« Et tout d’un coup, le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (…) ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. »
Le temps d’une bouchée, c’est ainsi que l’écrivain Marcel Proust revivait une saveur passée mais retrouvée, celle de la madeleine.
Ce petit gâteau traditionnel de Lorraine si reconnu (et si populaire!) est devenu la grande spécialité du Chef pâtissier, Gilles Marchal, aujourd’hui installé sur la Butte Montmartre. On ne peut louper cette petite boutique qui propose également d’autres pâtisseries et confitures. Nous nous y sommes arrêtés afin de poser quelques questions à notre hôte, Gilles Marchal.
Votre pâtisserie reste à taille humaine. Vous avez souhaité garder un aspect simple et convivial ou vous avez voulu vous adapter à la butte Montmartre ?
C’est d’abord que ma boutique transpire ma philosophie et ma personnalité. Même si Montmartre a été un hasard, l’endroit a été un coup de cœur notamment avec la configuration de l’atelier. Quand on est Parisien, j’étais plutôt apte à m’installer dans le 1er, le 6ème ou le 8ème. Rarement les Parisiens viennent à Montmartre.
Nous avons été surpris par la clientèle locale qui s’est fidélisé. De plus, l’endroit est une des deux grandes artères pour aller à la Place du Tertre. Dans la zone, il y a l’épicerie d’Amélie Poulain, le bateau lavoir, le moulin de la galette, la maison de Dalida est à quelques pas. Tôt ou tard, on passe devant ma pâtisserie.
La madeleine, petit gâteau de Lorraine, peut-elle encore être pleine de surprises et de nouvelles recettes ? Peut-on innover avec tant de simplicité selon vous ?
Ce qui est important c’est de respecter l’origine de la madeleine. Par exemple, les pâtes sont un produit simple et pourtant on peut toujours ajouter quelque chose tout comme la pâte à chou.
Je ne dénature pas la madeleine mais je lui donne des titres de noblesse. Nos madeleines sont cuites plusieurs fois par jour ce qui leur donne ce côté chic. J’ai une pâtisserie chic pas de luxe. La première des choses c’est la fraîcheur. Ainsi, je respecte la madeleine. Je n’ai qu’une seule boutique. Au fur et à mesure de la journée, les madeleines sont cuites.
Il était évident pour moi d’en faire l’emblème de ma maison de part mes origines lorraines. La madeleine est devenu le logo et les moules en porcelaine sont spécialement conçus pour en faire. Sylvie Coquet les a réalisés au bout de trois mois. Mon nom est écrit à la feuille d’or. La madeleine a obtenu de la valeur.
J’y ai ajouté du caramel, de la pâte de pistache, avec une ganache au chocolat… Il y a peu de temps, nous avons essayé avec de la framboise avec un petit peu de fleur d’oranger glacée, avec des cœurs pour la fête des mères, avec des marrons en hiver.
Nous suivons les saisons avec déjà 28 madeleines réalisées. Par contre, je ne crée pas pour créer. Cela doit rester gourmand.
Vous souhaitez rester fidèle aux traditions ou vous voulez toujours innover dans la pâtisserie ?
Il est possible d’être traditionnel avec sa propre signature. La majorité de ma clientèle recherche la tradition. J’essaye d’apporter une note visuelle contemporaine pour apporter une lettre de noblesse : la fraîcheur. Au bout de 4 ans, nous sommes rentrés dans les familles avec des commandes pour des baptêmes et des anniversaires notamment. Les rituels sont les mêmes qu’il y a des années. Chaque dimanche, les familles achètent leur gâteau. Pour moi, il est important d’être un commerce de proximité.
Nous nous sommes adaptés à un lieu de Paris qui n’était pas mon quartier.
Vous avez travaillé pour des lieux prestigieux comme la Maison du chocolat ou encore les hôtels tels que le Crillon, le Bristol et le Plazza athénée. Qu’avez-vous appris de ces expériences ?
Ce n’était pas la même époque qu’aujourd’hui. On venait vous chercher. A présent, il y a plus de communication sur un pâtissier qu’il y a des années. J’ai eu cette chance de commencer au Crillon. On m’a ensuite téléphoné pour aller au Plazza, au Bristol, à la Maison du chocolat. Je n’ai pas eu besoin de faire un CV. Ce n’est plus la même chose aujourd’hui.
J’ai été recruté au Bristol après une bouteille de champagne avec le directeur. Lorsque quelqu’un vient dans ma boutique avec son CV, je tiens à discuter avec lui et je me fais une bonne idée. J’ai formé beaucoup de jeunes qui aujourd’hui ont leur propre boîte en France ou ailleurs. La formation est très importante. J’aime travailler avec mes apprentis.
Dans les hôtels, j’ai renforcé la rigueur et vous devenez ainsi complet, vous faites tout. J’observais les grands chefs. Je n’avais plus peur de rien. Un prince du Moyen-Orient devait arriver en début de semaine et a commandé une pièce montée pour 300 personnes ; nous étions en mesure de réaliser une telle demande.
J’adore le coup de feu.
Grâce à mon métier, j’ai pu voyager dans plus de 60 pays. J’ai par exemple visité des plantations de cacao. Ce fut incroyable.
Qu’est-ce qu’on apprend du monde entier lorsqu’on est ambassadeur de la pâtisserie française ?
Il ne faut pas croire que nous sommes les meilleurs du monde. Il y a des cuisines fabuleuses dans le monde comme la coréenne, la japonaise, l’italienne ou la marocaine. En pâtisserie, c’est plus restreint alors qu’en France il y a des spécialités partout. En Bretagne, dans le Sud-Est, dans le Nord, dans le Massif central, il y a une multitude de différences.
Notre culture de la pâtisserie a beaucoup d’origines notamment d’Europe de l’Est avec Stanislas Leszcynski qui adorait les gâteaux. Il a construit une réplique du Château de Versailles à Lunéville. C’est devenu un lieu de fêtes d’où sont nés le baba au rhum et la madeleine. Toutes ces maisons bourgeoises et royales ont apporté des qualifications professionnelles à la pâtisserie française. Nous avons un patrimoine incroyable.
Mais il m’est arrivé de goûter à l’étranger des gâteaux extraordinaires. Comme au Venezuela où il y avait une recette simple à base de jaune d’œuf sucré faite par une vieille dame et ce fut superbe. Elle ne connaissait pas l’origine du gâteau. C’était transmis de génération en génération. Ce fut la même chose avec ma grand-mère et ma mère. Tout est fait à la cuillère sans vraiment de recette.
Lorsque je vais au Japon, j’ai appris que des gâteaux ; comme le castella qui vient du Portugal est devenu une tradition japonaise au fil des siècles. J’ai moi-même essayé de le faire mais ce n’est pas aussi bon qu’au Japon.
Peut-on être encore surpris aujourd’hui par la pâtisserie ?
Je reste très exigeant sans être critique. Je souhaite toujours manger quelque chose de bon, de gourmand. Quand vous mangez un bon gâteau, on en veut un deuxième. Les choses simples peuvent être incroyables. Un jour, on m’a demandé quels étaient mes pâtissiers préférés, j’ai répondu : C’était ma grand-mère et ma mère qui continue des gâteaux au fromage blanc et les madeleines.
La simplicité et la fraîcheur peuvent venir d’un pain au lait ou d’un croissant.
Quels sont vos projets ?
Avant tout, je souhaitais que ma boutique devienne une vraie adresse à Montmartre. J’y suis depuis 4 ans. Je souhaite également ouvrir au Japon. J’espère d’ici un an et demi construire quelque chose. Je ne veux pas faire les choses trop vite.
Il est plus facile de s’installer à l’étranger et que d’avoir un nouveau projet à Paris. Par contre, à l’étranger, il est plus difficile de rester. Il faut être patient et je souhaite travailler avec une équipe qui comprend ma façon de travailler.
Je ne fais pas de plan sur la comète. A suivre.
Le site de Gilles Marchal : http://gillesmarchal.com/