Le cinéma de Philippe Muyl nous fait sans conteste aller ailleurs. Dans une cuisine, lieu de la discorde, au sein d’un cirque ambulant ou encore dans les contrées lointaines de la Chine. « Cuisines et Dépendances » (1993), « Magique » (2008), « Le Promeneur de papillons » (2014)… Il y a toujours de l’émotion dans ces films. Réalisateur depuis les années 80, Philippe Muyl est un conteur passionné – sans cesse en projet.

Entretien-portrait.

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Etudiant en arts graphiques, directeur artistique en agence, puis directeur de publicité chez Pilote, rêviez-vous déjà de cinéma ?

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Pas du tout. Je n’étais qu’un simple spectateur de films. J’allais beaucoup au cinéma mais c’était uniquement pour le plaisir.

Exerçant des fonctions dans la publicité, j’ai été amené à faire de l’audiovisuel d’entreprise. Avec l’expérience, j’ai pris peu à peu goût à la caméra.

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« L’Arbre sous la mer » (1985) est votre premier long métrage. Il s’agit d’une adaptation d’un roman grec. Vous avez ainsi appris la direction d’acteurs ?

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J’avais déjà un peu dirigé des acteurs lors de la réalisation de films industriels. On dit que lorsqu’on choisit le bon acteur, une bonne moitié du travail est faite. Pour « L’Arbre sous la mer », je n’avais pas la prétention d’apprendre la comédie à Christophe Malavoy ou Julien Guiomar. Les choses se sont faites naturellement.

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Vous réalisez ensuite l’adaptation cinématographique « Cuisine et dépendances » (1993) – grand succès de théâtre.

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« L’Arbre sous la mer » n’a pas connu le succès attendu. J’ai mis beaucoup de temps à payer mes dettes. J’ai passé des années à proposer des scénarios sans rencontrer de succès. J’ai même pensé à abandonner le cinéma pour fonder une agence d’écriture. Jusqu’au jour où le producteur Alain Poiré m’a proposé de réaliser « Cuisine et dépendances ».

Ce fut une expérience difficile. Les acteurs l’avaient joué au théâtre pendant deux ans, j’avais l’impression d’être la pièce rapportée. Au départ,  Jean-Pierre Bacri et Agnès Jaoui souhaitaient comme réalisateur Cédric Klapish mais il ne pouvait se libérer.

Il nous a fallu s’accorder sur la mise en scène et  sur l’ajout de deux scènes extérieures mais foncièrement, le texte restait le même. J’ai juste demandé aux acteurs de modifier un peu leur jeu car il avait tendance à rester trop porté, trop théâtral.

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En 1997, vous tentez la comédie populaire avec « Tout doit disparaître » avec Didier Bourdon, Yolande Moreau, Elie Semoun et Ophélie Winter. Etait-ce un film trop attendu ?

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Le producteur Christian Fechner m’a proposé de réaliser ce film. J’aurais aimé le faire avec un humour anglais et un casting un peu différent mais Christian Fechner avait une vision précise du film. C’est ainsi qu’Ophélie Winter, très « à la mode » à l’époque, a rejoint le casting.

Le tournage fut parfois compliqué car les acteurs n’étaient pas très disciplinés. Ophélie Winter était sans cesse en retard sur le plateau. Didier Bourdon était toujours celui qui savait. J’ai gardé un bon souvenir de Yolande Moreau qui me rappelle de temps en temps que j’ai été le seul réalisateur à lui avoir proposé un rôle de bourgeoise. 

« Tout doit disparaître » a tout de même fait 1 million d’entrées mais ce ne fut pas assez au goût de Fechner. Je rencontre parfois des personnes qui ont aimé le film.
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Avec « La Vache et le Président » (2000) et « Le Papillon » (2002), la nature est un personnage principal ?
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Je l’aime pour son aspect esthétique. Etant quelqu’un qui vit majoritairement en zone urbaine, je ne me sens pourtant pas cinématographiquement inspiré par la ville. J’apprécie également filmer les animaux.

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Quelle est la place de la musique dans vos films ?

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Elle est centrale. Selon moi, la plupart des réalisateurs d’aujourd’hui négligent la musique. Il n’y a pas de prise de risque. La bande musicale est juste une ambiance.

J’aime la mélodie et la chanson française. Pour « Le Papillon », j’ai même eu l’idée d’écrire et faire chanter Michel Serrault à la fin du film. Dans ses mémoires, Vladimir Cosma dit qu’il a choisi du flamenco pour « Cuisine et dépendances ». C’est en fait moi qui en ai eu l’idée. Je trouvais que cela donne un contrepoint énergique et un peu ironique à la situation de tensions.  Pour « La Vache et le président », j’ai suggéré à Vladimir d’utiliser de l’accordéon. Aspect amusant car jeune, je détestais cet instrument. 

Même si la musique est un univers à part, je rêverai d’écrire davantage de chansons.

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Avez-vous réussi à diriger un acteur aussi difficile que Michel Serrault pour « Le Papillon » ?

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Lorsque vous commencez un film avec lui, vous ne savez jamais dans quelle direction vous allez aller. Michel était un acteur créatif. A chaque prise, il proposait toujours quelque chose de différent  – qu’importe si les raccords du film posaient problème. Par conséquent, c’était en même temps brillant et rageant. Par contre, il était très réceptif aux propositions.

Michel était à la fois drôle, fascinant, insupportable, colérique, de mauvaise foi, génial dans ces propositions. A la fin du tournage du « Papillon », je me suis dit que plus jamais je ne tournerais avec lui. Mais avec le temps, l’envie de retravailler avec lui est revenue. J’ai alors proposé à Michel une histoire d’un clown triste. Le projet ne s’est pas fait car il est mort en 2007. 

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« Magique » (2008) parle-t-il également d’une passion pour le cirque ?

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Le film est né de mon envie de réaliser un film musical.  J’ai échangé sur le sujet avec le chanteur M. Mais faute de temps, il n’a pas pu participer. Je me suis alors orienté vers Cali. Alors qu’il commençait à travailler sur quelques maquettes musicales, je lui ai proposé de jouer le rôle de Baptiste. Cali a accepté de participer totalement à l’aventure.

Le tournage de « Magique » a débuté avec un budget très réduit. Il a fallu donc trouver de nouveaux financements en cours de tournage. Sans succès. Le tournage était en train de mourir lorsqu’un producteur canadien est arrivé. La condition était de tourner « Magique » au Québec, avec des décors très différents de décors français. Toute l’équipe devait être québécoise. Je suis donc parti seul avec Antoine Duléry, Marie Gillain et Cali.

Toute la production a duré deux ans. J’aurais dû changer l’acteur qui jouait le petit garçon car, le temps passant, Louis Dussol avait perdu de sa naïveté….et le film aussi !

Tout le long des projets, vous passez votre temps à tenter d’aller jusqu’au bout. Le premier jour de tournage est une victoire car vous savez que vous avez réussi à convaincre votre monde. Cependant, rien n’est terminé. Vous devez à présent faire avec l’attitude des acteurs, la météo qui peut être capricieuse et les décors qui ne sont plus ceux qui étaient initialement prévus. Le montage est le moment le plus douloureux car vous devez faire des choix.

Le premier jour de la sortie, vous êtes angoissé. Le film peut finalement être un échec critique et commercial.
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« Le Promeneur d’oiseau » (2014) fait écho au « Papillon » tout en étant une histoire originale se passant en Chine. Le film a-t-il été un défi ?

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Oui. « Le Papillon » a été un grand succès en Chine. On m’a alors proposé de réaliser un remake mais je n’ai pas eu l’envie. Cependant, « Magique » ayant été un échec, j’ai voulu me mettre au défi. J’ai en premier lieu pris la décision d’apprendre sérieusement la langue chinoise. Puis, j’ai passé 9 mois là-bas avant même d’écrire le scénario.

Lorsque vous tournez dans un pays lointain et inconnu, vous devez avoir une certaine humilité. Pour « Le Promeneur d’oiseau », je suis devenu une véritable éponge. J’ai eu la grande chance d’avoir de bons comédiens. Ils ont été d’une grande aide pour trouver le bon ton.

Suite au « Promeneur d’oiseau », j’ai envie de réaliser un autre film, en anglais cette fois, car les fils dans cette langue voyagent beaucoup mieux à travers le monde. J’ai pensé à l’Australie. Je voulais tourner au bord de la mer et traiter le sujet des baleines. La Tasmanie aurait pu être le lieu idéal. Au moment de trouver les acteurs australiens, il a en fait fallu les contacter à Los Angeles (la plupart ont leur agent là-bas). La pandémie a réduit ce projet à néant. J’ai alors pensé transposer l’histoire en France. La lumière de la Tasmanie est très proche de celle de la Bretagne… Mais lors de ma venue au Festival de Cannes cette année, j’ai rencontré un acteur chinois très populaire et je lui ai raconté l’histoire. Il m’a parlé d’une île située dans le Golfe du Tonkin, qui est très connue pour la venue des baleines. Par conséquent, ce projet deviendra peut-être un film…chinois !

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Vous rêvez donc toujours de cinéma ?

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Oui. J’écris actuellement une histoire qui fait écho à mon enfance à Lille. J’ai l’impression que je ne sais rien faire d’autre que du cinéma. Je n’arrive plus à dessiner. Je n’ai jamais été intermittent du spectacle. Il faut apprendre à être patient et persévérant.    

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