Le Polar est un genre indémodable car il mêle à la fois vie, mort, confrontation et bien souvent glamour. Que ce soit au cinéma, en littérature ou en bande dessinée, Paris a bien souvent été le théâtre de ces scènes de crime. Les cimetières peuvent témoigner… On pense bien sûr aux films de Jean-Pierre Melville mais aussi aux histoires de Maigret, de Nestor Burma ou plus récemment aux livres de Jean-Christophe Grangé. « Pigalle 1950 » est une bande dessinée qui dès le départ attire l’attention : Pierre Christin, immense scénariste, et Jean-Michel Arroyo, grand dessinateur, ont décidé de travailler ensemble. D’un point de vue narratif et graphique, l’album est une vraie réussite. « Pigalle 1950 » est un polar sombre mais également très humain. Pigalle le rendez-vous des vivants et des morts.
Entretien avec Jean-Michel Arroyo où les planches originales sont actuellement en exposition à la Galerie DM.
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Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec Pierre Christin et de vous plonger dans le Pigalle des années 50 ?
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C’est notre directeur éditorial commun chez Dupuis, José-Louis Bocquet, qui a eu l’idée de nous réunir. Il déjeunait avec Pierre près de Pigalle et lui a proposé l’idée de réaliser un polar qui se déroulerait dans le quartier de Pigalle. Pierre, étant parisien et familier des années 50, a approuvé le projet.
José-Louis lui a alors montré mes planches de Buck Danny. Pierre a aimé et a accepté de me rencontrer afin que l’on puisse parler du projet. Nous l’avons ensuite commencé rapidement.
Avec ses cabarets et ses trafics, Pigalle était le lieu idéal pour un polar.
J’ai eu l’idée de la couverture mais ce fut un long processus. Pierre voulait montrer une scène d’action mais cela ne me convenait pas. « Pigalle 1950 » raconte avant tout un destin tragique.
Pierre avait réalisé un album « Est-Ouest » avec Philippe Aymon. Avec ce dernier, j’avais réalisé une composition en X avec une voiture. Ce fut l’élément déclencheur. J’ai proposé l’idée de couverture et cela a été accepté.
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Ce fut un vrai travail de recherches pour vous deux (architecture, argot, vêtements) ou les souvenirs de Pierre Christin du vieux Paris ont été mis à contribution ?
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Pierre a évoqué toutes ses réminiscences de ce Paris des années 50. J’ai ensuite imaginé cette ville fantasmée. Je n’avais pas l’idée de faire de la recherche documentaire. Je voulais capter avant tout une atmosphère.
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Vous vous êtes d’ailleurs inspiré de d’autres dessinateurs ?
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Je suis un grand fan de Tardi car il dessine Paris mieux que nature.
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Y’a-t-il dans « Pigalle 1950 » une vision provinciale de Paris ?
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Pierre est attaché à l’Aubrac et voulait montrer dans l’album la vie des Aveyronnais à Paris. Antoine part pour la capitale pour des raisons mystérieuses et se retrouve rapidement propulsé dans le milieu de la nuit. Ce jeune garçon va alors apprendre le dur de la vie. J’ai aimé ce personnage au destin tragique car malgré les malheurs, Antoine reste intègre.
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Est-ce une œuvre-hommage au polar ou est-ce un album-film à part entière ?
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Lorsque j’ai eu le manuscrit de Pierre entre mes mains, je l’ai lu comme s’il s’agissait d’un scénario de film. Il n’y avait pourtant aucune indication de caméra. Cependant, j’ai réalisé le dessin de « Pigalle 1950 » sans l’imaginer comme un long métrage. Je me suis certes inspiré du film « Bob le Flambeur » (1956) de Jean-Pierre Melville mais c’était avant tout pour l’atmosphère. Il y a une humeur ou une véritable ambiance. Avec la réalisation de « Pigalle 1950 », Pierre s’est même rappelé de l’argot de Paris.
Un journaliste m’a même dit qu’en lisant l’album, il avait l’impression d’être avec les personnages. J’ai dessiné des lieux parisiens inventés et pourtant je veux que le lecteur puisse tout de même y croire.
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« Pigalle 1950 » a-t-il été une récréation, une façon de mettre de côté les avions de Buck Danny ?
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Pas du tout. « Pigalle 1950 » est un album que je voulais vraiment faire. Je ne pouvais le réaliser tout en terminant le tome 6 de Buck Danny (« Alerte Rouge »). J’ai ensuite travaillé sur « Pigalle 1950 ».
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Dans une case, on retrouve une case sur Buck Danny – c’est difficile de le quitter ?
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C’est une idée de Pierre. Lorsque j’ai terminé la série « Buck Danny », j’étais épuisé et j’en ai parlé avec lui. Pierre a alors décidé de faire un clin d’œil acide. Cela m’a amusé.
J’ai beaucoup aimé réaliser 6 albums de Buck Danny mais pour moi, Buck, c’est terminé.
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Ce fut une joie de travailler avec un si grand scénariste que Pierre Christin ?
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Avec d’être dessinateur, j’ai été lecteur. J’ai toujours aimé l’écriture de Pierre Christin. Dans l’univers de la bande dessinée franco-belge, c’est un auteur singulier. Ses scénarios ont toujours plusieurs couches de lecture et Pierre développe la psychologie des personnages. « Pigalle 1950 » n’est pas une exception et pourtant il y a un grand nombre de personnages à travailler.
Ce fut donc une joie (même un honneur) en effet de concevoir cet album avec Pierre. En travaillant ensemble, nous avons même tissé des liens amicaux. Le travail sur « Pigalle 1950 » s’est si bien passé que Pierre m’a proposé de retravailler ensemble sur une nouvelle histoire – « La Cité des riches ».
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« Pigalle 1950 » est un album qui magnifie les femmes mais elles sont également des victimes. Votre Pigalle est un monde contrôlé par des brutes épaisses ?
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Le milieu de la nuit a toujours été impitoyable. Les gangs corses contrôlaient Pigalle avec le trafic de cigarettes et la prostitution. Pigalle était un milieu violent. Mireille est en effet une victime de ce milieu. Antoine commençait une idylle avec elle et tout se termine avec une balle perdue.
Olga, personnage féminin fort, va prendre sous son aile le jeune aveyronnais. C’est une femme qui lui permet de retrouver sa région natale avec la culture nécessaire.
Les femmes des années 50 sont superbes à dessiner. Elles étaient sexy sans être vulgaires.
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Les cases sont larges, les bruits de coups et de révolvers retentissent – vous vouliez une histoire grand format ?
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Je voulais un long métrage de plus de 100 pages. José Louis Bocquet voulait que nous soyons libres. J’ai eu tellement de liberté que j’ai rajouté plus de 26 pages, et ce n’était pas prévu ! J’ai adoré réaliser « Pigalle 1950 ». Il est même difficile de sortir de cet album. Après « L’Ile des Riches », je suis tenté de retrouver l’ambiance des années 50.
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Le funiculaire est-il un personnage à part entière ?
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Avec le funiculaire, on redescend toujours. C’était d’ailleurs le titre original : « Le Funiculaire redescend toujours ». La vision en contre plongée de la couverture donne l’impression que le personnage regarde une tombe.
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Est-ce une fin heureuse ? Triste ?
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Grâce à Olga et l’équipe du cabaret, Antoine a accepté la résilience. Il quitte Paris pour son Aubrac natal. En sortant de prison, Antoine revient juste à Pigalle pour relever les compteurs. Antoine est un vrai gentil qui reste un taiseux. J’ai aimé la fin car finalement le personnage revient dans le lieu d’où il appartient.
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Quels sont vos projets ?
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Je repars dans une nouvelle aventure avec Pierre. Ce n’est que du bonheur. J’ai connu les rapports de force avec des scénaristes – avec lui ce n’est pas le cas. Pierre est un papa artistique. Avec José Louis, il m’a emmené sur de nouveaux terrains.
Je suis un grand fan de polar car nous pouvons aborder de nombreux thèmes. C’est également un genre populaire – exactement ce que la bande dessinée doit être.
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