« La cuisine est l’art de transformer instantanément en joie des produits chargés d’histoire » telle est la devise de Guy Savoy. C’est dès l’enfance, auprès de sa mère, que le grand chef français apprend les rudiments de la cuisine. Le parcours de Guy Savoy ne va faire que s’enrichir au fil des ans.
Il faut observer sa manière de raconter sa vie, sa relation avec les produits : Les mains du chef aux trois étoiles du guide Michelin, en s’agitant avec passion, participent à la conversation.
Son restaurant installé à la Monnaie de Paris, Quai de Conti, conserve en 2024 son rang de Meilleur Restaurant du monde pour la septième année consécutive. Le poulet de Bresse, la brioche, le homard « cruit » sur le corail, la truffe d’été,… tout se suit dans une harmonie singulière. La gastronomie est Française et réside toujours le long de la Seine.
Entretien avec Guy Savoy.
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Vous travaillez depuis plus de 50 ans dans le monde de la gastronomie. Comme vous faites deux journées en une cela fait plus de 100 ans. C’est incontestablement un centenaire de passion mais est-ce aussi 100 ans de solitude ?
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Près de 55 ans de manière professionnelle. Je ne compte pas les années auprès de ma mère où j’ai fait des milliers d’omelettes. J’ai eu la chance d’être éveillé à la gourmandise grâce à elle. Ma mère était une très grande cuisinière. Dès mon entrée dans le monde professionnel, j’ai pu travailler avec les meilleurs. Quand j’ai voulu voler de mes propres ailes, la passion s’est amplifiée. Entre les 19 m² de la rue Duret à Paris de mon premier restaurant en 1980 en passant par la rue Troyon et aujourd’hui à la Monnaie de Paris, j’ai toujours appris. Ma passion s’associe à la conscience de faire le métier de cuisinier dans des conditions exceptionnelles. Je suis convaincu qu’il n’y a pas un autre restaurant dans le monde où dans les cuisines il y a des fenêtres de chaque côté avec des vues splendides. Mon restaurant est entouré par le Louvre et le Pont des Arts. Le lieu même de la Monnaie de Paris a été construit à la fin du XVIIIème siècle. Un tel environnement accompagne votre passion.
Mes convives me posent souvent la question si je suis passionné par la cuisine. Je réponds que s’ils ne l’ont pas senti dans leur assiette, je dois m’interroger.
Si j’étais resté dans le même lieu, rue Duret ou rue Troyon, il y aurait peut-être eu de la lassitude. J’ai toujours décidé de faire un pas en avant. Je suis à la Monnaie de Paris depuis 9 ans. Il n’y a aucune solitude.
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Vous avez passé votre enfance dans la région de Lyon, vous avez notamment fait votre apprentissage chez le chocolatier Louis Marchand à Bourgoin-Jallieu, puis chez les frères Troisgros à Roanne. Le poulet de Bresse est dans votre menu. Fait-il aussi partie de votre identité ?
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Je pourrais manger chaque jour de la volaille. Aussi bien la pintade, la poularde, la poule, l’oie ou encore le canard. Pour moi, la volaille de Bresse reste la meilleure. Je suis finalement attaché aux bons produits !
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Chaque plat est un acte de magie. Est-ce que c’est celui qui cuisine, « celui qui fait le geste », qui fait des merveilles ?
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Il y a deux mots qui résument bien notre métier : Concret et instantané. Les produits arrivent le matin. Le toucher est la première chose que je fais. J’imagine le homard se débattre au fond de la mer, je perçois le poulet de Bresse dans sa basse-cour. C’est un voyage magique car tous ces produits ont une histoire. Une carotte a pu échapper à un orage de grêle ou à un lapin de garenne. Nous vivons dans un environnement exceptionnel puisque nous avons accès à de tels mets. Tout pousse, tout s’élève, tout se pêche. Cette diversité française s’est faite au fil des siècles grâce à l’ingéniosité des hommes et des femmes. Le savoir-faire des boulangers, des charcutiers, des vignerons ou des poissonniers est multiple et ancien. En France, pour un seul produit, vous pouvez relever plus de 1 000 recettes différentes.
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La truffe ou le caviar restent des mets d’exception. Est-ce que ce sont des produits qui nécessitent une adaptation ?
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Ces produits ne sont en effet pas à la portée de tous les budgets. Cependant, je considère qu’il y a plus de noblesse dans un chou fraîchement cueilli que dans un homard surgelé.
Le rôle du cuisinier est d’apporter une valeur ajoutée. Les produits doivent être magnifiés. Je parle de magie de la transformation. Dans une carte, il faut des propositions uniques.
L’idée de déguster un ris de veau peut rebuter certains convives car ils ont de mauvais souvenirs ou des préjugés. Je tente sans cesse de convaincre. Ma passion s’est enrichie par un apprentissage, un style et une sensibilité. Ma quête étant de défendre la gourmandise. Je le fais 2 fois par jour – à chaque table et pour chaque convive.
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2 fois par jour c’est un véritable défi.
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Je dirais même que c’est un match. Nous connaissons les règles mais nous ne savons jamais comment cela va se passer.
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Vous dites que tous les pays ont une cuisine mais la France est la seule à avoir une gastronomie. Les cultures étrangères ne peuvent donc rivaliser ?
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Je fais bien le discernement entre cuisine et gastronomie. Un grand nombre de pays réveille leur cuisine depuis plusieurs années. Beaucoup de cuisiniers étrangers sont venus en France afin de se perfectionner. Fort de cette expertise et de cet éclairage, ils ont compris qu’ils pouvaient changer leur propre cuisine. Les pays scandinaves connaissent de nos jours une véritable révolutionnaire révolution culinaire. Le Japon, le Pérou ou encore les Etats-Unis ont été touchés par l’influence française. Les étrangers ont appris auprès de nous mais nous aussi nous changeons.
A l’instar des pays anglo-saxons qui ont fait appel à des designers afin de transformer le décor des restaurants. Tout cela se ressent à présent ailleurs. Le restaurant doit être un lieu artistique d’exception. L’architecte Jean-Michel Wilmotte a lui-même recrée le décor de mon restaurant. La singularité passe par tous ces ingrédients.
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Vous avez un autre restaurant au Caesars Palace de Las Vegas. Avez-vous dû vous adapter ?
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Pas du tout. Il n’y a pas de différence. Par conséquent, le restaurant de Las Vegas est identique à celui de Paris. Nous avons tous les mêmes centres d’intérêt. Même à Las Vegas, les convives veulent retrouver le même esprit. Jean-Michel Wilmotte a conçu le restaurant de la même façon qu’à la Monnaie de Paris. Je ne pouvais imaginer travailler dans une ambiance différente. Ce restaurant existe depuis 18 ans au Caesars Palace. Il est une ambassade d’art de vivre à la France. C’était le souhait des propriétaires du Caesars Palace. Les vins sont à 95% français et les équipes d’encadrement, en salle et en cuisine, le sont également.
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Vous vous êtes lancé dans une série de livres sur la cuisine des écrivains selon les siècles. Être cuisinier c’est aussi être archéologue ? Comprendre le passé par le goût.
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Il faut surtout être curieux de tout. La collection « Guy Savoy Cuisine Les écrivains » (Editions Herscher) est venu d’un regret et d’un souhait. J’aurais aimé à l’école apprendre davantage par la cuisine. Grâce à la co-autrice Anne Martinetti, j’ai pu découvrir que les grands écrivains français participaient à de grands dîners ou cultivaient leurs potagers. Cette série de livres prouve qu’il y a une passerelle entre littérature et cuisine.
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La Monnaie de Paris est selon vous un véritable théâtre. Est-ce toujours pour vous un vrai lieu d’émotions ?
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C’est un lieu de sensations. J’aime me promener dans la montagne. Mon compagnon de route est un peu plus âgé que moi. A part pour quelques compétitions de ski, il s’agit d’un grand sportif, il n’a jamais vraiment quitté sa montagne. Mon ami voit le même environnement tous les jours. Malgré cela, il a toujours le même émerveillement. Chaque matin, au moment où je passe la porte de mon restaurant, j’ai moi aussi une grande émotion. J’aime m’installer devant ma fenêtre préférée – elle donne sur l’Institut de France. Quand le beau a une âme cela devient de l’art.
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Quel est le plat que vous découvrez actuellement ?
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Je suis allé récemment au restaurant Yoom Rive Gauche rue Grégoire de Tours à Paris. Lors de la Journée du Collège Culinaire de France, j’avais eu l’occasion de goûter quelques plats du cuisinier. La finesse de la pâte des yum sums était incroyable. On dirait de la porcelaine. Le restaurant Yoom est épatant car il y a une noblesse dans la préparation. De tels moments de dégustation sont inspirants.
Chaque matin, je suis les recommandations d’un médecin chinois que j’ai rencontré il y a plusieurs années. Je bois du jus de concombre avec du gingembre frais. De temps en temps, je prends du fromage frais de brebis, des amandes et une confiture de myrtilles que je prépare moi-même. Il y a ici des consistances différentes qui me rendent bien heureux.
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Pour réserver une table : Restaurant Guy Savoy – Monnaie de Paris – Restaurant Guy Savoy
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Photo de couverture : © Restaurant Guy Savoy