Avec son trait fin et son regard précis, Luca Frasca est un dessinateur qui mérite toute attention. Amoureux de la nature, observateur de l’Asie et passionné de science-fiction, l’artiste italien est un explorateur de nos mondes. Dans un noir & blanc impeccable voire saisissant, les couleurs s’intègrent totalement dans l’image.

Entretien avec Luca Frasca, dessinateur de nos temps.

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Le dessin a-t-il toujours fait partie de votre vie ?

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J’ai dessiné tous les jours de ma vie. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu des crayons dans les mains. Tous les enfants dessinent : certains s’arrêtent à un certain moment, d’autres continuent. Je fais partie de ceux qui ont continué. J’étais très timide et dessiner était ma façon de communiquer avec le monde.

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Votre style a-t-il une nationalité ou au moins un esprit ou finalement vous vous inspirez de beaucoup de genres ?

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Mon style est consciemment et involontairement influencé par tous les artistes et illustrateurs qui ont nourri ma curiosité et ma voracité pour les images. J’ai grandi avec les comics Marvel, en adorant en particulier John Buscema et, compte tenu de ma grande passion pour la science-fiction, Flash Gordon d’Alex Raymond; Il existe une forte filiation artistique entre les deux, comme Buscema l’a répété à plusieurs reprises. Vers l’âge de 20 ans, je découvre la bande dessinée française, Les Humanoïdes Associés, Schuiten, Paul Gillon, puis je tourne mon regard vers mon propre pays, l’Italie, avec des auteurs comme Battaglia, Toppi, Crepax, Micheluzzi, Pratt.

Mais j’ai également une passion pour l’Art Nouveau et le graphisme publicitaire italien (Cappiello, Metlicovitz, Dudovich, Seneca). Il y a tellement de dettes qu’il est impossible de toutes les honorer.

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L’Italie donne-t-elle de l’attention au monde de l’illustration selon vous ?

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Je ne veux pas lancer de polémique, mais je crois que l’Italie est tellement habituée à l’art et aux belles images qu’elle est presque incapable d’en reconnaître la vraie valeur. Je parle évidemment d’abstractions et de généralisations, mais le métier d’illustrateur ne jouit pas d’une dignité suffisante en Italie, comme à l’étranger, par exemple en France. Je crois qu’entre autres choses, à partir des années 80, il y a eu une sorte d’appauvrissement culturel, un nivellement par le bas, une mauvaise éducation de la culture figurative. Les magazines de bandes dessinées, merveilleuse source d’expérimentation et de diffusion d’une certaine culture figurative dans les années 70, ont disparu des kiosques à journaux et des librairies, sauf de rares exceptions comme Linus. Les éditeurs prestigieux qui ont confié les couvertures de leurs séries à des géants du pinceau (pensez à Ferec Pinter ou Karel Thole) n’hésitent pas aujourd’hui à utiliser des images bâclées, générées grâce à l’intelligence artificielle.

Vous comprenez donc que la figure de l’illustrateur est très dégradée chez nous, sauf de très rares exceptions empruntées pour la plupart aux succès remportés à l’étranger par nos artistes.

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Quelle est la place des femmes dans votre art ?

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J’adore dessiner la femme qui, de mon point de vue masculin, représente une source inépuisable de mystère et d’émerveillement. L’hypostase de la force combinée à la grâce. Je crois qu’aujourd’hui, face aux résurgences de la culture patriarcale, à l’immaturité et à la stupidité d’une certaine partie de l’humanité à reconnaître le sens de l’égalité humaine, au-delà du genre, les femmes ont vraiment besoin de beaucoup de force… et finalement les hommes aussi.

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Dessinez-vous le désir ? l’élégance?

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J’aime penser que je dessine la grâce et l’harmonie. Pour moi, la beauté est une sorte de fusion entre l’image interne, quelque chose d’insaisissable, d’indéfini et en constante évolution, et la figure externe. C’est certainement un défi gigantesque que de pouvoir capter dans une image statique cette sorte d’équilibre qui est donnée, en grande partie, par le mouvement. Mais, dans la vie, il vaut mieux se fixer des objectifs ambitieux.

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Avez-vous un goût plus important pour le noir & blanc?

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Je pense que je suis fondamentalement un dessinateur. J’utilise la couleur par nécessité mais je cherche toujours la ligne. Je suis fasciné par l’art japonais qui parvient à élever la synthèse des formes, l’essentialité de la ligne, à des niveaux expressifs très élevés.

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Le fantastique est-il une passion que vous souhaiteriez explorer davantage ?

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Le fantastique, au sens le plus large possible, est un lieu idéal d’expérimentation, non seulement au sens graphique mais surtout au sens narratif. En recourant au fantastique, l’homme peut faire face aux plus grands défis que la vie peut lui offrir, en tant qu’être humain. Dans tout cela, je m’intéresse à l’aspect émotionnel, c’est-à-dire quelle réaction l’homme aura-t-il face à l’inconnu : sera-t-il submergé par ses insécurités et ses peurs ou sa curiosité et son imagination prévaudront-elles ?

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Quels sont vos projets ?

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Actuellement j’essaie de travailler à la fois pour moi et sur moi. J’ai décidé de ne pas accepter de commandes ou de travaux, afin d’explorer de nouvelles voies et d’autres possibilités d’expression. Je suis complètement autodidacte et l’envie d’apprendre ne m’abandonne jamais.

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