Il y a des histoires et des dessins qui nous emportent ailleurs – parfois même très loin. La galaxie du dessinateur Caza paraît sans limites. Peuplées de créatures en tout genre : Monstres, déesses, robots,… Les corps sont magnifiés. Artiste aux multiples talents, Caza s’est illustré dans l’heroic fantasy, le dessin animé, chez Metal Hurlant, Les Humanoïdes Associés ou encore Pilote. « Fume…c’est du Caza » (1976), la série « L’Age d’ombre », le dessin animé culte « Gandahar » (1988) avec René Laloux ou bien « Les Enfants de la Pluie » (2003). Pour célébrer les 50 ans de la série culte, les Humanoïdes associés ont d’ailleurs eu la riche idée de publier l’intégrale du « Monde d’Arkadi » (version deluxe). Rarement la quête de soi n’avait été si bien illustrée dans le monde de la science-fiction.

Entretien avec Caza, un dessinateur fascinant.

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Vous êtes issu d’une famille d’artiste (votre père caricaturiste, André Caza, mais également entre autres votre grand-père peintre, Pierre-Gaston Rigaud). Etait-ce pour vous évident de devenir dessinateur ou vous sentez-vous, par votre style, comme un artiste malgré tout original ? 

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Devenir dessinateur n’était pas une évidence, non, et l’entourage familial ne poussait pas forcément à ça. C’était plutôt un bain quotidien. Il n’y avait pas d’opposition au fait de lire de la BD, par exemple, mais j’étais aussi gros lecteur et j’aurais pu aussi bien m’orienter vers le domaine littéraire. Quand j’ai décidé de ce que je voulais faire, ma mère à dit « Pfff ! encore un artiste dans la famille ! » Elle savait que ce n’était pas une voie facile et aurait été plutôt rassurée de me voir entrer en fac de lettres. Mais cela n’a entraîné aucune réticence ou opposition.

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Votre passé dans la publicité où l’affiche est très importante a-t-elle influencé votre dessin ? L’image peut-elle créer l’histoire ?

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Je ne me voyais pas vraiment comme un « artiste », celui qui fait des exposions dans des galeries, vend ses tableaux, etc. Moi c’était la publication qui m’intéressait. C’est le métier de mon frère aîné Michel, sérigraphe, qui m’a orienté vers la publicité, avec le fantasme adolescent de dessiner des affiches qui seraient sur tous les murs ! Après, ce que j’y ai appris ou développé, c’est sans doute l’efficacité de l’image, donc la composition, la clarté et la relation texte-image. Par la suite, réalisant des couvertures de bouquins, j’ai toujours conçu mes illustrations comme des affiches : pas trop de détails, une image simple qui accroche l’œil, la lisibilité avant tout. Dans ces cas, l’image doit servir avant tout le roman tant sur le plan littéraire que commercial. C’est un triangle à 4 côtés : auteur-éditeur-illustrateur… et public.

Dans le domaine BD ou animation, l’image est peut-être plus créatrice. Pour un auteur complet, ou pour un bon duo scénariste-dessinateur, l’image et le scénario naissent de concert. Des idées narratives nécessitent certaines images et l’envie de telle ou telle image peut provoquer des scénarios ou des séquences.

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En 1970, vous publiez votre bande dessinée « Kris Kool », véritable voyage psychédélique vers d’autres planètes de la Voie Lactée. Comment est née cet hommage aux couleurs (et aux corps) ?

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L’influence du pop-art et des affiches psychédéliques, sans doute, de quelques autres BD, aussi : Barbarella, non pour la couleur mais pour l’érotisme et l’humour décalé (ou poétique), Guy Pellaert, Nicolas Devil, Tito Topin… et pas mal d’images très colorées dans la publicité. J’étais lecteur, ou simplement regardeur, de revues et magazines de mode, entre autres, et de photo. C’était aussi une époque de « libération sexuelle ». L’érotisme était partout. Les mœurs… et mes goûts.

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Avec « Arkhê- Laïlah » vous rendez à nouveau hommage à l’érotisme ?

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Ce n’est pas vraiment un hommage, c’est mon expression. Pour moi l’érotisme est une valeur positive, esthétiquement et émotionnellement, c’est ce qui me touche au plus profond. Amoureux du corps féminin, voyeur, même, j’étais, je suis toujours. La photo et le cinéma sont porteurs d’érotisme.  Ce qui rejoint l’art de tous les temps. L’essence de la beauté est dans le corps féminin. Sans y réfléchir plus de cinq minutes, je peux affirmer que mon plus grand plaisir de dessin, c’est de dessiner des femmes nues.

Mais il y a aussi bien d’autres thèmes dans Arkhê et Laïlah… Issus de la mythologie et de la science-fiction.

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En 1976, les éditions suisses Kesselring vous proposent un exercice en noir & blanc avec l’album « Fume… C’est du Caza ». C’est un hymne à la liberté ? Votre série « Scènes de la vie de banlieue » a-t-elle été un écho ?

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C’est plutôt ce petit album « Fume, c’est du Caza », qui faisait écho aux « Scènes de la vie de banlieue ». J’y parlais un peu de la même chose mais sans forcément raconter des histoires, et en me permettant des choses que je ne pouvais pas faire dans Pilote. Expression directe en toute liberté, y compris défoulement et provocation. On peut comparer ça à Gotlib quittant Pilote pour fonder l’Écho des Savanes. Pas de censure, pas d’auto-censure. Une publication marginale, presque underground, pas forcément rentable, mais permissive : cette série des « Fume » chez Kesselring ne s’adresse plus au grand public.

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Vous concevez les décors et les costumes de la pièce de Victor Hugo « Mangeront-ils? » pour le NTPM de Montpellier. L’expérience a-t-elle été enrichissante ?

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Ce qui est enrichissant, c’est toujours la nouvelle expérience : changer de pratique, affronter des difficultés inattendues. J’ai toujours aimé varier le menu et j’ai du mal à refuser une proposition dans ce genre. Passer au volume, l’espace en trois dimensions de la scène, les costumes… qui doivent être portés par des vrais gens, d’où longues discussions et adaptations avec la couturière, les accessoiristes, les fabricants du décor, le metteur en scène, bien sûr… et les comédiens (que j’ai fait souffrir avec des costumes parfois difficiles à porter). Et mettre moi-même la main à la pâte, soit sur les ornements des costumes, soit sur la peinture du décor.

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Est-ce les albums « L’Âge d’ombre » et « Equinoxe » qui ont motivé René Laloux à travailler avec vous sur des dessins animés ?

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Non, au départ, René ne connaissait de moi que mes illustrations de couvertures pour Opta et J’ai Lu. Je me demande encore comment ça a pu l’amener à m’entraîner dans le dessin animé, tant ce que je faisais alors, la technique très noir et blanc aux petits points était inadaptable à l’animation !  Je dirais presque que c’est le contraire qui s’est passé : la recherche de sobriété nécessaire à l’animation (encore une nouvelle expérience qui m’a fait évoluer) s’est prolongée dans L’Âge d’ombre. Ce qui nous a amenés par la suite à adapter Équinoxe en animation (mais le film est un peu raté – dommage).

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Comment le long métrage, « Gandahar », après des années d’interruption, a-t-il pu finalement se réaliser ? Avez-vous pu travailler directement avec les animateurs nord-coréens ? 

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L’interruption, c’est qu’on n’avait plus de producteur, jusqu’à ce que Zuratas, qui était sur le coup depuis le début, trouve les moyens financiers et techniques qui ont rendu possible ce redémarrage. En particulier il a découvert le studio de Pyong-Yang qui souhaitait travailler avec l’Occident. Début d’une folle aventure ! Pour ma part, après la longue période préparatoire en relation quotidienne avec René, story-board, character-design, etc., je n’ai séjourné en Corée Nord que trois fois une semaine et j’ai travaillé à resserrer les boulons. Sur le plan du dessin proprement dit, en tout cas : je ne suis pas animateur. Feuilleter des feuilles d’anim’ et corriger la cambrure des femmes, la rondeur de leurs seins, par exemple. On avait affaire à des animateurs qui, dans leur école d’art, n’avaient jamais fait de nu. Et puis l’anatomie extrême orientale n’est pas l’anatomie européenne ou africaine.

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Cyborgs sans paroles, foules menaçantes, monstres fanatiques, les antagonistes de vos créations sont-ils avant tout la métaphore d’un ordre totalitaire ?

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Ça, dans Gandahar, c’est dans le bouquin. Et ça fait partie des choix de Laloux. Ailleurs dans mes créations ? Oui, non… Je ne sais pas trop. Ça existe sans doute mais ce sont des éléments parmi d’autres. Je ne théorise pas. Mais si vous l’interprétez ainsi, très bien. J’aime bien laisser au lecteur le soin d’interpréter.

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Les mythes doivent-ils être réécrits et sans cesse réadapter selon vous ?

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Les BD de super-héros sont faites de ça ! Et Star Wars, donc ! C’est un peu pareil : ce n’est pas que les mythes, contes et légendes doivent quoi que ce soit. Pour ma part, j’aime les mythes et j’aime les relire et les réinterpréter, les utiliser comme sources d’histoires qui résonnent à travers le temps et l’inconscient, le mien propre et l’inconscient collectif. Que ce soit fait de façon sérieuse ou parodique, c’est une bonne nourriture pour des histoires.

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Albe de la série « Le Monde d’Arkadi » est-elle l’héroïne la plus aboutie ?

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Albe, je l’ai voulue comme « la mère parfaite », mais Pan-Dra est un personnage plus complexe et sans doute plus abouti, puisqu’elle comporte une ambiguïté sexuelle et porte en elle le troisième pôle féminin de la saga : RI-10. C’est sans hésitation mon personnage préféré.

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A la fin des années 80, vous illustrez également des jeux de rôles dont « L’Appel de Cthulhu » de Lovecraft. C’est un exercice que vous avez apprécié ?

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Oui, au même titre que d’autres travaux d’illustrations de couvertures de livres, de magazines, de JDR.  Avec le cas particulier de l’écran de jeu : faire une illustration panoramique de quelque chose comme un mètre de long ! Je ne jouais pas moi-même, mais j’avais trois adolescents qui nous faisaient bouffer du jeu de rôle à tous les repas ! Et puis les ponts sont nombreux entre science-fiction ou Fantasy (et Lovecraft, entre autres) et JDR.

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« Les Enfants de la Pluie » (2003) a-t-il été un défi d’animation ?

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Un défi de création, oui. Avec beaucoup de bonnes conditions : j’étais devenu ami avec Philippe Leclerc et son studio d’anim’ était à 30 km de chez moi, ce qui m’a permis d’être présent au studio avec l’équipe de préparation au moins trois jours par semaine. Par ailleurs, j’étais scénariste (pas seul puisque qu’on partait du roman de Brussolo, puis de l’adaptation faite par René Laloux et abandonnée, critiquée et reprise par moi, en échange constant avec Leclerc, puis intervention d’un co-scénariste, avec des hauts et des bas, etc. : deux ans ou plus de mise au point du scénario et de recherche graphique. Puis, quand les choses ont vraiment démarré, un an de prépa 24/24 : quand je n’étais pas au studio, je bossais chez moi. Je ne faisais que ça. Dessiner les modèles de tous les personnages, figurants compris, de tous les décors (et je ne suis pas architecte), et jusqu’au dernier vase ou coussin et à la dernière bestiole. Ensuite veiller à ce que l’équipe de prépa suive bien mon dessin. La mise en scène, le story-board, l’animation, c’était l’affaire de Leclerc et c’est lui, avec quelques superviseurs, qui a dirigé l’équipe coréenne (Sud, cette fois !).)

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Le nouveau numéro de Métal Hurlant (février 2022) vous rend entre autres hommage. Avez-vous des conseils a donner aux dessinateurs de science fiction ?

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Surtout pas ! Pour moi, la situation a tellement changé depuis l’époque de mes débuts que je ne m’en mêle pas. Que dire ?… Sinon deux injonctions opposées : soyez vous-même… et soyez polyvalent.

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Avec « Les Aventures g’lactiques de Lola Lokidor », vous explorez à nouveau l’espace mais de façon littéraire – les dessins ne font qu’illustrer les nouvelles. Pourquoi ce choix ?

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J’avais l’envie, depuis longtemps, d’écrire des histoires “légères” dans l’espace, dans l’esprit de Robert Sheckley et de quelques autres auteurs des magazines “pulp”. J’avais plein de notes, j’en ai encore. Une héroïne chauffeur de taxi de l’espace est un bon prétexte pour qu’il puisse lui arriver à peu près n’importe quoi. Tout dépend des rencontres, des lieux, des aléas des voyages.

J’avais déjà fait quelques dessins et BD courtes ‘“Pic-nic sur Arcturus plage” pour le collectif Été Fripon des Humanos, en 91 ou « Planète Carnivore » pour Heavy Metal (2017) avec ce personnage dans ce même esprit.

Mais je suis un peu las du dessin depuis quelques années et écrire, cela demande quand même moins de temps et donc, depuis 2019, je me consacre surtout à l’écriture, parfois en recyclant des projets de scénarios laissés pour compte. Au départ, je ne voulais pas illustrer mes propres nouvelles. Et puis l’éditeur m’a suggéré de le faire, comme pour le précédent recueil Ginkoo-Bilooba. Et j’ai retrouvé du plaisir, surtout à cause de mon personnage fétiche de Lola, agréable à dessiner. Sans compter que cela ajoute de l’attrait au bouquin, parce que les gens qui me lisent savent bien que je suis d’abord illustrateur.

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Comment définiriez-vous Lola Lokidor, personnage si multiple ?

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On dit qu’il faut se méfier de l’eau qui dort.… C’est qu’elle peut en effet être ou devenir à peu près n’importe quoi en fonction des circonstances. En gros, cela reste une aventurière qui n’a pas froid aux yeux ni ailleurs, pas spécialement bagarreuse, sans doute, mais active, pleine d’initiative… et sexy. J’ai d’ailleurs en réserve encore pas mal d’autres aventures, pour un autre recueil. De même que j’ai sorti d’autres histoires non-g’lactiques, plutôt oniriques ou surréalistes (et sexy), avec elle et Rufus Tucru, dans un petit recueil publié par Ours éditions, “Les Jours & les Nuits de Lola Lokidor & Rufus Tucru”.

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L’espace et les planètes inconnues sont des espaces formidables car vous pouvez les modeler et les imaginer sans contraintes ?

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Il n’y a en effet pas grand-chose de réaliste au sens scientifique ou technique dans ces histoires. En partant de l’idée qu’il y a des tas de planètes habitables disponibles, qu’on y accède rapidement grâce à la métapropulsion Hawking et que tout ceci n’a aucune importance puisque dans la vraie vie, cela n’arrivera jamais, je peux y insérer des tas de petites idées baroques, des déconnades, même : des gens bizarres, des monstres tentaculaires, des biotopes improbables… tout en gardant une certaine décontraction, en n’oubliant jamais que la SF, c’est avant tout du divertissement.

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