« Albinos d’apparence quelque peu malsaine, les traits émaciés, des oreilles pratiquement pointues, des yeux dilatés et en amande, aux pupilles d’un rouge éclatant à demi démentes » tels sont les mots de Michael Moorcock pour définir son personnage fétiche, Elric.

Maintes et maintes fois adaptés en bande dessinée, le cycle du dernier empereur de Menilboné continue d’inspirer les auteurs. En 2024, Julien Blondel, Jean-Luc Cano (scénaristes) et Valentin Sécher (dessinateur) ont signé une nouvelle adaptation d' »Elric le nécromancien » (Editions Glénat). Accompagné du jovial Tristelune, le mercenaire à la longue épée Stormbringer va devoir faire face à une nouvelle menace : un portail vers une autre dimension.

Vous pouvez également admirer une édition spéciale noir & blanc de cette histoire mythique.

Entretien avec Valentin Sécher, Jean-Luc Cano et Julien Blondel autour d’Elric de Ménilboné.

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Que représente pour vous Elric, cette étrange figure albinos ?

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Julien Blondel : Elric, c’est une Madeleine de Proust de la fantasy pour moi. Il fait partie de mes premières grandes rencontres de lecture de jeune adolescent, avec Baudelaire, Lovecraft ou encore Stephen King. Je lisais de la poésie, de la tragédie grecque et des livres de jeu de rôles à l’époque. Il y a quelque chose de très adolescent dans Elric, une révolte, une solitude – une liberté d’écrire des histoires dramatiques dans des univers de genre qui m’a tout de suite touché, et que je continue de trouver inspirante aujourd’hui. C’est une sorte d’Antigone de Shakespeare, mais avec des dragons et des Seigneurs Démons. What else ?

Valentin Sécher : C’est tout d’abord par la bande dessinée de Julien et Jean-Luc que j’ai découvert Elric. Je ne connaissais pas mais le tome 1 m’a embarqué dans cet univers tout de suite. A l’époque je ne les connaissais pas, je débutais dans le milieu. Ça fait partie de ces BD qui m’ont donné envie de faire de la fantasy. Je suis honoré aujourd’hui de pouvoir travailler sur cet univers avec eux.

Jean-Luc Cano : Je rejoins totalement Julien sur cette question. J’ai découvert Elric à 12 ans, et pour la première fois de ma vie, j’avais un héros d’Heroic Fantasy (je ne connaissais pas le terme « Dark Fantasy » à l’époque) qui était aussi torturé et révolté que je pouvais l’être. C’était la première fois que ce genre littéraire me faisait vibrer par ses personnages et non par ses péripéties. Elric a marqué mon adolescence au fer rouge, et il a grandement influencé ma manière d’envisager l’écriture de manière générale. Peu importe la complexité de l’univers ou l’intelligence de ton concept, au final, seuls comptent tes personnages.

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Tristelune d’Elwher est-il un personnage plus accessible qu’Elric ?

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Valentin Sécher : Tristelune est un contrepoint essentiel à Elric. Il est à Elric se qu’est Jean-Luc à Julien. Il fait un bien fou à l’histoire de part sa légèreté qui contraste avec la gravité permanente d’Elric.

Julien Blondel : (Rires) C’est vrai qu’il apporte quelque chose de terrien, de plus léger, de plus « humain » qu’Elric peut l’être, mais c’est un personnage tout aussi dramatique. Il incarne tout ce dont Elric manque, et sans doute une partie de ce qu’il cherche. Ce côté débonnaire, hédoniste, faussement naïf, cette façon d’accepter son passé et de marcher vers son destin qui manque cruellement à Elric, dont il est certainement le seul véritable ami. C’est un mélange du Candide de Voltaire et de ce que Watson peut être à Sherlock Holmes.

Jean-Luc Cano : Pour ma part, et malgré ce qu’il raconte, c’est bel et bien Valentin qui est l’inspiration première de Tristelune. Un personnage enjoué et positif, un bon camarade toujours prêt à défendre ses amis… quand il n’est pas occupé à vider des chopes de vin d’épices ou à cajoler des courtisanes (rires).

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Julien, vous écrivez les adaptations d’Elric depuis le tome 1. Y’a-t-il une volonté de faire évoluer le personnage ou finalement les albums sont relativement indépendants les uns des autres ?

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Julien Blondel : Si tu poses la question, c’est qu’on n’a pas bien fait notre travail. Ça fait clairement partie des envies qu’on avait dès le tome 1 avec Didier Poli, et aussi des raisons pour lesquelles je pense qu’on s’est attachés à ce personnage d’anti-héros. Elric, ce n’est pas une succession d’aventures : c’est une saga, l’histoire d’un personnage qu’on suit depuis le début, et qu’on a envie de suivre jusqu’à la fin. On ne crée pas une série : on raconte une histoire. On ne voulait pas faire une série à la Thorgal par exemple, avec des aventures qui sortent l’une après l’autre. Il y avait dès le début cette envie de structurer l’adaptation BD en saisons, comme une série TV, avec des thématiques et des arcs narratifs forts à chaque cycle. On avait prévu de faire trois cycles de quatre tomes au début, mais au final, je trouve que c’est encore plus dense et plus logique en deux – l’histoire d’amour tragique d’Elric et Cymoril sur fond de chute de l’empire dans le premier, et la relation toxique entre Elric et Stormbringer dans le second, sur fond de quête de Tanelorn et de rédemption d’Elric.
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Jean-Luc, vous réalisez également des films. Lorsqu’on écrit des adaptations d’Elric, y’a-t-il un aspect très cinématographique dans le découpage et l’introduction des personnages ?

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Jean-Luc Cano : Effectivement, le cinéma au sens large – son langage visuel, sa narration – est une de nos inspirations pour cette adaptation. Nous sommes tous les trois de grands amateurs de films et de séries. Aussi, pour Elric, lorsque nous parlons des scènes, c’est avec énormément de références à tous ce que nous aimons et partageons. Cela permet de tout de suite avoir des références communes et mieux cerner ce que nous avons en tête.

De plus, cet aspect cinématographique dans les personnages ou les scènes permet de moderniser la série et de l’ancrer dans notre époque.
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Valentin- c’est votre premier album d’Elric. Qu’avez-vous voulu apporter graphiquement au cycle ?

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Valentin Sécher : Je ne réfléchis pas tellement à ce que je peux apporter, j’essaie juste de faire de mon mieux page après page. En prenant un peu de recul, je pense cependant que mon style s’oriente de plus en plus vers un traitement radical du Noir et Blanc. L’histoire d’Elric est une tragédie, et je pense que cette radicalité colle avec l’évolution de notre héros.

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« Elric le nécromancien » a déjà été adapté en bande dessinée notamment en 1971 par Philippe Druillet. Avez-vous voulu vous détacher de cette version si unique ?
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Jean-Luc Cano : Le Elric de Druillet est un ouvrage fantastique et graphiquement très puissant. Néanmoins, il n’a jamais été pour nous une source d’inspiration car nous avons toujours essayé de nous détacher – tant visuellement que narrativement – des adaptations précédentes afin de trouver notre propre ton. Chaque adaptation d’Elric est unique et ne ressemble à aucune autre ; nous faisons tout pour qu’il en aille de même pour la nôtre.
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Quelle est la place des femmes dans « Le Nécromancien » ?

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Julien Blondel : Nous sommes en 2024, c’est impensable d’écrire de la fiction aujourd’hui sans se questionner sur le rôle ou sur l’image des personnages féminins. Ça fait partie des grands changements qu’on a tout de suite eu envie d’apporter sur la série, le fait de moderniser et de rendre toute leur dimension à des figures féminines trop souvent cantonnées à des enjeux romantiques, alors qu’elles ont un rôle essentiel dans l’histoire. Cymoril, Stormbringer, Yishana, Shaarilla, Myshella, Zarozinia… Dès le premier tome, le personnage de Cymoril par exemple prend une toute autre ampleur, et je pense que ce qu’on a fait de Stormbringer rend vraiment honneur à ce qu’elle est réellement pour Elric. J’ai une tendresse particulière pour le personnage d’Yishana dans Le Nécromancien, elle a cette liberté, cette fierté, cette noblesse qui auraient pu faire d’elle la compagne évidente pour Elric à ce moment de son histoire, et la scène de leurs adieux sur le balcon a quelque chose de beau et de très moderne.
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La scène de la tour où les personnages sont, par illusion, placés à l’envers a-t-elle été un grand sujet de débat entre vous ?
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Valentin Sécher : Pas de débat mais beaucoup de discussions avant de commencer la page. Ces scènes là ne sont pas forcément les plus difficiles à faire, parfois un simple dialogue dans une pièce est plus difficile à mettre en scène qu’une scène épique.

Julien Blondel : Cela fait partie des scènes qui représentent vraiment notre façon de travailler sur Elric. On part d’une intention avec des partis-pris qui font sens pour l’histoire, et on cherche une façon de la retranscrire par le découpage, par le dessin, et jusque dans le lettrage. Le storyboard, c’est le cœur de la bande dessinée. Quand tes personnages changent de dimension et se retrouvent dans un monde dirigé par le Chaos, il faut se permettre de jouer avec les codes graphiques pour que les lecteurs ressentent ce que vivent les personnages. Les mettre la tête en bas et inverser les textes dans les bulles, c’était une évidence, et c’était fun à faire.

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Julien et Valentin – vous avez également réalisé un album de Conan le Cimmérien « L’Heure du Dragon ». Elric est-il pour vous un anti-Conan ou trouvez-vous des similitudes entre ces deux protagonistes ?
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Valentin Sécher : Ils sont très similaires, au sens où les événements décident pour eux. Ils subissent plus qu’ils ne prennent de réelles décisions. Cependant, Elric fait le chemin inverse de Conan, qui part de rien pour devenir roi. 

Julien Blondel : Elric EST un anti-Conan. Il a été pensé et construit dès le début par Michael comme l’antithèse de tout ce que Conan représente, que ce soit dans le personnage lui-même ou dans la forme de la saga. C’est donc assez logique qu’ils se ressemblent et que leurs histoires se répondent. Le personnage de Conan ne m’a jamais touché, là où celui d’Elric a tout de suite été une évidence. C’était un vrai challenge de travailler en même temps sur les deux, mais il y a du Elric dans le Conan de L’Heure du Dragon : un roi qui doute, qui refuse d’accepter sa destinée et qui part au bout du monde en quête de sens, c’est beaucoup plus proche de la trajectoire d’Elric que de la mécanique classique du Conan conquérant qui tue des serpents géants pour sauver des princesses….
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Reviendrez-vous auprès d’Elric ?

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Valentin Sécher : Je ne pense pas pour ma part, car le tome 8 viendra clôturer l’histoire. Et pour moi, c’est un gage de qualité !

Jean-Luc Cano : Il ne faut jamais dire “jamais”, mais c’est vrai qu’une fois le cycle principal terminé, l’histoire d’Elric sera dite. Mais qui sait, peut-être reste-t-il quelques passages de la vie du Loup Blanc à raconter… ?

Julien Blondel : On y est toujours ! Il nous reste le tome 6 à finir et deux albums ensuite pour terminer la série, ça nous laisse encore de belles années à parcourir les Jeunes Royaumes. Mais oui, on a volontairement laissé de côté quelques aventures d’Elric, comme La Forteresse de la Perle, Le Navigateur ou La Revanche de la Rose pour se concentrer sur la saga principale, et ce sont autant d’histoires qui mériteraient d’être racontées sous forme d’anthologies ou de one-shots en bande dessinée…
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