Haute silhouette, regard perçant, excentrique doté d’une mémoire remarquable, Sherlock Holmes est sans nul doute l’une des plus grandes figures du roman policier britannique. Redoutable détective privé, il résout les affaires impossibles et affrontent tous les dangers de la société victorienne. Médecin de profession, Sir Arthur Conan Doyle a su capter l’attention des lecteurs dans plus de 56 nouvelles, réunies dans cinq recueils, et quatre romans. Car bien que ce soit le docteur Watson qui narre les exploits de son ami et associé Holmes, c’est l’inventivité de Doyle qui a su construire une identité propre au détective à la pipe.

Sophie Le Hiress de l’Université de Brest et de l’Université de Lorient nous en dit plus sur le locataire du 221b Baker Street (et sur son créateur!).

 

 

 

Y’a-t-il des codes, une figure-type du détective dans la littérature de l’Europe du XIXème siècle?

 

 

Lorsque Edgar Poe publie la première aventure mettant en scène le Chevalier Dupin en 1841, il révolutionne la conception que le grand public a du détective. Plus précisément, il lance une nouvelle mode, celle du détective herméneute : doté d’un sens de l’observation hors du commun, aucun indice ne lui échappe et il peut, grâce à ses capacités de déduction, déchiffrer ces indices et leur donner un sens. C’est cette méthode qui influence ensuite les auteurs européens tels qu’Emile Gaboriau et Arthur Conan Doyle. Le premier, souvent appelé « père du roman policier » crée l’inspecteur Lecoq en 1866, un personnage qui inspirera largement Arthur Conan Doyle pour son détective Sherlock Holmes.

Le point commun de ces trois détectives est la méthode d’investigation qu’ils emploient, et SHERLOCK 2les résultats exceptionnels qu’ils obtiennent. Pour comprendre le succès de ces enquêteurs de génie auprès du grand public, il faut prendre en compte le contexte social et culturel de l’époque, notamment au Royaume-Uni. En effet, en 1859 paraît « On the Origin of Species by Means of Natural Selection or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life », écrit par le naturaliste Charles Darwin, un essai proposant l’idée d’une théorie de l’évolution. La théorie de Darwin change complètement l’image de l’origine telle qu’elle est perçue par l’homme. Face à ce bouleversement idéologique, la société victorienne particulièrement rigide doit faire face à ce qu’implique cette théorie de l’évolution : une origine animale pour l’homme, et la disparition de nombreuses frontières fermement établies au fil des siècles telles que les frontières entre les classes ou entre les genres.

Cette théorie déclenche également une peur grandissante de la régression et de la dégénérescence : si les espèces sont en perpétuelle évolution, cela signifie également qu’elles sont en mesure de régresser, et cette origine animale de l’homme donne naissance à l’image du monstre, hybride entre l’homme et l’animal, qui menace la survie même de l’humanité. Dans ce contexte, la société cherche des réponses à ces nouvelles interrogations, une manière de se rassurer face à cette insécurité croissante. L’une des solutions consiste à trouver des coupables, des boucs émissaires qu’elle pourra ensuite stigmatiser et exclure de façon à rétablir cet ordre perdu. C’est le principe même du roman policier, dont la structure narrative vise justement à l’identification de ce bouc émissaire (le criminel) et à son arrestation.

Le génie de ces nouveaux détectives apparaît donc comme une solution aux craintes obsessionnelles du grand public : aux grands maux les grands moyens, pourrait-on dire.

 

 

Les relations entre Sir Arthur Conan Doyle et Sherlock Holmes sont complexes. L’auteur appréciait-il finalement son personnage?

 

 

La première motivation de Doyle en créant Sherlock Holmes était d’écrire les aventures d’un détective qui expliquerait sa méthode en détails. Il déplorait en effet la tendance de la littérature policière de l’époque dans laquelle le détective semblait passer des indices aux conclusions de manière miraculeuse, sans jamais se justifier. Inspiré par la méthode analytique et les observations et déductions logiques de Joseph Bell, un de ses professeurs de médecine à l’université d’Édimbourg, Doyle décide donc d’appliquer la rigueur de son métier de médecin à la technique de son personnage. Cependant, il ne s’est jamais caché de ne considérer les aventures de Sherlock Holmes que comme une littérature de loisir, bien loin des genres et thématiques plus sérieux qu’il privilégiait. Doyle aspirait en effet davantage à être reconnu pour ses romans historiques ou ses œuvres sur le spiritisme et le paranormal. La mort de Sherlock Holmes, qu’il écrit en 1893, devait justement lui permettre de se consacrer à l’écriture de tels ouvrages.

La colère des lecteurs, cependant, l’oblige à ramener Sherlock Holmes sur le devant de la scène. Le détective fait même de l’ombre aux autres écrits de l’auteur, à son grand désarroi. Si Holmes permit à Doyle de connaître un immense succès et de devenir l’un des auteurs les mieux payés de son époque, il fut donc également une source de frustration pour son auteur, qui ne parvint jamais à se débarrasser de son personnage.

 

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Le Professeur Moriarty, « le Napoléon du crime » selon Sherlock Holmes, est son grand adversaire. Quels sont les points communs, les différences entre les 2 personnages ?

 

 

 

Ce qui est intéressant avec le personnage de Moriarty, c’est qu’il ne joue un rôle conséquent que dans une seule nouvelle de Doyle, « Le Dernier Problème » (publiée dans Les Mémoires de Sherlock Holmes en 1894), où il est finalement éliminé par Holmes. Pourtant, l’aura de ce personnage et sa relation avec le célèbre détective n’en finit pas de passionner les admirateurs du canon holmésien, à tel point qu’il est devenu le méchant dont la présence est désormais quasi obligatoire dans toutes les adaptations holmésiennes. Mais, finalement, ce qui fait la célébrité du personnage, c’est avant tout l’importance qu’il prend dans le mythe holmésien lui-même, au-delà du Canon originel. Souvent, les créateurs d’adaptation jouent justement avec l’attente de leur public, qui anticipe l’apparition du célèbre méchant dans toute fiction holmésienne qui se respecte.

Cependant, dans le Canon écrit par Doyle, si Moriarty parvient à berner Holmes, il le fait avec moins de réussite qu’Irene Adler qui, elle, ne se fait pas tuer par le détective. Ce qui fascine chez Moriarty, c’est, en effet, l’idée de « double maléfique » de Holmes que Doyle a créé moriartyavec ce personnage. Tous deux sont régulièrement décrits comme des araignées au centre de leur toile, en contrôle, tirant les fils pour faire le bien ou le mal. De plus, le célèbre criminel est présenté comme la seule personne capable de rivaliser avec le détective d’un point de vue intellectuel. D’une certaine manière, l’existence de Moriarty rappelle à Holmes sa propre place et sa propre utilité dans le monde : celle de lutter pour préserver l’ordre. En ce sens, Moriarty est nécessaire à l’existence de Sherlock Holmes en tant que détective, et lorsque Sherlock Holmes n’existe pas en tant que détective, il n’existe pas du tout. Arrêter Moriarty et sa bande est donc censé être l’ultime défi de Sherlock Holmes, le paroxysme de sa carrière de détective. C’était tout du moins l’objectif de Conan Doyle après la mort de son personnage à la fin de la nouvelle, jusqu’à ce que la colère de ses lecteurs ne le force à le ressusciter – réduisant, par là même, l’aura de Moriarty dans le Canon d’origine.

 

 

Intéressé par le spiritualisme, Conan Doyle traite également du fantastique comme dans « Le chien des Baskerville » ou « Le vampire du Sussex ». Sherlock Holmes combattait-il les croyances de son créateur?

 

 

Conan Doyle était en effet fasciné par le spiritualisme et le paranormal, et était connu à l’époque pour les séances de spiritisme qu’il organisait avec son épouse. On s’étonne souvent que le créateur de Sherlock Holmes, personnage cartésien s’il en est, soit également l’auteur d’une douzaine d’œuvres consacrées au spiritisme et au paranormal. Conan Doyle était en effet, à l’image de son détective, un homme plein de contradictions.

Holmes représente la loi et l’ordre, mais ne fait pas partie de la police. De plus, il utilise des techniques rationnelles de déduction dans ses enquêtes, mais est décrit à plusieurs reprises comme un artiste. Il alterne également régulièrement entre des périodes d’activité effrénée et des phases d’apathie totale. Enfin, il combat le crime mais reste indéniablement proche des criminels, notamment de Moriarty. La personnalité ambivalente du détective peut ainsi faire écho à celle de son créateur, médecin et écrivain de fiction, passionné aussi bien par l’Histoire et ses faits que par le  spiritualisme et les phénomènes paranormaux.

Enfin, il faut rappeler la place particulière du spiritisme au XIXème siècle. Il s’agissait d’une certaine manière d’un hybride entre science et métaphysique évolutionniste, une sorte de contre-culture dans une société Victorienne particulièrement rigide, notamment sur le plan religieux. Finalement, le spiritualisme pouvait presque apparaître comme une alternative rationnelle à la religion, à une époque où la théorie de Charles Darwin remet complètement en question la conception idéologique de l’évolution humaine. Doyle, quant à lui, considérait la spiritualité comme une philosophie qui portait l’espoir d’une possible amélioration des pratiques religieuses pour le futur de la race humaine.

 

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Face à un Sherlock Holmes excentrique pour l’époque, le Dr. Watson est le profil type du gentleman victorien. Quelles sont les relations entre les 2 personnalités?

 

 

Le point de vue de Watson sur les aventures de Sherlock Holmes est particulièrement intéressant. En effet, dans chaque nouvelle, il fournit un point de repère aux nouveaux lecteurs connaissant peu les méthodes de Holmes. Ceux-ci peuvent ainsi s’identifier au narrateur et à son ébahissement perpétuel devant le talent du détective. Dans le même temps, pour les lecteurs habitués aux capacités d’observation et de déduction de Holmes, WATSONWatson apparaît comme un personnage lent, voire même agaçant, qui a du mal à suivre l’esprit vif de son ami : les lecteurs avisés suivront donc parfois le fil des pensées du détective plus facilement que Watson. Cela pourra leur donner l’impression de connaître et comprendre Holmes mieux que le docteur, ce qui mènera, enfin, à une proximité plus importante entre le lecteur et le personnage principal. Cette dimension est importante car, à première vue, il semble très difficile – voire impossible – pour le commun des mortels de s’identifier à ce personnage hors du commun.

Watson et Holmes apparaissent ainsi comme complémentaires dans le procédé narratif de Doyle. En effet, si Watson passe souvent pour un benêt, c’est sa manière de raconter les aventures de Holmes qui rend le récit agréable aux lecteurs. Il ajoute des sentiments à la froide technique de Sherlock Holmes qui, s’il relatait lui-même ses aventures, ne les rendrait que plus complexes et rébarbatives du fait de son amour pour la logique pure et dénuée de toute émotion – susceptible selon lui de brouiller les pistes ou d’induire en erreur. Le point de vue adopté par la narration rend ainsi le texte plus divertissant et plus abordable pour les lecteurs qui, comme Watson, sont incapables de suivre le fil des pensées de Holmes et ont donc besoin d’une explication claire et détaillée pour comprendre ses déductions.

 

 

En plus d’être brillant intellectuellement, Sherlock Holmes est également un adepte de la boxe et des arts martiaux. Est-il le parfait gentleman selon Arthur Conan Doyle?

 

 

Sherlock Holmes est en effet un personnage aux compétences multiples et relativement peu communes pour l’époque. Il reste un héros non conformiste et assez excentrique dans le paysage victorien. Joseph McLaughlin explique cette singularité par l’intérêt prononcé de Doyle pour les romans historiques de James Fenimore Cooper ou Robert Louis Stevenson. McLaughlin n’hésite pas à comparer Sherlock Holmes à Natty Bumppo, héros du Dernier des Mohicans de Cooper. En effet, Holmes peut rappeler la figure du pisteur, personnage marginal qui protège son territoire contre les influences néfastes en utilisant des connaissances et des techniques oubliées par l’homme civilisé. D’une certaine manière, Holmes met en place un nouveau modèle masculin pour la société victorienne, en se présentant comme un champion de la justice.

Cependant, malgré les points communs que l’on peut trouver entre le personnage de Holmes et celui du pisteur, le détective de Doyle reste intégré au monde civilisé. Il est parfois qualifié de « limier », une dimension domestique qui l’éloigne du personnage de Cooper, qui évolue dans les contrées sauvages de la Frontière. Holmes est un pisteur civilisé : il ne poursuit pas de vengeance sanglante et préfère remettre les criminels à la justice. Ce modèle de masculinité urbanisée fait donc écho au goût de Doyle pour le roman d’aventures, tout en respectant les attentes de son lectorat.

 

 

Au grand dam du Dr. Watson, Sherlock Holmes est adepte de la cocaïne. Etait-ce là la seule faille du détective? 

 

 

Au début du roman Le Signe des quatre, la description que fait Watson de la manière dont Holmes consomme de la cocaïne s’apparente à un rituel fascinant. Cette dimension à la fois effrayante et envoûtante peut, d’une certaine manière, être mise en parallèle avec les sentiments mitigés qui entourent la question d’une « invasion » coloniale dans le Londres du XIXème siècle. En effet, les produits issus de l’exportation sont teintés à la fois d’exotisme et de mystère. Dans ce contexte, la consommation de cocaïne par Holmes fait écho à une certaine idéalisation d’une culture coloniale fantasmée. Cependant, le détective se sert avant tout de la cocaïne pour échapper à la routine et à l’ennui lorsqu’aucune affaire ne vient occuper son esprit toujours avide d’action. Il contrôle sa consommation et ne la laisse pas interférer avec son travail. Il s’agit donc d’une faille toute relative.

Ses failles se situent davantage sur le plan académique. En effet, s’il dispose de connaissances extraordinaires dans certains domaines (chimie, littérature sensationnelle), ses compétences en astronomie ou en philosophie, par exemple, sont inexistantes. Cependant, Holmes souligne le fait qu’il se doit de procéder à un tri pour ne retenir que les connaissances indispensables à l’exercice de son métier, et se retrouve ainsi contraint de laisser de côté le savoir qu’il juge inutile et qui risquerait d’encombrer son esprit. Ainsi, malgré ses lacunes évidentes, Sherlock Holmes reste un détective fiable et compétent.

La faiblesse majeure de Sherlock Holmes, c’est finalement sa difficulté à gérer les relations sociales. Si cela le fait souvent passer pour un excentrique, le problème réside surtout dans sa tendance à sous-estimer ses pairs. Son ego surdimensionné peut d’ailleurs lui jouer des tours, par exemple lorsqu’il commet l’erreur sous-estimer les capacités d’Irene Adler, qui en profite pour prendre le détective à son propre jeu.

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Connait-on les opinions politiques de Sherlock Holmes dans un contexte particulier de l’Empire britannique et de la Grande Guerre?

 

 

 

Doyle était un fervent conservateur, ami de plusieurs impérialistes tels que Rudyard Kipling. À titre d’exemple, il écrivit un essai défendant l’implication, alors controversée, de l’Angleterre lors de la Guerre des Boers (1899-1902).

Si l’on connaît les opinions politiques de Doyle vis-à-vis de l’Empire Britannique, celles de son personnage ne sont pas évidentes à première vue. Cependant, l’on peut trouver des références au climat d’inquiétude entourant les questions d’immigration dans le Londres du XIXème siècle. Dans Une Étude en rouge, Watson compare la capitale à « un vaste réceptacle vers lequel converge, irrésistiblement entraînée par tous les déversoirs de l’Empire Britannique, la foule des gens qui n’ont dans la vie ni emploi fixe, ni but déterminé ». La ville devient donc une sorte de fosse où s’entassent les « déchets » de la nation. Dans ce contexte émerge  le besoin d’explorer, de conquérir, d’éclairer, de purifier, d’apprivoiser et de dompter les lieux. Sherlock Holmes apparaît donc comme le défenseur et protecteur d’une ville à la merci des dangers venus de l’extérieur, comme les criminels d’Une Étude en rouge (Drebber et Stangerson, venus des États-Unis) ou du Signe des quatre (Tonga, originaire d’Inde). Cette dimension protectionniste est d’ailleurs évoquée dans l’article cité par Watson à la fin d’Une Étude en rouge : « cette affaire a eu au moins l’avantage de mettre en relief, de la manière la plus brillante, l’efficacité de notre police. Les étrangers sauront maintenant qu’ils feront mieux de vider leurs querelles chez eux et de ne pas choisir pour cela le sol britannique ». Par ailleurs, le retour de Sherlock Holmes en 1901 dans Le Chien des Baskerville coïncide avec une période de crise nationale liée à la Guerre des Boers. On pourra voir la décision de Doyle de ramener son détective sur le devant de la scène, après huit années d’inactivité, comme une volonté d’encourager un certain esprit patriotique à travers une brillante enquête de Holmes.

La Grande Guerre influence également les écrits de Doyle, notamment lorsque Sherlock Holmes traque un espion allemand dans la nouvelle « Son dernier coup d’archet » parue en 1917. Le sens du devoir du détective envers son pays est encore une fois souligné et célébré.

 

 

Les adaptations cinématographiques et télévisuelles ont-elles pu capter l’originalité des romans selon vous?

 

 

Les adaptations des nouvelles et romans de Doyle consacrés à Sherlock Holmes sont légion. Depuis plus d’un siècle, plus de quatre-vingt acteurs ont incarné le célèbre détective, contribuant chacun à leur manière à l’évolution du personnage lui-même et à sa popularité auprès du grand public. Certaines adaptations, comme la série de la Granada (1984-1994), ont réussi à transposer le personnage à l’écran tout en restant extrêmement fidèles aux écrits de Doyle, aussi bien dans les intrigues que dans l’univers dans lequel évolue le personnage. Certains acteurs ayant prêté leurs traits au détective sont également parvenus à matérialiser toute l’ambivalence du personnage ; on pourra notamment citer Jeremy Brett.

La question de la personnalité complexe de Sherlock Holmes reste également cruciale dans les adaptations, et son exploration prend parfois le pas sur les enquêtes à résoudre. Le penchant de Holmes pour la cocaïne est par exemple à la base de l’intrigue de The Seven-Per-Cent Solution, film de 1976 adapté du roman du même nom (Nicholas Meyer, 1974). Il 26PERCENT-jumboest ici intéressant de noter un certain phénomène de poupées russes lié à un foisonnement d’adaptations, de réécritures et de pastiches autour du personnage. Selon Denis Mellier, cette profusion est liée à la frustration que procure le mystère qui entoure plusieurs éléments du récit. En effet, Doyle semble tout faire pour attiser la curiosité de ses lecteurs, en taisant de nombreux détails plus ou moins importants concernant les personnages principaux et leurs enquêtes. Face à ce manque d’informations particulièrement frustrant pour les lecteurs chevronnés, le développement de nouvelles intrigues associées au détective semble inévitable. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir se succéder les adaptations.

Ce qui reste parfois difficile à porter à l’écran, c’est la subtilité de la méthode de Sherlock Holmes. Si les descriptions de Watson font bien état des extraordinaires capacités d’observation et de déduction du détective, il est parfois compliqué de les matérialiser à l’écran de manière convaincante. La série Sherlock (BBC) a, à mon sens, réussi de manière très inventive sur ce point. Les scènes de crimes sont soumises à une sorte de dissection visuelle correspondant aux observations de Holmes. Des gros plans attirent l’œil du spectateur sur l’élément à observer, tandis que des mots, en surimposition sur l’image, lui permettent de suivre le raisonnement du détective.

Holmes offre des possibilités infinies en terme de réutilisation du personnage, sans jamais en menacer ni l’intégrité ni la popularité. Sherlock Holmes semble s’être échappé des pages écrites par son concepteur, pour vivre désormais sur un nouveau médium. Les adaptations se nourrissent même les unes les autres, agrandissant toujours plus l’univers holmésien, y ajoutant ici un accessoire, ou là une précision sur la personnalité des héros. Si tout n’est pas bon à prendre dans les adaptations du Canon holmésien, il faut surtout reconnaître la capacité de ce personnage à traverser les époques sans se démoder. Or, selon Linda Hutcheon, c’est précisément l’adaptabilité d’un récit qui atteste de son intemporalité et de sa capacité à survivre, même des siècles après la publication de l’œuvre originale.

 

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Pour aller plus loin :

 

La thèse actuelle de Sophie Lehiress est « La figure du détective en fiction sérielle : origines et évolutions d’un mythe, du texte à l’image ».

 

Linda Hutcheon. A Theory of Adaptation. Routledge, 2013.

 

Hélène Machinal, Gilles Ménégaldo, Jean-Pierre Naugrette. Sherlock Holmes un nouveau limier pour le XXIe siècle : Du Strand Magazine au Sherlock de la BBC. Presses universitaires de Rennes, 2016.

 

Joseph McLaughlin. Writing the Urban Jungle: Reading Empire in London from Doyle to Eliot. University Press of Virginia, 2000.

 

Denis Mellier. Sherlock Holmes et le signe de la fiction. ENS Éditions, 1999.

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