« Le beau est toujours bizarre » écrivait le poète Charles Baudelaire. Grâce à notre imaginaire et notre vision des événements, les ombres et les monstres font intégrantes partie de nous. Illusions et créatures peuvent même magnifiques car si irréelles. Le monde de l’illustration et de la bande dessinée est fascinant car il peut rendre somptueux l’horreur elle-même. Saverio Tenuta est un de ces artistes qui se passionnent pour l’inconnu et l’étrange. Le dessinateur italien, auteur de la série « La Légende des Nuées écarlates », s’inspire d’ailleurs beaucoup des arts asiatiques – cet Orient si lointain et pourtant si passionnant.

De passage à Paris pour une exposition à la Galerie Daniel Maghen, Saverio Tenuta décrypte ici sa vision de la bande dessinée – A la fois poétique, séduisante et troublante.

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La bande dessinée est un art à part en France et en Belgique. Est-il autant apprécié en Italie ?
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Il y a finalement peu de productions italiennes. Beaucoup d’artistes sont contraints d’ailleurs d’aller travailler à l’étranger notamment en France.

En Italie, il y a surtout beaucoup d’importations notamment de comics et de mangas. Quant à moi, tous les genres m’intéressent. Je lis un grand nombre de bandes dessinées pour m’inspirer.

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L’Asie avec ses mythes, ses soldats, son art – C’est un univers fascinant et de grandes inspirations pour vous ?

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Auparavant, j’avais un grand intérêt pour le monde celtique. Je suis en effet à présent passionné par le Japon. Tout cela a commencé lorsque j’ai commencé à travailler avec le scénariste Roberto Riccioni pour la série « La Légende des Nuées écarlates ». Avant cela, je n’arrivais même pas à faire la différence entre la Chine et le Japon (rires).

La collaboration avec Roberto n’a pas duré dans le temps et j’ai donc continué ce travail sur le Japon seul. Ce que j’ai étudié et découvert m’a fasciné. J’ai donc réalisé tout un ensemble d’albums qui explore un univers vaste et complexe.   

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Pour traiter du Japon médiéval, vous adaptez votre stylo ? Vous réalisez notamment de grandes performances avec un grand pinceau.


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Il y a des règles très précises concernant l’art de la calligraphie que j’ai dû acquérir. Ce pinceau d’1m50 a un véritable pouvoir. Lorsque je réalise ces performances, ce n’est finalement pas moi qui dessine : je me laisse entraîner par le pinceau.

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Vous avez réalisé un exercice original sur Batman pour « JLA : Riddle of the Beast ». C’est un justicier vampire pour vous ?

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C’était un exercice réalisé avec un ensemble de dessinateurs américains et italiens. Michael William Kaluta a planté le décor en concevant le design et l’ensemble de l’histoire. Chaque dessinateur devait produire uniquement quelques pages. Il fallait dessiner un Batman sombre, torturé par ses propres démons. Ce fut passionnant pour moi car j’ai toujours eu un grand intérêt pour les histoires d’horreur notamment celles avec des vampires.

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Les monstres sont indispensables dans vos histoires ?

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J’aime surtout les ambiances. Je suis d’ailleurs un lecteur assidu des œuvres du romancier américain H.P. Lovecraft. Les créatures y sont gigantesques et esthétiquement impressionnantes.

Les monstres avec leurs défauts sont finalement très humains. Le lecteur peut parfois même s’identifier plus facilement à eux qu’aux hommes parfaits.

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Comment s’est passé le travail avec la dessinatrice Carita Lupatelli ? Elle a apporté du nouveau à l’histoire avec le cycle Izunas ?

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A partir de 2012, Carita est devenue mon assistante. Elle a mis en couleurs le quatrième volume de « La Légende des Nuées écarlates ». Nous avons décidé d’imaginer une série spin-off, Izunas, et c’est Carita qui fut la dessinatrice. Ayant un style très masculin, il était difficile pour moi d’y ajouter plus de légèreté. L’ambiance est bien plus poétique que dans mes précédents albums.

Même techniquement, les choses ont évolué. Pour les premiers volumes de « La Légende des Nuées écarlates », j’utilisais de l’aérographe. C’était très difficile à maîtriser. J’ai à présent arrêté ce style.

La série Izunas devait apporter de la fraîcheur. Je voulais même donner à Carita beaucoup de liberté mais l’éditeur a souhaité qu’elle reste proche de mon style graphique. Mais ce fut un échange de bons procédés, tout en restant proche de mon univers, Carita m’a en effet permis de découvrir une nouvelle façon de dessiner.

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Pour quelles raisons vous avez imaginé la préquelle « Le Masque de Fudo » ?

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C’est une histoire de pure vengeance. Fudo était un personnage de « La Légende des Nuées écarlates » à la fois obscur et étrange. Au départ, je n’aurais jamais imaginé me concentrer un jour sur Fudo mais l’idée a germé au fil du temps. Avec cette préquelle, j’ai voulu approfondir sa personnalité et montrer, à l’image de la figure d’Anakin Skywalker, comment quelqu’un de bon devient peu à peu mauvais. D’une certaine manière, je suis devenu moi-même spectateur de cette déchéance.

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Vous vous êtes donc inspiré de Star Wars ?

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Non. J’ai juste volé l’idée (rires).

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C’est un plaisir de rencontrer les lecteurs français durant l’exposition à Paris ?

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Oui car ce sont des lecteurs très pointus. Je suis impressionné par leurs questions et leurs remarques. Je n’oserais même pas travailler sur un album historique. Les Français connaissent tellement bien leur Histoire qu’ils seraient intransigeants avec moi (rires).

Les Italiens ont tendance à parler avant tout de ce qu’ils n’aiment pas plutôt de ce qu’ils aiment. En France, c’est plus nuancé.

Un jour, un critique italien a écrit sur la saga « La Légende des Nuées écarlates » un article remarquable. Il y décrivait toutes ses émotions.

En lisant, le critique s’était mis à adorer un personnage féminin. Mais au fil de la lecture, il a été très déçu par la tournure des événements et a donc rejeté mon histoire. (rires)


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