Stephen King est depuis des dizaines et des dizaines d’années l’auteur de livres d’horreur le plus en vogue. Conséquence d’un tel succès en librairie, les histoires du romancier du Maine sont adaptées au cinéma et à la télévision. La prochaine sera une nouvelle série de son « Fléau », long roman traitant d’un virus décimant 99,4% de la population. Toute ressemblance avec un sujet d’actualité serait purement fortuite… Œuvre dérangeante mêlant amour, trahison, destruction massive et religion, « Le fléau » n’est jamais réellement terminé. Nouvel entretien avec Emilie Fleutot, créatrice du site https://stephenkingfrance.fr/.
Quelle est la genèse du livre « Le Fléau » ?
Des genèses, Stephen King en a expliqué plusieurs :
Il aurait la phrase : « Un homme noir sans visage », puis regardé vers le haut et vu un sermon qui ressemble à « une fois par génération, un fléau les touche » et c’était tout. C’est parti de là. Stephen King a ensuite les deux années suivantes à écrire ce qu’il appelle « un livre interminable appelé « Le Fléau » ».
Il a aussi déclaré avoir été influencé par « La Terre demeure », un roman de George R. Stewart dans lequel un homme isolé découvre que la quasi-totalité de l’humanité a été anéantie suite à une pandémie.
Stephen King a dit il y a quelques mois dans une interview avec Mick Garris qu’à l’époque où il écrivait qu’il y avait beaucoup de mensonges dans le gouvernement : on cachait des choses graves aux citoyens en leur mentant. Sachant que King est très engagé politiquement, notamment contre les fake news de Trump, ça l’a forcément inspiré aussi. Une partie du déclic pour écrire « Le Fléau » est venue d’un déversement de produits chimiques en Utah qui a tué des dizaines de moutons. Les scientifiques ont dit que si le déversement était allé dans l’autre direction, il aurait contaminé la ville de Salt Lake City. King a connecté cet événement au sermon catholique dont je parlais juste avant et « Le Fléau » est né ainsi. Dans l’interview, Stephen King explique également qu’il avait connecté tout cela avec l’idée que les militaires et les politiciens auraient continué de mentir même le phénomène était devenu hors de contrôle.
Le virus Captain Trips qui décime près de 99,4% de la population est-il un personnage à part entière ?
Il n’est pas le sujet principal : On ne part en quête de son origine ou d’un antidote. Il tue rapidement tout le monde et on se concentre sur ceux qui restent. Ce n’est qu’un prétexte pour installer un autre grand mal : Randall Flagg. L’histoire n’est pas celle de gens combattant un virus mais combattant un méchant qui se sert de cette situation pour prendre le contrôle.
Que représente Randall Flagg ?
« Le Fléau » sert pour King à évoquer un réel conflit entre des gens qui essayent de rétablir la démocratie et d’autres qui veulent vivre sous les ordres d’un leader. C’est une dénonciation du gouvernement de Richard Nixon. Lorsque King invente le personnage de Randall Flagg. Il l’a nommé Flagg (Flag = drapeau en anglais) afin d’évoquer qu’à cette époque, il y avait beaucoup de fascine dans le gouvernement américain.
La version de Randall Flagg que l’on connaît dans « Le Fléau » (c’est un méchant récurrent chez Stephen King) est inspirée de l’affaire de l’enlèvement de Patty Hearts par un groupuscule terroriste américain d’extrême gauche. King n’a pas réussi à faire une histoire satisfaisante et ne conserva finalement que le leader de ce groupuscule comme inspiration du personnage de Randall Flagg.
Que représente Mère Abigail ?
Elle semble être seulement un prétexte pour rassembler les gens : Chez King c’est souvent la Foi qui rassemble. Lui-même est croyant. L’histoire est beaucoup moins une histoire manichéenne qu’elle ne pourrait paraître si on se contente de la résumer à Randall Flagg et à Mère Abigail !
Les personnages sont-ils constamment mis à l’épreuve ou finalement il n’y a que deux camps bien distinctifs ?
On passe plus de temps avec « les gentils » si je puis dire, mais tous, même Randall Flagg, sont soumis à toutes ces épreuves. En 1 500 pages, il peut s’en passer des choses…
« Le Fléau » est-il une version du « Seigneur des anneaux » dans une Amérique contemporaine ?
Stephen King le cite parfois comme tel mais pour moi et comme pour beaucoup d’autres fans, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas aussi épique. Le seigneur des anneaux de Stephen King c’est « La tour sombre » (1982-2012) – une saga en 8 tomes. Il l’explique dans le premier tome, « Le pistolero ».
Certains lecteurs notent des similitudes entre « Le Fléau » et « Le livre de Job ». Le Christianisme est-il souvent dans les œuvres de Stephen King ?
Oui. Stephen King est très croyant et le Christianisme intervient souvent dans ses histoires, ses romans et ses nouvelles. Pour autant, même s’il est très croyant, il est souvent critique vis-à-vis des travers du Christianisme. Un des meilleurs exemples dans le genre « critique du fanatisme religieux » c’est le roman « Carrie » (1974).
Pour quelles raisons Stephen King a publié une version plus longue du « Fléau » en 1990 ?
C’est en fait une version plus proche que ce qu’il avait proposé à son éditeur en premier lieu. En 1977, King termine l’écriture du « Fléau » mais à l’époque, il n’était pas aussi vendeur qu’aujourd’hui. Et surtout les éditeurs n’ont plus envie de suivre son rythme d’écriture et de faire trois publications par an. Ils ne souhaitent pas non plus de publier ses gros pavés quitte à faire payer une œuvre plus chère que la moyenne des autres. Cette année-là, l’éditeur Doubleday a calculé en fonction de des précédents romans de Stephen King qu’il devait vendre le livre au prix de 12.95 $. En plus du prix, il y avait aussi un problème de format en hardcover. Il semble qu’ils ne pouvaient pas imprimer de gros pavés. Le manuscrit de King fut donc jugé trop gros. Il fallait enlever 150 000 mots au sinon il y avait le risque que l’éditeur ne le publie pas. King a finalement réduit son « Fléau » de 400 000 mots – cela correspond à environ 400 pages.
823 pages ont été publiées en 1978. Même si Stephen King a coupé lui-même les passages, il s’agit surtout de la version de l’éditeur. En mai 1990, après des négociations avec Doubleday (qui à cette époque empêchait King de faire ce qu’il voulait de son roman – notamment publier une belle édition limitée), King a pu sortir une version plus proche de son manuscrit initial avec des petites mises à jour. Les dates de l’histoire ont été changées (des années 80 aux années 90). Ainsi, les références culturelles et politiques ont pu être modifiées.
En comparant les deux éditions, on se rend compte que les 150 000 mots coupés avaient enlevé au « Fléau » des éléments qui le rendent plus profond et qui lui permettait de mieux définir le passé, la personnalité et les motivations des personnages. De nombreux détails sont également introduits sur la dispersion et les ravages de la super-grippe.
« Le Fléau » est-il une histoire moraliste sur les inévitables erreurs humaines ?
Cela en devient une car King est encore plus opposé au gouvernement de Trump que celui de Nixon. Il a même dit à propos de la nouvelle adaptation qui arrive en série : « C’est une très bonne chose que « Le Fléau » revienne parce que ça me semble toujours très fasciste aujourd’hui ».
Sans spoiler, la fin de son roman est quand même terriblement pessimiste : L’histoire se répète. L’être humain est-il capable d’apprendre de ses erreurs ? Pas sûr…
Que pense Stephen King des propos qui font le parallèle entre le virus du « Fléau » et le coronavirus ?
Il a twitté le 8 mars dernier que le coronavirus n’a rien à voir avec celui du « Fléau » et je suis d’accord. La super-grippe infecte 99% de la population en très peu de temps et tue 100% des personnes infectées.
Nous ne sommes pas à ce stade avec le coronavirus et nous ne le serons jamais. Il ne sert à rien de paniquer avec ce type de comparaison. J’en parle d’ailleurs ici : https://stephenkingfrance.fr/2020/03/fleau-stephen-king-coronavirus-covid19-comparaison/.
Pour en savoir plus :
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