Trait affuté, personnages acerbes et couleurs vives – c’est le monde graphique de Stéphane Oiry. Illustrateur dans la presse mais également auteur de bandes dessinées, l’artiste a également l’envie de rassembler. Oiry a en effet fondé des mensuels tels que Capsule mensuel et fait partie de l’atelier les Pasteurisés.
Dessinateur du surprenant biopic « Lino Ventura et l’œil de verre » (Editions Glénat – 2019), il se lance à présent dans un nouveau portrait d’artiste – cette fois-ci déchu.
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Entretien avec Stéphane Oiry.
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Votre formation d’architecte vous a-t-il permis d’avoir un dessin plus technique ?
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Probablement. J’ai fait le choix de ces études car j’avais déjà le goût pour le dessin. J’aimais tout particulièrement les ambiances urbaines. Un lieu précis est bien souvent le moteur des récits que j’imagine.
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Depuis le début de votre carrière, vous travaillez pour la presse. Comment arrive-t-on à coller à l’actualité tout en gardant un style propre ?
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C’est venu par hasard. Ce fut une opportunité qui est venue à moi au fil des rencontres. Je travaillais pour « Sciences & Vie Découvertes ». Au moment de son départ du magazine, Sarah Deux, la directrice a poursuivi sa carrière dans des journaux comme Libération. Elle m’a alors proposé de la suivre. Je me suis mis à illustrer quelques articles. Au fil du temps, j’ai poursuivi de façon plus fréquente. De nos jours, j’ai des commandes chaque semaine.
C’est un exercice agréable car je travaille essentiellement sur des enquêtes. Il n’y a jamais d’urgence. Mon dessin pour la presse est plus élaboré que celui en bande dessinée. J’ai aussi un goût pour les illustrations des années 50-60. Il y avait beaucoup d’audace à cette époque.
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Avec « Pauline et les loups garous », vous dessinez une ambiance sombre. L’héroïne conserve tout de même de la couleur avec ses cheveux et son écharpe. Souhaitez-vous mêler votre dessin à un certain optimisme ?
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Selon moi, la couleur n’a pas de connotation particulière. « Pauline et les loups garous » fait écho au Petit chaperon rouge. Les couleurs que vous mentionnez avaient ce rôle… J’ai toujours aimé trouver des signaux percutants.
La noirceur est présente dans mes livres. Cependant, je ne suis pas particulièrement quelqu’un de pessimiste.
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Avec l’Atelier du coin, le mensuel Capsule cosmique et à présent l’atelier Les Pasteurisés, qu’avez-vous souhaité réaliser en rassemblant les jeunes talents de l’époque ?
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Certains dessinateurs ont besoin de contact. J’ai toujours aimé interagir afin d’évacuer un certain stress et l’anxiété liée à notre métier. Les ateliers ont toujours été salutaires pour moi.
J’enseigne également depuis plusieurs années à l’Ecole de Condé. Je voulais là aussi me confronter à l’humain. Transmettre est un véritable plaisir.
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Vous avez repris les aventures des Pieds nickelés en 2009. Avez-vous intégré une part de votre personnalité chez ces fameux anars ?
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Incontestablement. Comme les Freak Brothers de Gilbert Shelton, les Pieds nickelés sont des icônes de la contestation douce. Je trouvais dommage que les Pieds nickelés soient tombés en désuétude. Ils ont pourtant toujours quelque chose à dire sur notre société.
Comme beaucoup de ma génération, j’ai également toujours aimé les artistes franco-belges classiques tels que Franquin, Peyo ou Hergé. Pellos est souvent oublié. Il a pourtant réussi à développer une écriture qui emprunte beaucoup au dessin de presse. Pellos proposait un style très moderne. Enfant, j’avais l’impression que les Pieds nickelés étaient comme une forme de lecture interdite. Je voulais ressusciter cette saveur quasi punk.
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De par ses personnages et son ambiance, « Une vie sans Barjot » a-t-il été une réflexion avec l’auteur Appollo sur vous-même ?
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Il s’agit d’un livre d’auto-fiction que nous avions en commun. Appollo et moi avons vécu plus ou moins la même adolescence. Moi à Nantes et lui à La Réunion. Malgré les différences géographiques, nous avons connu les mêmes influences musicales et cinématographiques. « Une vie sans Barjot » est une synthèse. Appollo raconte son enfance réunionnaise – elle est juste transposée à Nantes.
Notre adolescence a été un tournant. Nous avons choisi l’aventure de la bande dessinée.
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La trilogie de Maggy Garrisson a été réalisée avec Lewis Trondheim. Est-ce que ce polar a été un défi ?
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Ce fut une très belle aventure. Le rédacteur en chef de Spirou, Frédéric Niffle souhaitait que je travaille dans le magazine. J’avais des réticences car mon style s’éloignait de la BD jeunesse. Lewis Trondheim était témoin de cette conversation. Il m’a proposé d’écrire un scénario en s’adaptant à mes goûts et envies. J’ai proposé de réaliser un polar. Lewis a alors été réticent. J’ai voulu le convaincre car le polar est un genre très large. La série « Bored to death » m’inspirait. Après le succès d’un premier polar, un écrivain est en mal d’inspiration pour un second ouvrage. Il décide de devenir détective. J’aimais l’idée d’enquêtes du quotidien et cela rejoignait assez l’univers de Lewis. J’ai réussi à le convaincre et nous imaginons ensemble le personnage de Maggy. Ayant vécu deux ans à Londres, je voulais montrer la capitale du Royaume-Uni de façon moderne. Je voulais éviter les clichés. Londres est finalement peu dessiné en bande dessinée. Maggy est alors devenue Anglaise.
Les albums de Maggy Garrisson sont des polars décalés. J’ai toujours aimé raconter l’histoire de gens un peu losers.
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« Lino Ventura et l’œil de verre » devait-il être une biographie proche de la réalité ? Qu’avez-vous ajouté à l’histoire ?
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Au début de ma carrière, mes dessins tendaient vers le réalisme. Les choses ont évolué. Même s’il fallait le reconnaître, dès le début du projet, l’exercice de « Lino Ventura et l’œil de verre » a été justement de transformer le protagoniste en vrai personnage de bande dessinée. Quelle ironie ! Lino Ventura avait déclaré qu’il n’aimait pas la bande dessinée.
J’ai aimé raconter sa jeunesse sous la forme de strip. La BD « Le jeune Albert » d’Yves Chaland m’a beaucoup influencé.
Cet album a été une vraie réflexion sur le minimalisme. Le jeu de Lino Ventura est toujours en réserve. Je dessine rarement les émotions mais me concentre avant tout sur le cadrage, les silhouettes et les paysages. « Lino Ventura et l’œil de verre » est avant tout une fiction.
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Avez-vous su trouver votre place dans la série Donjon ?
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Ce fut un livre difficile à faire. J’ai cru pourtant que l’exercice allait être facile. Rapidement, j’ai compris que je n’étais pas familier de l’univers de Donjon et la mise en scène fut difficile. J’ai mis du temps à réaliser l’album car j’avais des difficultés à saisir les story boards de Joann Sfar (rires). J’ai sûrement été trop sage. Impressionné par l’enjeu, j’ai finalement pris peu de liberté contrairement aux dessinateurs précédents.
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Quels sont vos projets ?
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Je travaille actuellement sur un album qui sortira l’année prochaine chez Dargaud – « Les héros du peuple sont immortels ». Ce sera sur la vie du chanteur de Camera Silens, Gilles Bertin. En parallèle à sa carrière musicale, il commettait des braquages. La situation va empirer en 1988 avec celui de la Brink’s de Toulouse. La bande de Bertin s’apparentait plus aux Pieds nickelés qu’à de vrais bandits. Ils avaient juste de l’audace. Je raconte la cavale de Bertin qui a duré 30 ans. Avec le projet de bande dessinée, j’ai échangé avec lui par mails. J’avais prévu de rencontrer Bertin mais il est tombé dans le coma et est mort en 2019. Les difficultés ont alors commencé. J’aurais voulu plus d’échanges mais finalement j’ai dû me débrouiller pour réaliser « Les héros du peuple sont immortels ». Je craignais l’accueil des anciens compagnons d’armes de Bertin. J’ai même pensé abandonner le projet puis j’ai soumis le scénario à la veuve de Gilles. Son accueil positif m’a donné des forces.
« Les héros du peuple sont immortels » est un récit que j’aime puisqu’il parlera de la musique punk, du roman noir et de la paternité. Des sujets qui sont assez personnels pour moi. J’ai hâte de terminer l’album.
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