Avec les nouvelles technologies de communication, notre monde accélère sa mue dans un rythme effrénée. Nos réflexions et états d’esprit ne sont plus les mêmes qu’il y a 10 ans. Le monde de la mode est bien entendu concerné. En plus d’être sur les podiums et les studios de photo du monde entier, il faut à présent soigner sa communication sur les réseaux sociaux. Valeria Rudenko est bien consciente de ces changements. Artiste confirmée, elle est également une militante acharnée pour la défense de son pays : l’Ukraine. Originaire de la région de Donetsk, Valeria Rudenko dénonce les agissements du Kremlin et des sécessionistes.

Entretien avec une mannequin internationale sur tous les fronts.

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En quelles circonstances êtes-vous devenue mannequin ?

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Dès l’âge de 7 ans, j’ai su que je voulais devenir mannequin. Dans ma petite ville natale, j’ai suivi des cours appelés « Théâtre de la mode ». Nous avons appris à faire des défilés, des séances photo et à dessiner des costumes. Lors des fêtes nationales, nous nous produisions avec ces costumes sur la place principale de notre petite ville. Vers 12 ans, la responsable de cette classe m’a conseillé de contacter des agences de mannequins en ligne. Elle considérait que j’avais toutes les compétences pour devenir mannequin professionnelle. J’ai trouvé quelques agences basées à Donetsk (aujourd’hui territoire ukrainien occupé par la Russie depuis 2014) et je leur ai envoyé mes Polaroïds.

Alors que j’étais en cours, j’ai reçu un appel téléphonique. Je suis sortie de la classe pour répondre. Une agence souhaitait me rencontrer. Lorsque je suis retournée en classe, j’avais l’impression que j’allais devenir la nouvelle Kate Moss (rires). Je suis allée à Donetsk avec mes parents et j’ai signé mon premier contrat avec une agence de mode.

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Que doit-on apprendre le plus rapidement possible dans ce monde du mannequinat ?

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Tout d’abord, la langue anglaise. Pour moi, c’était vraiment difficile de communiquer et de montrer ma personnalité, car je ne pouvais prononcer un mot. Deuxièmement, la gestion alimentaire. Sans mes parents, je n’arrivais pas à me contrôler. Je n’avais que 15 ans et je ne savais pas cuisiner. J’ai donc pris l’habitude de ne manger que des snacks de la supérette du coin. Résultat : j’ai pris 7 kg lors de mon premier voyage en tant que mannequin (rires).

De plus, il est plus facile de réussir si vous acceptez d’entendre des « non ». Il faut savoir être ouvert d’esprit, être amical et chasser sa timidité et sa peur. Vous devez prendre confiance en vous et vous adapter rapidement à tout nouvel environnement.

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Au cours de votre carrière, avez-vous vu des évolutions (rythme, respect des modèles,…) ?

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Oui. Il est certain que le mannequinat a tellement changé depuis mes débuts. Avant, mon ancienne agent pouvait me dire « ton cul ressemble à un train de marchandises ». Et cela allait. De nos jours, elle serait mise à la porte immédiatement. L’entourage est devenu plus respectueux envers la santé et le corps des mannequins. La notion de beauté s’est considérablement élargie. Désormais, juste avec un compte Instagram et Internet, vous pouvez vous faire connaître et devenir une vraie mannequin. Au début de ma carrière, cela ne fonctionnait pas ainsi.

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Il semble que vous preniez des photos de vous lors de votre quotidien (restaurants, voyages, vie amoureuse…). Est-ce parfois pesant ?

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Oui, parfois je n’ai aucune envie de montrer ma vie, d’être en ligne et d’être contactée. Surtout avec la guerre en Ukraine. Les gens sont devenus plus agressifs et parfois j’ai la tentation de mettre ma page en format privé. Je reçois de temps en temps de vrais messages de haine lors de mes directs sur Instagram. Cependant, j’ai conscience que cela fait partie de mon travail. Ma page est également comme un portfolio. Beaucoup de personnes la regardent et me contactent pour des sessions.
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Quel aspect vous plaît le plus dans le mannequinat ?

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Ce que je préfère et ce que je préfère le moins c’est voyager. Sans le mannequinat, je n’aurais jamais pu voyager autant. J’ai pu avoir la chance d’aller dans des pays si lointains comme l’Australie ou le Canada. Les voyages m’inspirent et m’a permis d’avoir une plus grande ouverture d’esprit que si j’étais restée en Ukraine.

Mais en même temps je déteste voyager car je me sens souvent seule ou j’ai le mal du pays. J’aimerais passer plus de temps à la maison, avec ma famille et mes amis. Il est difficile de maintenir des liens solides lorsque vous ne vivez pas en permanence quelque part au même endroit.

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L’Ukraine connaît une agression de son territoire depuis 2014. Le monde de la mode a-t-il été perturbé ?

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Oui. Il y a eu du changement. Des marques du groupe Indetex, par exemple, ont fermé leurs magasins en Ukraine à cause d’un danger. Les marques ukrainiennes ont par conséquent pris leur place. Elles sont à présent plus populaires et plus prospères, et se développent et maintiennent leur économie.

Mais si nous parlons des principaux marchés dans le monde, pour être honnête, je n’ai pas l’impression que la guerre ne dérange qui que ce soit. Bien entendu, en 2022, de nombreuses marques comme Balenciaga ont voulu montrer leur soutien à l’Ukraine. Mais avec le temps, tout cela s’est dissipé car la guerre fait à présent partie de notre quotidien.

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Comment manifestez-vous votre solidarité envers le peuple ukrainien ? En voyageant, en défilant, vous vous sentez comme une « ambassadrice » de l’Ukraine ?

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Bien sûr. Je fais tout ce que je peux pour soutenir mon pays. Lors de mes voyages, j’en parle sans cesse avec les personnes avec qui je travaille. Je ne me limite pas à mon compte Instagram. Ceux et celles que je rencontre ne connaissent pas vraiment les faits. Je veux qu’ils soient informés des événements. Je suis même ravie quand on prend la peine de m’en parler et lorsqu’on me pose des questions sur la situation de ma famille et comment je vis la situation. J’apprécie l’inquiétude d’autrui. Il est nécessaire d’en parler et de ne pas ignorer le sujet.

Je travaille plus pour pouvoir donner assez d’argent à notre armée et à ceux et celles qui en ont besoin. De plus, je viens du Donbass et je veux tout faire pour que mes parents s’éloignent de la ligne de front et qu’ils commencent une nouvelle vie autre part.

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Aimeriez-vous vous-même être un jour photographe de mode ?

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En fait, mon premier travail avant même d’être mannequin était photographe. J’avais un appareil photo et je gagnais de l’argent en photographiant des gens de ma ville natale. J’étais très populaire là-bas et je gagnais pas mal d’argent alors que je n’avais que 12-13 ans. J’ai arrêté car l’appareil photo était trop lourd pour voyager. Je me suis alors concentrée sur ma carrière de mannequin.

Pour le Nouvel an, j’ai reçu un nouvel appareil photo en cadeau. J’ai envie de l’essayer (rires).

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Vivre et travailler en France est-il une expérience très différente ?

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La France est l’un des principaux marchés de la mode. En vivant ici, vous pouvez participer à de gros projets ici et travailler pour des marques très connues ou des maisons de couture anciennes. J’apprécie de travailler pour Women team management. C’est une vraie chance de compter sur une agence aussi emblématique à Paris.

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