Personnage incontournable du monde de la bande dessinée depuis 1938, Spirou est cette fois-ci de retour dans les années 60 en pleine guerre froide. « La Baie des cochons » (éditions Dupuis) est un album à part qui revient au style précoce de Franquin. Imaginée par Michaël Baril, Clément Lemoine et Elric, cette aventure cubaine marque aussi le retour du célèbre Marsupilami. « La Baie des cochons » est un exploit BD qui prend des risques en intégrant des personnages ayant réellement existé tel que Fidel Castro, John Fitzgerald Kennedy ou encore Kennedy.
Dessinateur des nouvelles mésaventures d’Iznogoud, Elric apporte dans cet épisode de Spirou et Fantasio un style graphique entre hommage à Franquin et nouvelle approche du célèbre groom.
Entretien avec Elric.
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Intrigue qui se déroule dans les années 60, Spirou en uniforme de groom, retour du marsupilami, style proche du dessin de Franquin,… « La Baie des cochons » devait-il être dès le début du projet un retour aux sources ?
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Oui. J’étais au restaurant avec mes amis Clément Lemoine et Michaël Baril. Nous nous sommes amusés à imaginer des situations que pourraient vivre des personnages classiques dans la bande dessinée franco-belge. Le moment de Spirou est arrivé et j’ai alors proposé une situation équivalente au livre d’Yves Chaland « Vacances à Budapest » (1988), c’est à dire exploiter un sujet historique qui n’avait pas été traité à l’époque dans la BD franco-belge. Michaël nous a parlé de Cuba, des attentats sur Castro et Clément a enchaîné sur la Baie des Cochons (le débarquement américain d’avril 1961.) Dès que nous avions l’occasion de se voir, on prenait des notes. Le confinement de 2020 est arrivé et nous avons mis en forme un dossier pour le présenter aux éditions Dupuis.
Stéphane Beaujean, à qui les éditions IMAV avait confié la mission de trouver un dessinateur pour la série Iznogoud, m’a contacté alors que je savais qu’il allait bientôt prendre le poste de directeur éditorial des éditions Dupuis. J’ai sauté sur l’occasion pour lui proposer ce projet de Spirou. Stéphane a aimé notre scénario mais m’a demandé d’être patient, puis au bout d’un an il nous a autorisés à vraiment lancer le projet.
Comme l’intrigue se déroulait en 1961, nous nous sommes adaptés au style graphique de l’époque. J’ai par conséquent repris le style plutôt ligne claire de Franquin à cette période. Cela me convenait parfaitement.
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Spirou à Cuba était-ce également un souhait de proposer une version du projet avorté de Tome & Janry ?
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Non car le projet de Tome & Janry devait se dérouler à l’époque contemporaine. Zorglub devait également apparaître. J’ai pu en discuter avec Janry au Festival de Valenciennes il y a deux ans. Je ne voulais pas qu’il y ait de malentendus sur nos intentions. Je lui ai montré 5 pages et raconté l’histoire. Il a vu que c’était complètement différent de ce qu’ils avaient commencé à faire. Il était plutôt encourageant.
Un peu avant, nous avions eu écho que Fabrice Tarrin et Fred Neidhardt préparaient un album, « Spirou chez les Soviets » qui semblait reprendre une trame autour du communisme, comme nous. J’ai croisé Fred et plus tard Fabrice pour finalement nous apercevoir que nos projets ne parlaient pas du tout de la même chose. « La Baie des cochons » pouvait continuer à être développé.
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Avec la disparition de Spirou pendant l’intrigue. Etait-ce un album avec un certain culot ?
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Tout est venu naturellement. Il était logique que Spirou et Fantasio logent dans un hôtel à leur arrivée à New-York. Le premier est alors pris pour un vrai groom. Un attentat est commis. Spirou est alors perçu comme un espion – il est ensuite kidnappé. Sa disparition a tout de même été un tantinet frustrant puisque je l’ai dessiné assez peu, mais comme c’était la solution la plus logique dans cette histoire je l’ai acceptée facilement.
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Entre les Américains et les Cubains, Spirou c’est la troisième voie ?
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Spirou est un personnage qui navigue dans des contextes qui le dépassent. Son seul but est de protéger les plus faibles et ses proches. Pour nous il n’était jamais question de prendre parti dans ce contexte politique. En fouillant un peu, il suffit de prendre la réalité historique et forcer un peu le trait pour que l’un ou l’autre paraisse ridicule. Parfois ce n’était même pas la peine d’ailleurs. Les tentatives d’attentat du cigare, de la bombe à LSD ou du cirage qui fait tomber la barbe sont de vraies tentatives de la CIA.
Pour les antagonistes il a juste fallu les présenter sous un jour un peu caricatural, tel qu’on les a dans l’imaginaire collectif. Ensuite on leur donne des objectifs précis en soulignant leurs défauts. C’est une technique assez proche de Goscinny quand il a repris des personnages comme Billy the Kid, Jesse James ou Calamity Jane.
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« La Baie des cochons » c’est la revanche de Seccotine ?
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C’est effectivement un personnage qui navigue dans un univers très patriarcal. Elle s’en sort un peu mieux que certains autres personnages de la BD franco-belge grâce à son caractère provocateur, son air narquois, ses réflexions et sa détermination. Mais contrairement à ses précédentes apparitions nous lui avons donné un rôle central. Notre chance c’est que Franquin et la plupart des auteurs n’ont pas beaucoup utilisé Seccotine dans leurs histoires. Elle est donc facile a mettre en scène et le public à une véritable attente envers elle.
Dans « La Mort de Spirou » (2022, dessin d’Olivier Schwartz) Sophie Guerrive et Benjamin Abbitan lui donnent aussi une part importante.
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Ce fut une joie de dessiner le marsupilami ?
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Oui ! Je crois que c’est encore plus un rêve de gosse, parce que reprendre Spirou avec tous les one-shots, devenait quelque chose d’envisageable pour un peu tous les auteurs qui avaient un projet cohérent avec l’univers. En revanche, y intégrer le Marsupilami était quelque chose d’impossible il y a peu. Ce qui était frustrant pour beaucoup de monde (autant les auteurs que les lecteurs•rices) Lorsque j’ai compris que le marsupilami pouvait être utilisé, j’ai proposé à Clément et Michaël de l’intégrer dans l’histoire de « La Baie des cochons ». Cela nous a pris un mois pour réécrire le scénario. « La Baie des cochons » se passe dans les années 60. Il était par conséquent logique que le Marsupilami accompagne Spirou. On avait déjà pu lire il n’y a pas si longtemps une histoire de Spirou par Yoann et Vehlmann avec le Marsupilami qui explique de manière très maline comment il a disparu des aventures. Mais c’est la première fois qu’on le retrouve dans l’univers de la série sans qu’il y ait une justification. Il est là comme s’il n’était jamais parti.
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Participation pour l’ancrage et les couleurs de Serge Clerc et Lucie Durandelle ; conseils de Fabrice Tarrin. Deux scénaristes (Clément Lemoine et Michaël Baril) – « La Baie des Cochons » est-il un livre de copains ou au contraire un album qui a connu une pression trop forte pour être réalisé seul ?
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Tout s’est fait naturellement. J’avais donné un coup de main à Serge pour l’utilisation de Photoshop dans son atelier. J’en ai profité pour lui demander des conseils d’encrage au pinceau. A titre d’exemple, il a utilisé directement ma planche. Il a donc encré certaines cases où apparaissent Seccotine, le Che et Fantasio.
Lucie est une amie qui habite à côté de chez moi. On prend très souvent des cafés ensemble donc elle suit l’avancée de mes projets quasi quotidiennement. Elle est graphiste maquettiste chez Delcourt et elle utilise parfaitement Photoshop. Quand j’étais un peu en rush sur la fin du dessin elle m’a permis de gagner du temps sur 3 pages en couleur.
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Comment est née l’idée de la couverture ?
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Je me suis directement inspiré des couvertures du « Gorille a bonne mine » (1956) et « Z comme Zorglub » (1961). Sur cette dernière, L’antagoniste est en arrière-plan tel une menace et les personnages principaux sont tout devant. Le rouge fait référence au communisme et la figure du Che est emblématique de la révolution cubaine.
On m’a déjà régulièrement fait la réflexion que le côté réaliste tranche avec les personnages caricaturaux de Spirou. Mais cet effet est aussi l’objet d’une blague dans le livre, donc au final, même si ça surprend c’est assez cohérent.
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Comment avez-vous retranscrit le Cuba des années 60 ?
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Cuba n’a pas beaucoup changé, mais là-bas, Google street view est interdit. Je suis donc allé sur You Tube, on y trouve des vidéos par des gens qui filment leur déambulation en voiture dans La Havane. Notre histoire se passe aussi beaucoup dans la forêt. Là j’ai regardé des documentaires et j’ai fait pas mal de captures d’images.
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Qui est le Che Guevara de « La Baie des cochons » ?
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Graphiquement j’étais un peu bloqué. Je trouvais son visage très équilibré et peu propice à la caricature (qui de base n’est pas mon fort.) Michaël Baril est très bon dans ce domaine. Il m’a conseillé de m’inspirer de Zantafio. On a fait différents croquis chacun notre tour pour en arriver à cette version. Fidel Castro, avec son visage allongé et son long nez, ne fut pas difficile à dessiner. Pour John Fitzgerald Kennedy, j’ai repris une caricature faite par Michaël il y a 15 ans environ, pour la couverture du collectif d’Onapratut « Qui veut tuer le Président ? »
Pour son caractère, comme je disais avant, nous avons pris le cliché de l’image qu’il renvoie dans l’imaginaire collectif. Révolutionnaire progressiste contre le grand capital et proche du peuple, révolutionnaire sanguinaire (et sanguin) et beau gosse séducteur.
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Y’a-t-il du Lucky Luke chez les cowboys anti-castristes ?
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En regardant la documentation je trouvais un peu confus que les castristes et les anti-castristes soient habillés pareils et que la seule différence se fasse entre des barbus et des gens rasés de près… Donc je me suis dit que les pro-américains allaient agir comme des fans des USA en se déguisant en cowboys. Ce qui nous ramène à un hommage à Lucky Luke (qu’on adore aussi.)
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Avec le prochain album « Zorgrad », il semble que Spirou n’en a pas fini avec les communistes. Où voulez-vous l’emmener à présent ?
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L’intrigue se passe en Tchécoslovaquie avant le Printemps de Prague en 1968. Nous travaillons activement sur le projet.
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