Il y a 78 ans, en août 1944, la 2ème Division Blindée du général Leclerc quittait la Normandie meurtrie par plus de deux mois de combats et s’élançait vers Paris insurgée.

La 2ème Division Blindée, cette unité de la France libre, allait ainsi entrer dans l’histoire. André Espi, 97 ans, fait partie de ces combattants. Originaire du célèbre quartier algérois de Bab El Oued, le jeune soldat de 19 ans à bord de son char n’était jamais venu à la métropole. Des années après le conflit mondial, André Espi n’a eu de cesse d’échanger avec les jeunes enfants pour leur raconter ce qu’est la guerre. 78 ans plus tard, les souvenirs sont toujours aussi vifs.

Entretien avec cet ancien combattant du 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique (« Audace n’est pas déraison »).

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Vous êtes originaire du quartier de Bab el Oued à Alger. Quelle fut votre réaction lors du débarquement américain le 7 novembre 1942 et comment êtes-vous devenu soldat ?

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Je me suis mis à courir chez mes grands-parents car ils vivaient à proximité de Notre-Dame d’Afrique et du fortin Duperré. Cette place militaire était bombardée par la marine américaine. Les quelques membres de la commission allemande d’Alger ont été faits prisonniers et l’administration vichyiste a, quant à elle, été remplacée par les Américains. Les GI se réservaient tout ce qu’ils pouvaient (rires).

Le général de Gaulle a ensuite formé son gouvernement à Alger et j’ai été appelé en 1943 pour devenir soldat de la France libre. J’étais plein de dynamisme et des amis sont également devenus soldats.

Intégré ensuite à Oran dans une caserne du quartier d’Eckmuhl, j’ai pu avoir l’aide d’un cousin germain de mon père qui vivait là-bas. Sa résidence était à quelques centaines de mètres de la caserne. J’ai passé des moments merveilleux à Oran.

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Le 12ème Régiment des Chasseurs d’Afrique a intégré la 2ème Division Blindée. Les soldats étaient d’origine différente. Comment était l’ambiance ?

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Malgré nos différences, nous nous entendions très bien. Nous recevions le matériel américain en pièces détachées. Il fallait juste remonter les jeeps et les tanks. Mon équipage était hétéroclite. J’étais d’Alger, un autre était de Tunis et le chef de char était de Lorraine. 

Mon régiment s’est ensuite rendu au Maroc. Durant l’été 1943, nous avons intégré le 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique de la 2ème Division Blindée dans la forêt de Temara près de Rabat. Nous nous sommes ensuite rendus à Casablanca pour embarquer en 1944 dans un navire pour l’Angleterre.

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Vous n’étiez jamais venu auparavant en France. Aviez-vous un avis sur la métropole ?

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J’avais entendu des échos par ci par là notamment à l’école. Mon oncle qui était sapeur-pompier passait ses vacances chaque année là-bas. Par conséquent, il me racontait ce qu’il voyait. On me disait que la France était un beau pays.

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Comment s’est passée la traversée en mer vers la Grande-Bretagne ?

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Nous avons connu 13 jours de mer. Le premier jour, on m’a donné une boîte de conserve américaine mais j’ai eu tout de même le mal de mer. Les vagues faisaient monter le navire à fond plat à tel point que nous pouvions entendre les hélices tournées dans le vide. J’ai alors donné les haricots aux poissons et pendant toute la traversée je n’ai mangé que des galettes trempées dans le café et je me mettais à l’avant du bateau. Grâce à cela, j’ai été le seul à arriver au Pays de Galles sans être malade. J’étais affamé. J’ai demandé à des enfants de m’apporter du pain.

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Vous stationnez à Garton-on-the-Wolds dans le Yorkshire en avril 1944. Comment étaient les relations avec la population britannique ?

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C’était inouï. Les Anglais nous adoraient. Un frère et une sœur nous logeaient chez eux. Ils avaient dans le jardin des ruches. Nous avions droit à notre miel quotidien. Je me suis moi-même passionné pour l’apiculture. J’ai même possédé des ruches à Alger.

Nous avions l’habitude d’aller à la church et d’être invités chez les habitants. Ils voulaient nous garder le plus longtemps possible. Pour que nous puissions retourner à nos cantonnements à l’heure, les Anglais nous prêtaient leur bicyclette. Un jeune lieutenant d’origine allemande qui ne me supportait pas m’avait vu sur un vélo de civil. Pour cela, il m’a envoyé 15 jours en prison. Deux adjudants en chef qui me surveillaient avaient eu leur argent volé. Ils m’ont tout de suite accusé de voleur. Résultat : ma solde a été supprimée pour le reste de la guerre. Quelles crapules !

J’ai gardé contact avec certains habitants de Garton après la guerre.

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Le débarquement arrivant. Avez-vous senti une certaine tension ?

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Oui car Garton était proche de Glasgow. Tous les soirs, nous entendions les forteresses volantes qui volaient au-dessus de nos têtes. Les alliés allaient bombarder la France. Le bruit était ahurissant.

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Le 24 juillet 1944, vous arrivez dans le port de Southampton et vous débarquez sur la plage d’Utah Beach le 1er août. Comment s’est passé votre premier contact avec la France métropolitaine ?

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C’était comme entrer dans l’histoire. Je suis arrivé avec le général Leclerc. Avec sa canne sur la plage, il avait vraiment l’air d’un aristocrate. Leclerc avait fière allure. J’ai eu l’honneur de lui serrer la main.

Je n’avais jamais vu un pays aussi vert. La France était bien différente de l’Algérie. C’était le plus beau jardin du monde.

Nous avons rapidement rejoint la ligne de front. Le premier jour des combats en Normandie fut terrible. Nous avons perdu 11 chars et 44 membres d’équipage. Leurs cadavres ressemblaient à des morceaux de bois brulés. On nous avait pourtant toujours dit de ne pas nous rendre sur les crêtes. Quelle tragédie !

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Quels sont vos souvenirs de la bataille de Normandie ?

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Etant dépanneur, j’arrivais souvent après les premiers éléments. J’ai été témoin de grandes violences. Il arrivait en effet que pendant les combats de char, Français et Allemands n’avaient plus de munitions. Les équipages sortaient alors et combattaient à la baïonnette.

Comme nos repas étaient toujours à partir de boîtes de conserve reçues de l’intendance française mais de fabrication américaine, du corned-beef et des haricots à la sauce tomate, dès que nous apercevions une ferme, l’un des trois occupants du char allait discuter avec le fermier pour échanger nos boîtes contre du beurre, un lapin ou une poule…

Parfois, la population était inconsciente. Les gens se précipitaient vers nous pour nous offrir des vivres mais je leur criais que c’était dangereux de s’approcher d’un char. Je me souviens que la population française nous accueillait parfois avec le poing levé – signe prolétaire. Certains soldats n’appréciaient pas le geste et me disaient avec une certaine méchanceté : « Nous aurions mieux fait de ne pas venir libérer la France. » (rires)

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Vous vous êtes ensuite dirigés vers Paris…

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Oui. Près du village Les Mées à proximité de Mamers dans la Sarthe, alors que nous étions prêts à attaquer une position allemande, trois avions, des Thunderbolt américains, ont foncé sur nous. Assis sur la tourelle de mon char, j’ai vu le premier avion piquer vers nous. Tel un serpent, je me suis glissé jusqu’au fond du char pour me protéger. Là, immobile, je ressens les secousses des chapelets de bombes lâchées sur nos chars d’assaut. C’est alors qu’un ordre nous ait parvenu de sortir les panneaux fluorescents de couleur rouge, jaune, violet que nous avions à bord et de les fixer sur le dessus de nos véhicules. Nos propres aviateurs nous avaient pris pour ennemis.

Ces aviateurs américains découvrant leur méprise ont fait des passages et des manœuvres en guise d’excuses. Ceux qui avaient oublié de nous dire de sortir les panneaux de couleur étaient responsables de la mort ou des blessures de beaucoup de nos camarades.

Malgré l’euphorie de la Libération, certains de nos soldats étaient morts de peur. Je me souviens d’un certain André de la ville du Mans. Positionné sur le char arrière, il traversait une forêt. Le fusil à son épaule a accroché une branche et le coup est parti. Cela l’a terrifié.

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Quels sont vos souvenirs de la libération de Paris ?

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Les Américains refusaient de nous laisser aller à Paris afin d’aider les insurgés. Le général Eisenhower a finalement cédé pour que la 2ème DB soit à Paris.

Mon chef avait entendu dire que les Allemands ciblaient surtout les chefs de char. A notre arrivée à Paris, il m’a demandé que je prenne sa place en haut de la tourelle.

Après être passés par la Vallée de Chevreuse et Issy-les-Moulineaux, nous sommes entrés dans le 16ème arrondissement. L’ambiance était euphorique. J’ai dû prendre 3 douches en une seule journée car les Parisiens voulaient à tout prix nous recevoir. Ils pensaient sûrement que nous étions sales et qu’une bonne douche allait nous faire du bien. Par conséquent, je n’arrivais pas à refuser.  Les habitants sortaient également leurs meilleurs vins.

Les chars et GMC étaient stationnés près de la rue Lauriston où habitait ma marraine de guerre au numéro 100. L’endroit était sinistrement célèbre pour être le repaire de la Gestapo française et du docteur Petiot.

J’étais proche de l’Arc de Triomphe avec ma mitraillette quand des tirs allemands ou de miliciens montés sur les toits tiraient sur tout ce qui bougeait. Nos calots militaires de différentes couleurs furent vite retirés pour ne pas devenir une cible. Je vois encore les secouristes avec leurs civières montées sur des roues de bicyclette s’entrecroisant et disparaissant pour emporter les blessés vers les hôpitaux. L’ambiance était à la fois électrique et inquiétante.

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Pour quelles raisons n’avez-vous pas continué le chemin vers l’Allemagne ?

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C’est de la faute de mon lieutenant « canaille ». Il m’avait demandé de devenir son chauffeur mais insistait pour que ce soit lui qui conduise la jeep. J’ai donc décidé d’abandonner mes nouvelles fonctions. Le lieutenant s’est ensuite vengé en m’envoyant en prison pour insubordination. Il voulait m’éliminer.

Je suis passé en commission de discipline et j’ai donné ma version à d’autres officiers dont un colonel. Je suis devenu brigadier et j’ai été stationné à Saint Germain-en-Laye. Nous recrutions beaucoup de jeunes. Certains venaient de se marier et avaient trop fait la fête (rires).

Nous nous occupions principalement du matériel américain avant qu’il soit envoyé au front. J’ai vu les deux adjudants-chefs qui m’avaient accusé de vol envoyer du matériel chez moi. J’aurais pu les dénoncer.

Des amis m’ont ensuite raconté que le lieutenant canaille est un jour rentré en jeep amphibie allemande sans sommation. Les gardes ont cru que c’était un ennemi et par conséquent l’ont tué avec leur camion en écrasant le véhicule. Comme le lieutenant était connu pour avoir de nombreux antécédents, il n’a même pas eu la mention de « Mort pour la France ».

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Qu’avez-vous pensé lorsque vous avez appris la fin de la guerre – le 8 mai 1945 ?

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J’ai appris la nouvelle lors d’une permission en Algérie. Ce fut terrible car le même jour il y a eu des troubles à Alger et à Sétif. Des centaines de personnes avaient été tuées. Ce n’est que plus tard que nous avons tout su.

Pour être démobilisé, il fallait être étudiant mais n’ayant plus de solde, je n’avais pas d’argent. Le quartier général de la 2ème Division Blindée m’a alors proposé de payer mes études. J’ai quitté l’armée, le jour de mon anniversaire, le 8 octobre 1945 et je me suis présenté au Concours national technique de Strasbourg.  Peugeot et Renault cherchaient des réparateurs.

Je suis revenu en Algérie où je travaillais dans une entreprise de téléphones. La société algéroise téléphonique était financée par le Plan Marshall. Je suis devenu cadre et syndicaliste.

J’ai connu ensuite la guerre d’Algérie mais c’est une autre histoire…

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Photo de couverture :  © Brieuc CUDENNEC

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