A l’écrit comme à l’oral, le langage est celui qui nous lie avec les autres. Véritable code avec sa grammaire et son orthographe, notre langue (ou nos langues !) fait également partie de notre identité.
Forgé pendant des siècles et conçu en partie avec le latin et le franc, le français n’en a pas fini pas avec ses métamorphoses et ses débats. Mais où va-t-il à présent ?
Avec Maria Candea, sociolinguiste et sociophonéticienne à l’Université Sorbonne Nouvelle, Laélia Véron, Maîtresse de conférences en stylistique à l’Université d’Orléans, donne un véritable état des lieux de notre langue maternelle avec le livre « le français est à nous ! Petit manuel d’émancipation linguistique ». Rencontre.
Une langue doit-elle être protégée ou doit-elle être en constante évolution ?
Les deux ne sont pas forcément contradictoires, mais le terme « protéger » peut induire en erreur car il est possible de soutenir une langue, de l’aimer, de la développer, sans penser qu’il faut la « protéger ». Le français n’est pas une langue en danger, mais on peut bien sûr s’impliquer dans son développement, ses manifestations et sa diffusion. En d’autres termes, le français n’est pas en péril mais on peut continuer à s’impliquer et à soutenir la création et la diffusion en français.
Il existe d’autres langues qui sont en danger, et qu’on peut essayer de protéger. Mais il faut avoir conscience de l’artificialité qu’il peut y avoir à essayer de maintenir à tout prix une langue que les locutrices et locuteurs ne choisissent pas de transmettre à leurs enfants.
On dit souvent que les anglicismes menacent le français…
C’est une crispation assez ancienne. D’abord, il faudrait savoir ce qu’on entend par anglicismes. Par exemple, showering n’est pas un mot anglais. Parking et footing n’a pas du tout le même sens en français et en anglais. D’ailleurs, les anglophones se moquent souvent de nous au sujet des mots en –ing. Il s’agit plus de mots sociaux que de mots anglais. Comme dit le linguiste Bernard Cerquiglini, ce sont des « mots de l’entre-soi ». Posons-nous la question : est-ce que cela nous agace parce que ce sont des mots anglais ou parce que cela représente un certain entre-soi ?
Quant aux anglicismes à proprement parler, je peux comprendre l’agacement que cela suscite, mais il y a une différence entre être agacé et dire que c’est une menace pour le français. Il n’y a aucun risque de remplacement de notre langue par l’anglais.
Peut-on être « iconoclaste » tout en étant pertinent face aux codes linguistiques ? Peut-on transformer des mots ?
Une langue doit toujours évoluer par l’emprunt et la création de nouveaux mots. Le français continue de se transformer avec de nouveaux termes tels que « malaisant ». Ces transformations sont pertinentes si elles comblent un vide sémantique, si elles ont un sens et une utilité dans la communication. La création de néologismes fait partie de l’évolution normale de langue, on les loue en littérature (qu’il s’agisse de Rimbaud ou de Céline) mais on les trouve souvent agaçants dans le langage courant… Encore une fois, il faut prendre de la distance par rapport à notre premier mouvement affectif.
Prenons un exemple : beaucoup de gens s’agacent à propos d’une variante qui s’impose de plus en plus « Je suis sur Paris » (et non « à Paris »). Quand on voit que c’est une variante très usitée, soit on se dit que les gens parlent mal, soit on se demande quel sens ça a. Et être sur Paris n’a pas le même sens qu’être à Paris : généralement, le sur indique une zone géographique (ou temporelle) plus large. Ce n’est donc pas une simple dégradation du langage, c’est une nuance de sens.
Avec 300 millions de locuteurs représentant 4 % de la population mondiale (une personne sur 26), la langue française a-t-elle un avenir face aux autres langues plus parlées et plus enseignées ?
La langue française reste une langue très parlée et très enseignée. Elle est cependant menacée dans certains domaines comme la diplomatie, les publications scientifiques et certains domaines socio-culturels. Mais c’est une langue qui reste forte aussi bien dans les pratiques que dans certains domaines comme Internet.
.
.
.
Y’a-t-il eu une évolution de nos discours dans un pays où peu à peu le Français s’est totalement imposé face aux exceptions régionales ?
J’ai posé récemment une question sur Twitter : « Combien y’ a-t-il de langues officiellement reconnues en France ? ». Peu de personnes pouvaient vraiment répondre, parce que la situation est très ambiguë, même officiellement : Il y a beaucoup de langues reconnues comme de France mais la seule langue officielle reste le français.
En 1990, la constitution a été modifiée pour affirmer que l’unique langue de la République était le français puis la constitution a été modifiée à nouveau afin de reconnaître les langues régionales comme partie intégrante du patrimoine. Le concept de langues « reconnues » reste cependant toujours assez vague. La France a fait la promesse de ratifier la charte européenne des langues régionales mais ce n’est toujours pas fait. Tous ces allers-retours montrent une ambiguïté vis-à-vis du statut des langues régionales. De nombreux pays ont pourtant plusieurs langues officielles, et cela ne les met pas mutuellement en péril. Notre territoire est clairement francisé, si on reconnaissait les langues régionales, si on avait un plurilinguisme officiel, cela ne mettrait pas pour autant le français en danger.
Le discours politique de nos jours reste-t-il multiple ou trop uniformisé selon vous ?
.
.
Cela dépend de quel langage politique on parle. Le langage politique officiel est uniformisé. Franck Lepage l’a très bien montré avec sa vidéo sur la langue de bois en politique, ce sont toujours les mêmes mots que l’on retrouve. Mais il ne faut pas réduire le langage politique aux éléments de langages de certains élus et conseillers. Il y a de multiples langages politiques, le langage politique c’est aussi le langage des syndicats, des associations, des mouvements populaires… C’est un langage qui est riche et vivant.
Le langage inclusif a-t-il un avenir selon vous ?
.
.
Le langage inclusif est déjà là, il a un passé, un présent, il aura un avenir. Certaines variations du langage inclusif, comme la féminisation des termes et la double flexion existent depuis longtemps. Ce ne sont pas des effets de modes, il n’y a donc aucune raison qu’elles disparaissent.
Êtes-vous auteure ou autrice ?
Autrice. Je suis comme tout le monde, le mot m’a gênée au début parce que je n’y étais pas habituée. Mais il est régulier (actrice, lectrice, autrice), il est logique, il existe depuis longtemps, et je l’utilise maintenant sans problème.
L’enseignement dans le milieu carcéral a-t-il pour but de « corriger les discours » ou y’a-t-il également un souci d’échanges ?
.
.
Je n’utiliserais pas le terme « corriger les discours ». Quand je prépare les détenus à des examens, nous sommes obligés de gérer le rapport à la norme. Mais il s’agit surtout de renouer avec la langue, que ce soit l’expression orale ou écrite. Le langage pour moi, c’est vital, car c’est ce qui permet de communiquer avec les autres. Tout être humain quelque soit sa condition, en prison ou non, doit pouvoir communiquer avec le reste de la société.
Quel est votre terme/expression/mot préféré(e) dans la langue française ?
En tant que linguiste, j’aime le français tel qu’il est et je n’ai pas de préférence pour un mot ou une expression. Préférer quelque chose est une attitude normative, les linguistes ont plutôt une attitude descriptive. Mais s’il faut cibler certains mots, je trouve qu’« enjailler » est très joli. J’aime en général l’invention de nouveaux mots, de néologisme… par exemple dans la littérature classique, j’aime la manière dont Molière a inventé un nom propre (Tartuffe) et en a fait un verbe (être tartuffié, être mariée à Tartuffe) « Vous serez, ma foi, tartuffiée »).
Pour en savoir plus : Le livre de Laélia Véron et de Maria Candea : « Le français est à nous! Petit manuel d’émancipation linguistique » Editions La Découverte- 2019 https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_fran__ais_est____nous__-9782348041877.html