ça limitait le propos. Si des autrices et des auteurs voulaient parler d’autre chose il suffisait de le faire ailleurs. Franquin a eu le même problème avec Spirou et la création du Trombone illustré.

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Y-a-il dans Métal Hurlant un héritage de René Goscinny selon vous ?

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Pas dans le contenu du journal, mais en fait ils ont rejoué l’histoire entièrement. De la création au divorce de Jean-Pierre Dionnet avec le journal.

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De nos jours, l’influence de René Goscinny reste-t-elle toujours aussi forte dans le monde de la bande dessinée plus de 40 ans après sa disparition ?

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On voit chez certains auteurs une lignée qui cherche à transmettre ce type d’humour. J’en fais partie, je suppose que Jul qui scénarise Lucky Luke en fait partie aussi, Olivier Andrieu avec Iznogoud, etc. et on sait aussi que ça dépasse la BD, par exemple avec Alain Chabat. En tout cas, vu le succès des reprises d’Astérix et Lucky Luke, l’esprit René Goscinny est demandé par le public.

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