Dès ses débuts dans le monde de la bande dessinée, François Avril construit un univers épuré et élégant. Jeune dessinateur de « Doppelgänger-SA » (1985) et du « Voleur de Ballerines » (1986), il suit de près la ligne claire d’Yves Chaland. Au sein des rédactions de Libération, Challenges ou Lire, Avril a illustré notre quotidien avec une certaine poésie. En tant que dessinateur, il compose des dessins raffinés et puissants. En tant que peintre, il propose une vision apaisée du monde environnant. »
Entretien avec François Avril, artiste à plein temps.
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François Avril, vous êtes artiste depuis les années 80. Au fil du temps, comment pourrait-on définir votre style graphique ?
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Mon style est le minimalisme. Il s’est défini au fil du temps. J’ai commencé comme illustrateur et dessinateur de bande dessinée avant de devenir pleinement artiste. Je pense que le statut d’artiste est une aptitude à créer sans répondre à une commande ou à une contrainte extérieure. L’artiste est livré à ses propres choix.
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Cet esprit minimaliste existait-il déjà dans vos premières bandes dessinées ?
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Oui, bien sûr. Lorsque j’ai réalisé Sauve qui peut !, Doppelgänger.SA ou Le voleur de ballerines, j’ai toujours eu à l’esprit de synthétiser le récit et les images pour aboutir à une épure totale en supprimant les dialogues et les phylactères dans Soirs de Paris.
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La série que vous aviez réalisée pour Bayard Presse à vos débuts (1985 – 1987) sous le pseudonyme de Tex Avril était-elle une parenthèse ?
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Ce n’était pas une parenthèse du tout ! C’étaient mes débuts en bande dessinée avec Olivier Kuntzel au scénario et Alain Charrier à la couleur. J’apprenais mon métier en étant publié à raison de 6 pages par mois dans Je Bouquine.
Plus jeune, comme je dessinais, certains camarades m’avaient surnommé Tex Avril. C’était avant tout une plaisanterie. J’ai commencé à signer mes premières publications sous ce pseudonyme, mais très rapidement j’ai repris mon vrai nom.
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Quel était l’esprit de l’École de Pigalle avec notamment Loustal et Ted Benoît ?
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J’ai su faire le lien entre deux générations qui avaient la Ligne Claire en commun. Celle de Chaland, Loustal, Serge Clerc, Ted Benoît et la mienne, avec Berberian, Dupuis et Götting. Nous n’avions pas une grande différence d’âge, mais il y avait une différence de génération car les premiers avaient commencé la bande dessinée beaucoup plus tôt. Nous sommes devenus une vraie famille. Nous avions l’habitude de nous voir très souvent et le nom de l’École de Pigalle est venu tout naturellement car nous étions voisins de la Place Pigalle.
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Avez-vous apprécié l’exercice de dessinateur de presse ?
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J’ai adoré. J’aimais les défis. Le dessin de presse est une gymnastique de l’esprit, plus vous en faites, plus l’exercice est facile. Lorsque Libération me confiait par exemple un sujet en début d’après-midi, je devais le rendre pour la fin de journée. C’était très excitant. Et au lieu d’attendre un coursier lorsque j’avais terminé, je filais à la rédaction avec le dessin sous le bras. Je prenais alors un verre avec Alain Blaise, le directeur artistique du journal, pendant le bouclage. Il y avait une vraie dimension humaine. Je voyais mon dessin scanné et maquetté le soir et je retrouvais le lendemain matin publié au petit déjeuner.
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À quel moment et dans quelles circonstances vous êtes-vous tourné vers la peinture ?
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À l’origine, il y a une personne très importante à mes yeux qui est Christian Desbois. Ce galeriste était un précurseur. Il m’a permis à moi, ainsi qu’à d’autres auteurs comme Bilal ou Jean-Claude Götting, de réaliser nos premiers tableaux. C’était en 1993. Sa démarche était très courageuse pour l’époque. La frontière entre la bande dessinée et la peinture était hermétique et les critiques allaient bon train sur ces dessinateurs qui se prenaient pour des peintres ! Pour autant, cela ne m’a pas découragé, bien au contraire. À partir de ce moment, je n’ai plus arrêté de peindre.
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Que vous a-t-elle apporté ?
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La peinture m’a permis d’appréhender d’une toute autre manière l’espace et la composition. Lorsque je dessine, seule la main investit la surface du papier. Tandis que la toile impose de mettre tout son corps en mouvement. Ce changement d’échelle m’offre la possibilité d’élargir ma vision et de réaliser des compositions que le format de la feuille ne me permet pas.
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Quel regard portez-vous sur votre peinture ?
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Ma peinture est une peinture que je qualifierais de dessinateur. Comme pour mes dessins, on y retrouve mon trait noir hérité de la bande dessinée. Ce trait fait partie de mon écriture, de mon style. Je n’en suis pas prisonnier, bien au contraire, il structure ma pensée sur le support. Il y a derrière chacune de mes toiles, un croquis, une esquisse nécessaire à l’élaboration de mes compositions.
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Quel est, selon vous, le point commun entre vos villes et vos paysages ?
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Qu’il s’agisse de villes ou de paysages, ma méthode de travail s’appuie toujours sur l’observation du réel. C’est seulement après cette étape que ma mémoire fait naturellement son travail de sélection. Les détails disparaissent et je ne garde en souvenir qu’une composition forte aux lignes puissantes. La réalité telle qu’elle est ne m’intéresse pas. Ce qui m’intéresse est de mettre au point une utopie, une œuvre qui exprime un maximum de choses avec un minimum de moyens. Je tente de faire travailler l’imaginaire du spectateur autant que le mien, en lui laissant la possibilité de recomposer une image conforme à ce qu’il a pu voir dans sa réalité.
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Comment choisissez-vous les couleurs ?
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L’expérience m’a prouvé que l’on est naturellement attiré par notre environnement coloré, sciemment ou inconsciemment. Cependant, les rouges et les bleus sont mes couleurs de prédilection. J’accorde également une attention particulière aux blancs. Ils jouent un rôle essentiel dans la composition car ils permettent à l’ensemble des couleurs de résonner et à l’œuvre de respirer.
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Paris, Tokyo, New-York, Bruxelles. Quelle est votre ville préférée ?
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Peu importe la ville, elle est pour moi naturelle. Elle m’a toujours entouré. Je suis né à Paris et j’ai toujours vécu dans les villes. Je représente l’espace urbain naturellement, parce que c’est ce que je connais le mieux : son organisation, sa structure, ses axes et ses volumes bien définis. Des perspectives implacables dont on peut s’affranchir avec l’habitude de l’observation et de l’interprétation. De plus, dans une ville, tout change et rien ne demeure. C’est un motif en perpétuelle mutation. On voit des choses naître, sortir de terre alors que d’autres se transforment ou disparaissent. C’est une formidable source d’inspiration !
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En 2020, vous combinez votre univers avec celui, fantastique, de Philippe Druillet. Comment est née cette collaboration ?
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Il y a quelques années, j’ai acheté un grand crayonné de Philippe réalisé en 1990 pour « Excalibur », un court métrage. J’ai entrevu dans ce dessin une résonance avec mes compositions. J’ai alors eu l’envie de lui proposer de travailler ensemble. Cela l’a beaucoup surpris car nos univers sont diamétralement opposés. Mais après avoir passé deux ans à le convaincre de la pertinence de ce projet, il a fini par accepter et nous nous sommes étonnamment bien accordés. Sont nées une cinquantaine d’œuvres qui remportèrent un franc succès. Elles furent exposées et rassemblées dans un livre intitulé « Apocalypses ».
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Et pour L’Île des Morts ?…
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Un jour que j’étais dans l’atelier de Philippe, j’aperçus, intrigué, une esquisse de l’Île des Morts sur une grande toile. Ce tableau inachevé, d’après l’œuvre du peintre Arnold Böcklin (1880-1886), fut commencé par Philippe en 1980. Il me proposa de le terminer ensemble ! Les crayonnés ainsi que la toile achevée firent l’objet d’une exposition accompagnée d’un ouvrage et d’une grande estampe. J’ai beaucoup appris avec Philippe. Les collaborations fonctionnent lorsque les univers d’artistes sont radicalement opposés. Il faut juste une complémentarité.
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Quels sont vos projets ?
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J’ai plusieurs expositions à venir cette année. Un solo show en mai à la galerie Huberty & Breyne de Bruxelles qui sera consacré à cette ville que j’aime beaucoup et où j’ai la chance d’avoir un grand atelier pour peindre depuis 11 ans. En septembre, le Parcours des Mondes, une manifestation consacrée aux arts anciens extra-européens à Saint-Germain-des-Prés, m’offre une carte blanche pour sa nouvelle édition. J’exposerai à cette occasion, une nouvelle série de toiles et de dessins autour des Arts Extra-Européens. En octobre à Nîmes, je réponds à l’invitation de mon ami et photographe Bernard Plossu pour présenter, à ses côtés, des dessins sur le thème de Rome. Enfin en novembre, je participerai au salon Modern Art Fair sur les Champs-Élysées à Paris.
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Illustration de couverture : Sunny Winter Day – AVRIL