Réalisateur mythique de « La Belle & la Bête » (1946), Jean Cocteau est un artiste aux figures multiples. Poète, dessinateur, académicien, impresario, dramaturge,… il a toujours su profondément s’investir dans ce qui le passionnait.
« Poète orchestre » selon les termes de son ami Louis Aragon, Cocteau a su bâtir un univers à la fois unique et séduisant. D’ailleurs, de par son style onirique et avant-gardiste, il reste toujours une figure majeure de l’art français. Jean Cocteau est un artiste qui a encore tant à nous dire.
Après avoir échangé sur Jean Marais, voici un nouvel entretien avec Christian Soleil, auteur de nombreux ouvrages sur le poète comme « Jean Cocteau – un glorieux méconnu » (2009) ou encore « Dans les pas de Jean Cocteau » (2011).
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Vous avez publié de nombreux ouvrages sur Jean Cocteau au fil des 30 dernières années et donné à chaque publication des séries de conférences. Qu’est-ce qui vous a amené là ?
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On peut toujours trouver des raisons mais c’est difficile à dire. La vérité, c’est que j’ai d’abord été marqué, vers l’âge de six ans, par son film La Belle et le Bête, qui passait sur la première chaîne de l’époque, un jeudi après-midi. J’ai été subjugué par la Bête, par le thème et, je crois, mais je ne le formulais évidemment pas ainsi, par les valeurs que portait ce film. Peut-être par la beauté du prince à la fin. Plus tard, j’ai aimé l’ironie de la dernière réplique : « Il va falloir que je m’habitude. » On se lasse vite de la beauté humaine, qui elle-même est éphémère.
A l’adolescence, j’ai aimé ses poèmes un peu abscons, La Difficulté d’être, les romans, le théâtre et notamment Antigone et La Voix humaine. Vers la vingtaine, j’ai adhéré à la société des Amis de Jean Cocteau, où je retrouvais régulièrement Edouard Dermit, le fils adoptif du poète, et Jean Marais. Je suis devenu très ami avec « Doudou » comme tout le monde l’appelait. Je lui rendais visite une fois par mois à la Maison du Bailly à Milly-la-Forêt. J’avais accès au grenier et à tous les manuscrits, les dessins, les courriers de Jean Cocteau, qui trônaient là dans un beau désordre. Je dirigeais une troupe de théâtre amateur dans ma région et j’ai monté une pièce en opérant un montage des plus grands textes de Cocteau. Puis une autre. Comme j’écrivais tout le temps, j’ai tout naturellement rédigé une première biographie de circonstance, puis une trilogie plus importante, Le Bonheur fabriqué. Je n’avais alors publiée que deux romans.
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Il semble que Cocteau soit sorti du purgatoire où sa mort l’avait plongé. Comment expliquer un tel changement ?
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Cocteau avait longtemps cherché la gloire, pour se rendre compte quand elle l’a rejoint qu’elle était gluante. Edouard m’expliquait qu’à partir du moment où il a vécu avec Cocteau et, pendant les mois d’été, avec la mécène du poète, Francine Weisweiller, le trio ne pouvait pas arriver à Venise, à Florence ou ailleurs en Europe sans recevoir dès le lendemain des invitations pour des mondanités. Jean Cocteau était poli, il répondait rarement non. Il était bien sûr flatté de cette reconnaissance mais à la fin de sa vie, il s’en plaignait toujours. C’est ce que montre son journal, Le Passé défini. Son œuvre a sans doute souffert de cette grande visibilité du poète de son vivant. Mais le temps a passé et les hommages à Cocteau pleuvent dans le monde entier. Depuis trente ans, j’ai régulièrement vu des expositions en Grèce, au Japon, au Etats-Unis et partout en Europe.
Magicien, illusionniste, acrobate, funambule, mensonge qui dit toujours la vérité : les masques qui collent à la peau de Cocteau ne trompent guère que les frivoles, les inattentifs et les paresseux. On lui a déjà fait son procès verbal pour cause de superficialité, éparpillement, manque de sérieux, quand ce n’est pas bluff. Le poète serait en quelque sorte coupable de crime de légèreté. D’autant plus que ce nomade, ce bohème des moyens d’expression n’avait pas négligé de se voir attribuer des honneurs qui contredisent, en principe, l’image d’un poète en liberté.
Prévoyant sans doute le truc, Cocteau, sémillant et malin, renvoie les bourreaux à leur cuisine. «Les honneurs s’adressent au personnage de surface… Les honneurs sont une sorte de punition transcendante.» A cette télévision qui inaugure le règne de la télé-littérature, où le visage et la voix de l’écrivain deviendront des arguments aussi convaincants que le style, cet espiègle rétorque : «Un poète ne devrait pas se laisser voir». On est à cet instant charmant où la littérature et ses serviteurs sont aux yeux de la télévision encore des princes que l’on invite. Les animateurs d’émissions littéraires n’y peuvent mais. C’est bien fini.
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Au départ, Jean Cocteau, qui apparaîtra ensuite comme un moderne, était-il perçu comme un homme du XIXe siècle ?
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Oui. Il est né en 1889, comme la Tour Eiffel. Il naît dans une famille bourgeoise, à Maisons-Laffitte, entouré de musique et de livres. Son père se suicide quand il a 9 ans. Il est élevé par des femmes. Il restera toujours proche de sa mère, une femme de tête mais très bienveillante. Il ne cherche qu’à devenir célèbre, écrit très tôt des poèmes à la manière d’Anna de Noailles. Il publie deux recueils qu’il reniera plus tard, La Lampe d’Aladin et Le Prince frivole.
Dans une interview quelques mois avant sa mort, quand il évoque De Max, comédien début de siècle qui l’introduisit dans le petit monde parisien, il trouve bien sûr la formule qui fait mouche : «On lui prêtait de mauvaises moeurs, mais c’est bien la seule chose qu’on vous prête sans vous demander qu’on vous la rende». Sur le petit écran, il joue à ne pas jouer. Bien sûr qu’il triche. Mais il joue aussi à déjouer la fausse décontraction du petit écran et tutoie son interviewer, cassant la convention.
Le petit Jean a donc vu au théâtre Réjane, le père Guitry et Sarah Bernhardt. On rêve un instant en l’entendant évoquer Rossini trichant avec ses perruques de tailles différentes pour faire croire qu’il est allé chez le coiffeur. Tandis que défilent des plans fixes de ces jeunes danseurs qui firent les délices de la belle époque, tandis que s’annonce le scandale du Sacre du printemps, Cocteau évoque Nijinski, «petit singe métamorphosé par les planches». On est étonné par le grain de la voix : une voix très claire avec des aigus teintés d’une gravité légère, frissonnante d’un chatoiement qui est celui de la confiance joyeuse. Il pourtant soixante-quatorze ans, il va bientôt mourir, mais rien de commun avec les chevrotements contemporains d’un Gide, d’un Claudel, ou les rauques soupirs d’un Mauriac.
«Quand vous écrivez, monsieur Cocteau, je n’aimerais pas vous rencontrer au coin d’un bois», lui aurait-on dit alors qu’il écrivait La Machine infernale. Devant son élan, tout est balayé, et qui oserait redire à ce qu’il énonce ? En plein gaullisme, il parle tranquillement de sa cure de désintoxication d’opium. Un vice qui sent la fin de siècle, ou à tout le moins son avant-guerre, mais quand même ! On voit la petite Chanel, eh oui, «une petite Auvergnate» qui, débarquée à Paris, lancera la mode des cheveux courts parce qu’elle s’était brûlé les cheveux avec un chauffe-bain. Autre provocation de la part du moins académique de tous les académiciens, quand, à propos des objets qui l’entourent, il assure : «Pas un objet n’est choisi, ils sont tous venus apportés par une vague», et déclare ensuite, constatant que la part la plus importante de ce qui lui a appartenu, objets et lettres, circule entre des mains pilleuses, qu’il préfère avoir affaire aux voleurs qu’à la police.
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Cocteau a-t-il une conception spécifique de l’art, de l’esthétisme, de la beauté ?
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Oui. Il écrit dans sa Lettre à Jacques Maritain, le philosophe catholique, qu’il dédaigne l’art pour l’art et qu’il propose l’art pour Dieu. C’était somme toute la conception de Michel-Ange. Il s’efforce de répondre à des questions d’ordre quasi métaphysique : «Comment sert-on le beau, l’exceptionnel ? Là, nous sommes près du phénomène de la sexualité. Je pense qu’une certaine forme de beau pour un homme passionné par l’art déclenche une érection morale absolument inévitable». Le propos n’est ni gentil, ni flagorneur. Cocteau a gagné le droit de dire ce qu’il pense et ne s’en prive pas. «L’art est un merveilleux mensonge… Les gens aiment mieux reconnaître que connaître. Reconnaître est un jeu. Connaître demande un effort».
Mais sans doute la partie la plus émouvante de ce témoignage qui jamais ne tombe dans la complaisance est-elle le passage dédié à Radiguet : «A part Stravinsky et Picasso, mes deux maîtres ont été un vieillard, Erik Satie, et un enfant : Radiguet». Moment rare où, avec une pudeur extraordinaire, se dit son amour des garçons : «Les jeunes, quand ils sont animés par un sentiment profond, s’imaginent qu’ils se font une infidélité à eux-mêmes. Ils expulsent ce qui les envahit».
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Quelles ont été les influences essentielles de Cocteau ?
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Il y a ceux que j’ai cités plus haut, Satie, Radiguet. Mais il y a aussi Picasso, avec qui il a entretenu une amitié sincère mais de type sadomasochiste, si j’ose dire. Une amitié amoureuse sans doute du côté de Cocteau, qui admirait sincèrement Picasso. Et une amitié un brin sadique du côté de Picasso qui ne répondait pas toujours aux demandes de Cocteau, le faisait attendre. Dans cette relation, Picasso joue un peu les coquettes. Inspiré par Picasso, Cocteau a tenté de courir plus vite que la beauté, tant dans son art que dans ses amours. Avec Raymond Radiguet, la beauté est fulgurante. Il le rencontre alors qu’il a quatorze ans, grâce à Max Jacob, le véritable poète cubiste. Le jeune Radiguet dormait sur la table de Jacob ou du peintre Gris, parce qu’il aurait dû pour rentrer chez lui certains soirs affronter les rugissements des lions du zoo de Vincennes. Voilà pour son côté enfant. Il écrit «des poèmes frais et acides comme des grappes de groseilles» qu’il sort froissés de sa poche. Il démoralise par son silence. Il est myope, on lui achète des lunettes : il trouve alors tout affreux.
Tandis que Cocteau va retendre «la peau de cette vieille dame admirable», Antigone, Radiguet va devenir le «bébé-cadum» de Grasset, l’éditeur, grâce au Diable au corps. «Mais Dieu vint qui lui fit la mort affreuse de la typhoïde», l’identifiant à Rimbaud, et lui-même à Verlaine, Cocteau décrit cette agonie d’un gosse qui buvait trop et brûlait toute son énergie par tous ses pores, «comme si on avait jeté une allumette sur une botte de paille». Un grand froid nous traverse quand Cocteau dit la maladie de Radiguet, sa mort, la stupeur et le dégoût qui s’ensuivirent pour lui. Parce que les morts ont tous les même visage, il ne voulut pas le voir sur son lit de mort. Cocteau ne devait s’éteindre à son tour, lampe qui a consommé toute son huile, que quarante ans après Radiguet : «Faites semblant de pleurer mes amis puisque les poètes font semblant de mourir».
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Cocteau avait des talents multiples dans les domaines de l’art. N’était-il pas normal qu’il déclenche quelques jalousies ?
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On n’admet guère les dons des autres. Cocteau en avait d’innombrables. Il fallait donc qu’il y eût duperie, tromperie, mensonge. D’autant plus que ces dons, dans les domaines les plus divers de l’art, il savait les développer par une immense capacité de travail, ou plus exactement une totale incapacité à paresser. L’état naturel de Cocteau était le mouvement, c’est-à-dire la fuite en avant dans les œuvres les plus diverses et les plus brillantes. Il disposait en outre de cette exquise politesse de l’âme qui consiste à ne pas faire montre du labeur, mais à supprimer le travail par le travail.
Son œuvre peut sembler froide : elle est dense. Pas une fioriture, pas un ornement, rien de poétique puisque tout, justement, y est poésie. «Jean n’a fait qu’une seule chose dans sa vie», répétait Jean Marais : «de la poésie». Une poésie qui, certes, a embrassé tout à tour toutes les formes de l’art, une poésie de l’au-delà, de l’envers du décor, du revers de la médaille, une poésie qui plonge dans le sommeil ou qui met des gants pour traverser les miroirs.
D’abord poète, d’une légèreté suprême, Cocteau fuit le symbolisme. Il fait toujours voir ce qu’il veut faire voir, sans chemin détourné. Il ne cherche jamais à nous montrer, à nous démontrer, à nous faire comprendre. Il nous fait voir ce qu’il voit, sans la vulgarité de ceux qui savent ou prétendent savoir. D’où son jugement parfois sévère sur ses contemporains, même et surtout amis. Son cœur était pur et dur comme les enfants. Tout le contraire des bontés molles et lâches. Tout le contraire de la frivolité, «un crime en cela qu’elle singe la légèreté».
Si le charme et le magnétisme de Cocteau en ont fait durant son existence une sorte de star permanente, s’il a été de toutes les modes, s’il a connu tous les succès, et donc toutes les jalousies des mesquins qui projettent leurs bassesses sur le monde, ce n’est qu’après sa mort que le public l’aura reconnu pour ce qu’il était : un poète. Pas un intellectuel qui parle de poésie. Les fleurs se mêlent-elles d’horticulture ? Un poète : une sorte de médium de l’au-delà. «Je n’ai pas peur de la mort», disait le poète. «D’ailleurs, j’ai été bien plus longtemps mort que vivant».
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Quand on lit son journal, on a le sentiment que Cocteau était toujours en souffrance, jamais satisfait, jamais tranquille, plus Rousseau que Voltaire en somme. Il se plaignait toujours, non ?
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C’est vrai qu’il ne connaissait pas le repos. Il se reposait d’un travail sur un autre travail. «Il est juste qu’on m’envisage après m’avoir dévisagé». Cette formule, comme toutes celles qu’employait Jean Cocteau, ne se limite pas à un bon jeu sur les mots. En les frottant les uns aux autres, il en extirpe un sens nouveau et toujours plus vif. Elle résume d’un seul trait, à la manière de ces dessins nerveux et linéaires qui sont la marque du poète, tout le problème de la visibilité et de l’invisibilité de l’artiste. «Je me reproche d’avoir dit trop de choses à dire et pas assez de celles à ne pas dire.» Sur sa propre carrière, Cocteau a lancé un jour : «Je n’ai pas arrêté une minute depuis l’âge de quinze ans». Poète, romancier, dramaturge, cinéaste, portraitiste, il a aussi exercé son talent multiple dans le domaine des affiches, des poteries, des tapisseries, des mosaïques, des bijoux, etc… On pourrait prolonger la liste indéfiniment.
«J’ai été accusé de sauter d’une branche à l’autre. C’est vrai. Mais toujours dans le même arbre.» C’était celui de la poésie. De tous les titres dont on l’affublait, il ne consentait qu’à un seul : celui de poète. Et avec une insistance toujours renouvelée. On n’aura décidément jamais vu poète réclamer cette appellation avec autant de vigueur. Il classait du reste toutes les innombrables variétés de son travail sous les titres de poésie, poésie de roman, poésie de théâtre, poésie critique, poésie graphique et poésie cinématographique. Même sa sculpture devenait poésie cinématographique. Par ailleurs, il tenait beaucoup au terme de «cinématographe», et non «cinéma». Le suffixe «graphe» est essentiel dans la mesure où le septième art, dans l’oeuvre de Cocteau, n’est qu’un mode d’écriture parmi d’autres.
L’insistance de Cocteau à être reconnu comme poète ne laissait pas d’agacer quelque peu ses contemporains. Ces étiquettes dont il usait, très personnelles et peu conformes à celles traditionnellement admises dans une France soumise aux lois d’un cartésianisme dans lequel il n’est d’ailleurs pas certain que Descartes retrouverait ses petits, n’étaient évidemment pas du goût de tout le monde. Mais pour le poète, il s’agissait bien de montrer que son travail était, au sens propre du mot, incomparable. Sans forfanterie ni prétention. Même dans celles de ses oeuvres pour lesquelles il prit modèle sur tel ou tel, on retrouve sa marque, l’étoile dont il sanctionnait chacune de ses créations.
Pour son roman Thomas l’imposteur, par exemple, il dit avoir «posé son chevalet devant La Chartreuse de Parme», tout comme à ses côtés le jeune Raymond Radiguet s’installait devant La Princesse de Clèves pour composer Le Bal du comte d’Orgel. Il ne s’agissait pas de copier, mais plutôt de puiser une inspiration. Quoi de commun entre La Princesse de Clèves et Le Bal, sinon la qualité et la subtilité de l’analyse psychologique ?
Partout où il intervenait, dans quelque art qu’il choisisse d’exprimer cette poésie dictée par des forces inconnues, Jean Cocteau imposait sa marque, celle d’un maître du paradoxe et de l’épigramme esthétique, celle aussi d’un fulgurant trait d’union entre le classique et le moderne.
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Cocteau s’est vu prêter pas mal de mauvaises mœurs, entre sexe et drogue. Qu’en est-il exactement ?
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D’après ses dires, mais il est vrai que ses ouvrages autobiographiques comportent autant d’exagérations que d’omissions, Cocteau aurait commencé sa carrière à quinze ans. Disons en tout cas qu’il était encore adolescent. Il fait alors une fugue, particulièrement spectaculaire, en passant plusieurs semaines – qui deviendront «un an» sous sa plume – dans le Vieux Port de Marseille, à l’époque un des quartiers les plus chauds du monde. En 1943, les Allemands le détruiront à la dynamite, mais vers 1906 c’est encore un véritable labyrinthe, avec ses prostitués des deux sexes, ses fumeries d’opium et ses bains turcs. «Ça m’a fait les pieds. C’était ma véritable école. Ça m’a affranchi», dira Cocteau quelques années plus tard.
Ces expériences d’adolescent, qui furent peut-être moins importantes qu’il n’a voulu le laisser croire, on les retrouve dans un ouvrage où il est difficile de faire la part de la fiction et celle de l’autobiographie. Il s’agit du fameux Livre blanc, un texte d’inspiration nettement homosexuelle, agrémenté de nombreux dessins, et qui, publié en 1928, sans nom d’auteur, fut longtemps vendu sous le manteau.
Ramené à Paris par un émissaire de la famille, Jean Cocteau ne retournera pas à l’école. Il est atteint des premiers symptômes d’une longue et douloureuse maladie : celle, rouge et or, du théâtre. Brillant et un peu timide, ce jeune homme avenant est doté d’une étrange propension à transformer en ami toute personne par lui choisie. Il hante les deux côtés du rideau, se fait admettre partout et devient le familier des plus grands artistes du moment.
S’il a raté son baccalauréat par deux fois, il ne rate pas en revanche le fameux tragédien De Max, roi de la rampe et de la nuit. De sa première visite chez lui, Jean Cocteau conservera une photo dédicacée dans ces termes : «A vos seize ans en fleurs, mes quarante ans en pleurs». Pour le jeune poète, cette flamboyante star de la Comédie française organise bientôt une série de lectures publiques et privées du jeune homme et de ses poèmes charmants mais éphémères. L’une de ces manifestations les plus importantes eut lieu au théâtre Femina, sur les Champs-Élysées. Parmi une kyrielle de grands acteurs du moment, on retrouvait bien sûr l’inévitable De Max lui-même récitant les vers de son protégé : «N’ayez pas de colère et n’ayez pas de blâme / Posez votre fraîcheur aux fièvres de mon front…»
Roger Martin du Gard, présent dans la salle au cours de cette soirée, allait s’inspirer de Jean dans son premier roman, Devenir. Cocteau, qui commence à avoir un trac fou, bondit de joie quand la salle applaudit à tout rompre. Enfin, il est sauvé, le voilà connu !
Trois volumes de ses poèmes seront bientôt publiés, qu’il reniera tout aussi vite pour ne plus jamais les réimprimer. C’est l’une des premières évolutions artistiques de Jean Cocteau, et non des moindres. Il va abandonner son engouement désuet pour les petites pièces poétiques fraîches et fades, en route pour la nouveauté d’un monde de lumière. C’en est fini des poèmes fleuris et enrubannés. Jean Cocteau fait la connaissance des Ballets russes.
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Quel est le rôle de Diaguilev dans les influences de Jean Cocteau ?
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Oui, j’y viens. Un rôle central dans la mue de Cocteau, qui aurait pu s’enliser dans des poésies gentillettes et ringardes. Diaguilev le réveille, en quelques sorte, de sa torpeur bourgeoise. Le choc avait été de taille, pour les ballets occidentaux traditionnels comme les a par exemple illustrés Degas, avec l’arrivée d’une nouvelle esthétique de la danse : celle de la compagnie des danseurs russes surgis dès 1909 dans le monde artistique parisien. Un choc au moins aussi essentiel que celui engendré par l’apparition à Saint-Pétersbourg d’Isadora Duncan en 1905.
Misia Sert, leur amie commune, avait introduit Cocteau auprès de Diaghilev. Voilà Jean devenu «Jeanchik», diminutif sympathique que lui attribuait le talentueux chorégraphe. Il devient rapidement un intime de la troupe, et ne manque pas d’assister, souvent depuis les coulisses, aux représentations les plus prestigieuses de l’époque : de Schéhérazade à Les Sylphides, en passant par Le Prince Igor et Le Festin, et bien d’autres encore. Jean Cocteau n’hésita pas à exprimer à Diaghilev son engouement pour le jeune Nijinski, qui était pourtant la propriété exclusive, si l’on peut dire, du maître. Il alla même jusqu’à publier un poème à la gloire de ce danseur désormais légendaire, un petit texte de six vers illustré par Paul Iribe, et que Diaghilev accepta de considérer comme une sorte de publicité. Sur la demande de ce dernier, Cocteau écrivit alors le scénario d’un nouveau ballet, Le Dieu bleu, aujourd’hui tombé au rang des oubliettes, et que devait danser Nijinski sur une musique de Reynaldo Hahn.
Les Ballets russes marqueront le tout début de la carrière de Cocteau comme peintre et dessinateur. Une carrière où il s’est finalement montré particulièrement engagé, même si, au cours de la dernière décennie, ses productions graphiques prennent un tour pathétique que d’aucuns trouvent prétentieux. Ses premiers travaux dans ce domaine furent encouragés par Léon Bakst, le costumier en chef de la troupe : des affiches représentant Nijinski et Karsavina, et bientôt une série de dessins au trait et à l’encre qui constituent, pris sur le vif, la mémoire des premières saisons parisiennes des Ballets russes. Tout un monde qui revit sous la griffe fulgurante et spontanée de Jean.
Mai 1913 : la création du fameux ballet de Stravinsky, le désormais célèbre Sacre du printemps, fait l’objet d’un beau scandale. Cocteau est séduit. Quand Diaghilev lui lance, au plein cœur de la nuit, alors qu’ils arpentent la place de la Concorde, son décisif : «Etonne-moi !», Cocteau décide de changer de cap. L’oeuvre qui naîtra de cette métamorphose, Le Potomak, est une sorte de brouillon de tout l’oeuvre à venir, un livre par le vide, qui n’en finit pas de s’annoncer ; bref, avec cet ouvrage, Cocteau pourrait bien faire figure de «premier des surréalistes». Ceux-là n’approuveraient sans doute pas ce terme. Mais après tout, ils ne l’on pas inventé et n’en ont pas la propriété exclusive. Du reste, Cocteau lui-même refuserait de se dire précurseur, lui qui affirmait : «Il n’y a pas de précurseurs, il n’y a que des retardataires.» Tout de suite après Le Potomak, Cocteau allait assaillir Stravinsky pour que le musicien mette en musique le ballet dont il projetait d’écrire le scénario, David. Mais le compositeur, engagé dans la composition du Rossignol, n’avait pas de temps à consacrer à cette proposition. C’est alors, en août 1914, qu’éclate la Première Guerre mondiale.
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Cocteau a-t-il participé de près ou de loin à la Grande Guerre ?
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Il a voulu jouer un rôle concret et il l’a fait. La guerre sera une période riche en péripéties pour Jean Cocteau. Certes, il y a le front où chaque jour meurent de vaillants soldats. Mais il est d’autres combats que le feu des mitrailles, et ce que Cocteau appellera le «front Montparnasse» va contribuer à modeler une nouvelle fois, de façon décisive, son talent. Le front Montparnasse, ce sont les fauves, les cubistes, et de manière plus générale les postimpressionnistes, ceux que l’on a baptisés collectivement l’Ecole de Paris. Apollinaire avait déjà, en 1913, célébré Picasso et Braque dans son livre Les Peintres cubistes. Parmi d’autres, et au rang de familiers de Jean Cocteau pendant toutes ces années, on relève les noms de Matisse, Vlaminck, Derain, Modigliani, ou encore Lipschitz. Des poètes aussi, proches du mouvement : Max Jacob, André Salmon. Des musiciens dits d’avant-garde, comme Satie ou Varèse. Globalement, tous ces artistes avaient alors plutôt tendance à considérer le monde des Ballets russes, où Cocteau avait jusqu’alors évolué, comme une sorte de divertissement pour la «jet set» de l’époque. Jean allait assurer le lien entre ces deux univers restés parallèles.
Exempté de service militaire l’année précédente, Jean Cocteau n’en passera pas moins les premières années de la guerre de manière très active, sur le front, dans le cadre des premiers convois d’ambulances mis en place par Misia Sert. Premières impressions qui seront réutilisées plus tard dans Thomas l’imposteur.
«Nous assistons à un repas de la terre», écrit-il devant les visions les plus sanglantes. C’est l’époque des premiers vols d’essai avec son ami Roland Garros, et bientôt Jean fait paraître Le Mot, un bimensuel cocardier, c’est bien la moindre des choses, vu l’époque !
A la mémoire de son ami Roland, décédé tragiquement, il écrit un long poème, Le Cap de Bonne Espérance. Par la suite, il rejoint une nouvelle unité d’ambulance, fondée par Etienne de Beaumont, esthète richissime qui se transformera bientôt en mécène. Pour l’heure, Jean se retrouve au front sur les côtes flamandes. Nouvelles scènes qui lui serviront pour composer Thomas l’imposteur : notamment la sanglante bataille de la Somme.
Pendant toute cette période où il joue les infirmiers, Jean Cocteau entretient une correspondance assidue avec Picasso, Satie, Diaghilev et Massine. Chaque séjour à Paris est l’occasion d’une visite. Il les assaille littéralement. C’est qu’il souhaite les faire participer au nouveau ballet dont il vient d’écrire le scénario, Parade, respectivement en tant que décorateur, compositeur, producteur et chorégraphe. Le ballet se déroule comme la parade publicitaire d’une troupe de cirque déambulant dans les rues de Paris. Les différents numéros s’enchaînent sans interruption. Le réalisme de la partition vient de certains bruits concrets de la grande ville, qui surgissent ici et là en s’ajoutant à la musique, toujours de manière brutale et incongrue, comme pour mieux surprendre l’auditeur. Sirène aiguë, roue de loterie, flaques sonores, claquoir, machine à écrire, revolver, sirène grave, apparaissent à tour de rôle. La formation orchestrale requiert aussi un orgue et un bouteillophone (ensemble de bouteilles «accordées» différemment suivant la hauteur de leur contenu). L’accueil de public fut assez hostile et donna lieu à un scandale tumultueux, comme celui qu’avait suscité quatre ans auparavant Le Sacre du printemps de Stravinsky. On connaît la réaction d’un spectateur, rapportée par Cocteau : «Si j’avais su que c’était si bête, j’aurais amené les enfants» ! C’est le 18 mai 1917 qu’avait lieu cette première représentation, au théâtre du Châtelet.
A la fin de 1918, Cocteau écrit Le Coq et l’Arlequin, un ouvrage qui va servir de manifeste au groupe des Six qui marqua la musique française d’entre-deux guerres, et auquel collaboraient notamment Georges Auric, Arthur Honegger, Darius Milhaud et Francis Poulenc. Dans ces aphorismes du poète, on retrouve un certain sens du paradoxe qui, au-delà du brio typiquement coctélien, est parfaitement représentatif de l’esthétisme de l’époque.
Après Parade, et ces nouveaux écrits, Cocteau s’estime en droit d’être considéré comme avant-gardiste. Mais l’avant-garde officielle, si l’on peut dire, ne l’entend pas de cette oreille. Pour Tristan Tzara et ses amis du mouvement Dada fondé en 1915 à Zurich, Cocteau n’est qu’un truqueur mondain. La position des surréalistes à son égard, André Breton en tête, Louis Aragon, Philippe Soupault, était encore plus violente. Et de nombreux artistes, y compris Picasso, considéraient plus Cocteau comme un opportuniste que comme un réel créateur. Quant à Apollinaire, il semble qu’il ait surtout vu en Cocteau un dandy. Si à cette époque de tels points de vue pouvaient ne pas être sans fondement, la carrière du poète après la guerre allait s’empresser de les contredire.
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L’entre-deux guerres est une période bouillonnante pour Cocteau. Ne produit-il pas ses plus grandes œuvres à cette époque ?
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C’est vrai que les années vingt se sont révélées particulièrement riches en créations pour le poète. Il écrivit à cette époque de nombreux poèmes qui virent le jour dans des recueils publiés régulièrement. La plupart de ces poèmes, bien entendu, sont pratiquement intraduisibles à l’étranger, même si certaines tentatives ont pu être faites. Selon les années et l’inspiration, ils diffèrent en outre beaucoup entre eux, et en intensité. Plusieurs d’entre eux ont été mis en musique par Poulenc ou d’autres compositeurs.
Un grand nombre des productions de Cocteau ont fait appel à la collaboration d’autres artistes, et Cocteau a toujours su faire preuve d’un certain génie dans son choix de collaborateurs. C’est Etienne de Beaumont qui financera la pantomime du Bœuf sur le toit, avec les frères Fratellini et les clowns du cirque Médrano. Jean Cocteau a toujours eu la passion du cirque, spectacle pour enfants mais surtout spectacle complet. Le Boeuf sur le toit demeure l’une des meilleures compositions de Darius Milhaud, mais il a été très peu joué depuis cette époque. Pourtant la pièce avait fait salle comble et Paul Léautaud, avec une justesse extrême d’analyse, parle de «fantaisie saccadée et voluptueuse d’un charme très réel». Le spectacle-concert, très court comme Parade, avait été monté à Londres.
Avec ses amis, Jean Cocteau inaugure les «dîners du samedi» qui ont lieu chez l’un d’eux à tour de rôle, ou au restaurant. On y retrouve surtout ceux du groupe des Six, mais aussi d’autres proches du poète. Après dîner, on sort au cinéma, à la foire ou au Médrano. Avec Jean Hugo et Roger de la Fresnaye, Jean Cocteau lance une revue, Le Coq. Le premier numéro présente le groupe comme une société d’admiration mutuelle. Ce sera un bon support pour contre-attaquer Breton et sa suite. Mais bientôt, rencontre décisive et sans doute la plus marquante dans la vie de Cocteau, apparaît Raymond Radiguet. Et rien ne sera plus jamais pareil.
Radiguet, éphèbe étrange et peu affectueux, fascine Cocteau qui en tombe immédiatement amoureux. «Sans ouvrir la bouche et par le seul mépris de son regard myope, de ses cheveux mal coupés, de ses lèvres gercées, il nous battait tous».
«L’apparition de Raymond Radiguet date de 1918, raconte Cocteau. Nous le vîmes pour la première fois dans une galerie de tableaux. Il était myope et toute sa personne fragile, sérieuse, absente, semblait nager maladroitement à la traîne de ce regard qu’il approchait des choses. Il feignait de ne pas les voir et les enregistrait une fois pour toutes.
«Lorsqu’il vint chez moi, la femme de chambre de ma mère me dit : «Il y a un enfant avec une canne.» Il portait, en effet, une petite canne qu’il ne posait pas par terre et qui étonnait entre ses doigts. Il habitait chez ses parents, avec ses frères et sœurs, au Parc-Saint-Maur. Il en arrivait le matin et y retournait le soir. S’il manquait son train, il couchait chez les uns ou chez les autres, à Montmartre ou à Montparnasse, et quelquefois sur une table. Il nous montrait des poèmes qu’il tirait de sa poche, sur des bouts de papier froissés. Il les repassait avec la main.
«Il tombait en pleine époque du cubisme et du dadaïsme. Il comprenait, il devinait, il savait tout. Sa clairvoyance d’aveugle était effrayante. Il nous battait au jeu d’échecs de l’intelligence et, comme il avait appris à lire dans nos livres, nous étions à ses yeux les classiques qu’il convenait de contredire. Il nous enseigna qu’il ne fallait pas suivre la pente et qu’une attitude d’apparence conformiste pourrait seule dérouter les esthètes et devenir la véritable anarchie».
Cocteau se dit rapidement le père adoptif de celui qu’il appelle gentiment «M. Bébé». Il fait écrire son protégé. Radiguet commence alors Le Diable au corps, qui est à la fois un roman glacé et passionné. «Il était dur, dira Cocteau, il fallait un diamant pour avoir prise sur son coeur». Le poète fait lire le manuscrit aux amis du groupe, et c’est la stupéfaction. Voilà que le jeune éphèbe est un génie !
Désormais, c’est au Boeuf sur le toit que se réunit le groupe, et ce nouveau lieu devient l’endroit préféré du Tout-Paris. Man Ray, Marcel Duchamp, le prince de Galles, Arthur Rubinstein, le prince Firouz de Perse et Stravinsky y ont leur tabouret.
L’été 1922, Cocteau et Radiguet le passent ensemble dans le Midi. Quelques mois de calme et de soleil pour permettre à Radiguet de commencer Le Bal du comte d’Orgel et de finir Le Diable au corps. Cocteau, dans le même temps, écrit Plain-chant, Antigone, Thomas l’imposteur et Le Grand écart. Ce dernier roman va lui permettre de toucher un grand public qui lui restera fidèle.
Pour Antigone, que Cocteau crée le 20 décembre 1922 au théâtre de l’Atelier, le poète a su choisir, une fois de plus, ses collaborateurs. Il travaille, comme il dit, «en famille». Dullin joue Créon, et l’on retrouve Picasso pour les décors tandis que Chanel s’occupe des costumes et Honegger de la musique. La pièce connaît un grand succès, le premier vrai succès théâtral de Jean.
Cocteau et Radiguet partent ensuite pour un voyage en Angleterre. Au retour, le jeune garçon signe avec Grasset le contrat du Diable au corps. Au cinéma, les actualités montrent l’éditeur en train de remettre à Radiguet «le premier chèque de 100 000 francs qu’un éditeur français ait présenté à un jeune homme de vingt ans».
Les deux compères mènent la vie dorée d’amoureux noctambules. Ils sont de toutes les fêtes et de tous les bals. Mais Raymond contracte une typhoïde, sans doute après avoir mangé des huîtres, et il meurt le 12 décembre 1923. Sans en être directement la cause, le mauvais état de santé général de Radiguet aura précipité sa mort. Il faut dire que le jeune écrivain brûlait sa vie par les deux bouts, dans tous les sens du terme. Peut-être aurait-il pu être sauvé si le diagnostic avait été moins tardif. Trois jours avant sa mort, Radiguet dit à Cocteau cette phrase terrible : «Dans trois jours, je vais être fusillé par les soldats de Dieu».
«Raymond Radiguet était un gant du ciel, écrira plus tard Cocteau dans sa Lettre à Jacques Maritain. Sa forme allait au ciel comme un gant. Lorsque le ciel ôte sa main, c’est la mort. Prendre cette mort pour une mort véritable serait confondre un gant vide avec une main coupée.
«J’étais donc en garde. J’avais tout de suite vu que Radiguet était prêté, qu’il faudrait le rendre. Mais je voulais faire la bête, coûte que coûte le détourner de sa vocation de mort.
«Pauvre ruse. Croyant le plomber en lui soutirant des livres, je le délestais. A chaque livre je le voyais prendre le large, s’enfoncer, rejoindre un mystère où il avait visiblement rendez-vous.
«L’été je l’emmenais à la campagne ; il devenait un enfant sage, il écrivait sur des cahiers de classe. Quelquefois il se révoltait contre son oeuvre comme un élève contre des devoirs de vacances. Il fallait le gronder, l’enfermer. Il bâclait alors un chapitre rageusement. Ensuite, il le recommençait.
«L’hiver en ville était atroce. Pourquoi le suppliai-je, changeai-je ma vie, essayai-je de lui donner l’exemple ? Dettes, alcool, insomnies, piles de linge sale et fuite d’hôtel en hôtel, de chambre du crime en chambre du crime, composaient le principe de sa métamorphose. Elle eut lieu à la maison de santé, rue Piccini, le 12 décembre 1923.
«Cette fois la ligne m’enlevait. Je lâchai prise à mi-chemin, laissant partir une moitié de moi-même.»
Jean Cocteau est littéralement terrassé par cette mort, au point qu’il n’assistera pas aux funérailles que règle Coco Chanel. Sur sa vision de la mort, il s’exprimera plus tard, dans son Journal tenu sous l’Occupation, à propos de la mort de sa mère : «La mort ne me rend jamais triste. Je trouve tout cela normal et je déteste qu’on adopte l’attitude conventionnelle des deuils. Il est possible que la plupart des gens aient besoin de ces rails absurdes».
Après la mort de Radiguet, Cocteau s’exile à Monte-Carlo. C’est là qu’il commence de se familiariser avec l’opium. Les cinq premières années où il fume, et ses premières cures de désintoxication, tel est le sujet d’un livre de notes qui a pour titre, justement, Opium. L’opium, du reste, a sans doute contribué à remettre Cocteau sur les voies de la création artistique et de la vie sociale. Publicité oblige, Jean Cocteau sera, tout au long de sa carrière, l’un des hommes les plus photographiés.
C’est à la demande de Diaghilev que le poète participera en 1924 aux scénarii de deux ballets, Les Biches, de Poulenc avec des décors de Marie Laurencin, et Les Fâcheux, d’Auric, avec des décors de Braque. Il écrit aussi pour Diaghilev son dernier propre scénario, Le Train bleu, qui sera mis en musique par Milhaud et dont Henri Laurens fera les décors. C’est la même année qu’aura lieu la représentation de son adaptation de Roméo et Juliette, avec des décors de Jean Hugo. Jean Cocteau y jouera le rôle de Mercutio. Il publie également un épais recueil intitulé Dessins, dans lequel il regroupe des oeuvres graphiques de jeunesse.
Pour oublier Radiguet, outre l’opium et le théâtre, Jean Cocteau va aussi se tourner vers la religion. C’est la fameuse Lettre à Jacques Maritain, et la Réponse à Jean Cocteau. Maritain et son épouse Raïssa deviennent rapidement des amis de Jean. Ils sont des familiers des grandes conversions. Jean Cocteau engage une cure de désintoxication. Sa conversion ne durera que quelques mois. Le confort et les exigences de la religion ne sont pas pour lui. Sa seule religion reste la poésie. Il travaille en direct avec Dieu. Et la solitude, thème omniprésent dans son oeuvre, est bien le lot de ceux qui, comme lui, se laissent entraîner par des forces qu’ils ne connaissent pas.
La période qui suit sera particulièrement prolifique pour Jean Cocteau. Orphée, la pièce, l’une des plus typiquement coctéliennes, est donnée à Paris le 15 juin 1926, produite par les Pitoëff. On ne connaît guère aujourd’hui que la version filmée qui date de 1950.
Le nouveau lieu de prédilection de Cocteau, c’est Villefranche[1]. L’hôtel Welcome, lui, fait pour ainsi dire partie de la légende. On y assiste au lever de Cocteau comme à celui d’un prince. Une foule d’amis, qu’il appelle avec humour son «escadrille», entourent le poète vêtu de pyjamas et de robes de chambre somptueux… Entre deux phrases d’une conversation, Cocteau s’arrête, écrit, dessine, croque en quelques lignes un proche, un ami, un disparu. Dans ses dessins-poèmes d’Anna de Noailles, d’Auric, de Poulenc, de Radiguet, tout est dit de manière fulgurante, en quelques traits. La vigueur d’une photographie. La noblesse d’un poème.
L’année 1929 reste comme une année phare dans la carrière de Jean Cocteau, marquée par la parution de son fameux roman Les Enfants terribles, et la création de La Voix humaine, pièce en un acte. Les Enfants terribles, c’est un peu la prémonition d’une jeunesse qui n’apparaîtra qu’à la génération suivante. Certains critiques d’alors ont voulu voir dans les relations du frère et de la sœur, héros de ce roman, l’ombre de l’inceste. C’est que la pureté naïve d’un monde qui garde un pied dans l’enfance n’apparaît pas aux esprits mesquins qui projettent leurs propres fantasmes sur les oeuvres qu’ils parcourent.
La Voix humaine, sans doute la pièce la plus jouée de Cocteau – d’abord parce que peu coûteuse à monter : un acte, un personnage – est aussi l’une des plus traduites, avec un bonheur il est vrai assez inégal. Elle ne comporte qu’un seul acte. Cocteau raconte comment, lors de son inscription à la Comédie française, où les auteurs sont rétribués en fonction du nombre d’actes, la secrétaire de service lui lança un : «Vous ferez mieux la prochaine fois !» compatissant. Monologue parlé au téléphone, La Voix humaine a bénéficié d’interprètes de renom : Berthe Bovy à la Comédie française, Anna Magnani en italien au cinéma, Ingrid Bergman en anglais à la télévision et en enregistrement, Jo Ann Sayers en français sur une scène new-yorkaise, Lillebil Ibsen en norvégien à Oslo, Liv Ulmann en anglais à New-York, etc… Et il faut souligner le travail exemplaire de Poulenc pour la version lyrique.
Les années 1930, pour Cocteau, débutent avec Le Sang d’un poète, son premier film, réalisé en 1930 mais projeté pour la première fois en 1932. La carrière de Cocteau devait ensuite connaître une décennie creuse sur le plan cinématographique. Les années 1930 sont surtout remarquables par une série de pièces qui ont contribué à élargir le public du poète, sans grandir pour autant sa réputation artistique. Une réputation que viendront relever plus tard quelques films marquants, dont certains tirés justement de ces pièces.
Si Le Sang d’un poète est considéré aujourd’hui comme un film surréaliste type, il n’en a pas toujours été ainsi. Les surréalistes eux-mêmes ne lui ont d’ailleurs jamais concédé ce titre. Il valut au contraire à Cocteau de véhémentes attaques de la part de Breton et de ses fidèles condisciples, qui voulurent ne voir dans ce film qu’une pâle imitation des valeurs surréalistes réelles, déployées par exemple dans Le Chien andalou de Buñuel. Mais le public a adopté le film de Cocteau avec autant de force que son concurrent de Buñuel, et il est bien rare, aujourd’hui encore, que ce désormais classique du cinéma n’apparaisse pas ici ou là sur les écrans d’une salle d’art et d’essai ou dans le cadre d’une rétrospective.
En 1934, La Machine infernale, l’une des versions théâtrales de Cocteau les plus développées de la légende d’Oedipe, fut créée par Louis Jouvet, avec une brillante distribution qui comprenait Jean-Pierre Aumont, Louis Jouvet lui-même, Cocteau dans le rôle du narrateur, et des costumes de Christian Bérard.
Les Chevaliers de la Table ronde, en 1937, met l’histoire de Galaad à la sauce coctélienne, et marque les débuts sur les planches d’un jeune acteur d’une noble beauté, Jean Marais. «Vous savez, lui dit Cocteau, que si vous jouez ma pièce, on vous dira mon ami ?
– Mais j’en serai flatté !» rétorque celui qui va devenir le protégé du poète. C’est le début d’une longue amitié que rien, pas même la mort de Cocteau en 1963, ne saura ternir durablement.
Cocteau écrit ensuite une pièce destinée à toucher le plus large public : Les Parents terribles. Elle restera de fait comme son plus grand succès de théâtre, même si certains critiques y virent une pièce de boulevard ratée. C’est que Cocteau, à chacune de ses oeuvres, cherche à déplaire à la mode, à ne pas céder à l’actuel. S’il épouse, avec Les Parents terribles, la forme et le ton d’une pièce de boulevard, c’est qu’il pousse l’anticonformisme jusqu’au bout. Jamais un auteur de son niveau ne s’y est alors risqué. Croire que Cocteau recherchait la mode relève donc d’une grossière erreur : il la fuyait. C’est la mode qui, tenace, le poursuivait. Les chemins qu’il se fraye au travers de forêts encore vierges seront toujours empruntés par des nuées de gens, ceux-là mêmes parfois qui l’ont critiqué auparavant. Mais quand la foule arrive, lui donnant raison a posteriori, Cocteau est déjà loin, ailleurs, longeant d’autres rives dans la solitude effroyable des poètes. On ne répétera jamais assez sa phrase : «Il n’y a pas de précurseurs ; il n’y a que des retardataires».
Deux autres succès suivront, de moindre envergure : Les Monstres sacrés (le titre deviendra une expression populaire) et La Machine à écrire.
D’une ampleur et d’une portée nettement supérieures à ces mécanismes dramatiques, sortent à la même époque deux volumes de journalisme coctélien : Portraits-souvenirs, une série de textes autobiographiques pleins de verve, et Mon Premier voyage : Tour du monde en 80 jours, récit à épisodes, sur un ton de reportage, d’un tour du monde inspiré par Jules Verne, que Cocteau effectua en compagnie de son ami Marcel Khill, document d’abord publié dans le journal Paris-soir.
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La figure du poète mythologique Orphée est-elle un idéal masculin pour Jean Cocteau ?
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Jean Cocteau a effectivement utilisé le profil d’Orphée de manière récurrente dans ses œuvres artistiques, notamment dans ses dessins. Orphée, dans la mythologie grecque, était un poète et musicien extraordinaire. Dans la vision de Cocteau, Orphée était un personnage complexe, symbolique de plusieurs idées. Il représentait pour Cocteau le poète, l’artiste, le créateur. Cocteau était lui-même un artiste multifacette, travaillant dans des domaines tels que la poésie, le théâtre, le cinéma, la peinture et la littérature. Ainsi, Orphée incarnait cette dimension créative, cette recherche artistique et poétique constante. En partie donc un autoportrait. De plus, Orphée était également associé à la figure du héros tragique. Dans la mythologie grecque, Orphée perd sa bien-aimée, Eurydice, et tente de la ramener des Enfers en utilisant son talent musical. Cette tragédie a été réinterprétée par Cocteau dans son film « Orphée » (1950), où le personnage principal, incarné par Jean Marais, doit faire face à des défis similaires. Ainsi, Orphée symbolise aussi la quête, le désir, et les épreuves auxquelles l’artiste peut être confronté dans son parcours créatif. En résumé, pour Cocteau, Orphée était à la fois un symbole de la créativité artistique, du pouvoir de la poésie, et du tragique inhérent à la condition humaine et artistique.
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Pendant la Seconde Guerre mondiale, comment peut-on expliquer toutes les polémiques autour de Cocteau ?
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La Seconde Guerre mondiale marque un tournant fondamental dans la carrière de Jean Cocteau. Les années d’occupation, il les passe à travailler. Or, mieux vaut résister à New-York que travailler à Paris sous l’occupation allemande. Le courage est vagabond. Jean Cocteau est poète et refuse de se mêler de politique. En revanche, il se mêle d’art et signe Le Salut à Breker. Breker est un ami allemand de longue date, et Cocteau ne tourne jamais le dos à un ami, fût-ce en temps de guerre, et fût-il le sculpteur officiel de Hitler. La patrie des artistes n’a rien à voir avec nos patries. Antigone lance : «Qui sait si nos frontières ont un sens chez les morts ?» Cocteau souligne : «Le temps où je dois plaire aux morts est plus considérable que celui où je dois plaire aux vivants».
Le Salut à Breker exprime l’admiration d’un artiste à un autre artiste, en dehors des contingences pratiques plutôt pressantes. C’est le courage d’être soi-même jusqu’au bout, d’avancer dans sa vérité contre l’évidence du réel. Il ne s’agit en aucun cas d’approbation de la politique menée par Hitler. Il n’est pour preuve qu’à lire le Journal intime de Cocteau pendant la guerre.
Tout au long de cette période difficile, Cocteau utilisera au maximum cette amitié avec Breker pour faire libérer tous ceux de ses amis qui ont été déportés. Une amitié qui ne l’empêchera pas d’être persécuté par le gouvernement de Vichy qui juge «immorale» sa pièce Les Parents terribles qui se joue à Paris. Jean Cocteau s’oppose alors expressément à ces jugements hâtifs. Il sera molesté en pleine rue, avec Jean Marais, son fidèle ami et acteur dans la plupart de ses pièces, par les partisans de Vichy.
Après la guerre, c’est un dessin de Cocteau, Marianne coiffée de son bonnet phrygien et assortie de la rosette tricolore de la Résistance, qui ornera le timbre de vingt centimes de la République française.
Il est nécessaire d’insister ici sur l’influence considérable de Jean Marais sur Jean Cocteau, notamment pendant ces années de guerre. Il n’est qu’à parcourir le Journal de Cocteau pour lire et deviner partout, sur et entre les lignes, discrète, noble, intense, la présence de Jean Marais. Si l’acteur se débrouille pour trouver de l’opium quand Cocteau est en manque, c’est lui néanmoins qui poussera le poète à se désintoxiquer. Il le soutiendra à la mort de sa mère en 1943 et l’encouragera, incomparable acteur de cinéma, à se lancer à nouveau, après Le Sang d’un poète, dans la grande aventure cinématographique.
D’ailleurs, l’essentiel de la production de Cocteau, entre la guerre et l’année de sa mort[2] réside dans ses films. Un fossé de plus d’une décennie le sépare Le Sang d’un poète quand il signe les dialogues d’un film au demeurant mineur de Serge de Poligny, Le Baron fantôme, avec l’époustouflante Gabrielle Dorziat – qui apparaît à la scène dans Les Parents terribles à la même époque – et Jean Cocteau lui-même dans le rôle du baron fantôme. Quelques semaines plus tard, c’est la sortie de L’Eternel retour, une version rajeunie de la légende de Tristan et Iseult. Jean Marais y est Tristan, Madeleine Sologne Iseult, et l’on retrouve aussi Yvonne de Bray qui joue dans Les Parents terribles. Succès populaire immense, L’Eternel retour transforme Jean Marais en star, en demi-dieu que le public confond avec son personnage. Si l’on retrouve un public coctélien dans L’Eternel retour, le film de Delannoy n’en comporte pas moins quelques maladresses et des erreurs que le poète relève à l’époque dans son Journal.
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Dans la période qui suit la Seconde Guerre mondiale, il connaît un succès grandissant au cinéma. Sa notoriété gagne les pays étrangers : Est-ce le moment où Jean Cocteau touche un plus large public ?
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Oui. Il s’en satisfait un peu, mais il croit toujours qu’on l’apprécie pour de mauvaises raisons. Cependant, il reconnaît que dans son public nombreux, il faudra attendre Le Belle et la bête pour que Cocteau ait enfin les moyens de faire un film seul. Qui ne garde en mémoire l’image de ce monstre interprété par Jean Marais et celle de la «Belle», Josette Day ? Le Journal que Cocteau tenait durant le tournage, chronique des vicissitudes de la troupe, des crises, des problèmes liés au manque de matériel en pleine période de la Libération, des solutions improvisées et de l’esprit de camaraderie, est aussi passionnant que le film.
Vint ensuite L’Aigle à deux têtes avec Jean Marais, Edwige Feuillère, Georges Aminel[3] et un nouveau venu, Edouard Dermit, qui partagera désormais l’existence de Cocteau jusqu’à la fin et sera son légataire universel. Dans le film Ruy Blas, où Jean Cocteau signe les dialogues d’après l’oeuvre de Victor Hugo, on retrouve Jean Marais cascadeur : un acteur à son apogée, une idole dotée de nombreux fan clubs, jusqu’à Tokyo où il est considéré comme «l’homme le plus beau d’Occident».
Les Parents terribles et Les Enfants terribles sont plus de fidèles versions cinématographiques des pièces concernées que des œuvres réelles. Orphée, en revanche, peut être considéré comme le plus subtil et le plus «envahissant» – au sens où le cinéma est un art de l’invasion et non de l’évasion – des films de Cocteau. La formidable présence de Maria Casarès dans le rôle de la mort donne un pouvoir nouveau à la pièce d’origine. Le contraste entre les deux peut être cité comme l’illustration suprême des possibilités respectives des techniques théâtrale et cinématographique.
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A la fin de sa vie, Cocteau se partage entre Milly-la-Forêt et, surtout l’été, la Villa Santo Sospir à Villefranche-sur-Mer, chez son ami Francine Weisweiller.
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Oui, il est écrasé de demandes de toutes sortes : interviews, préfaces, illustrations pour des couvertures ou des affiches. Il ne dort presque pas parce qu’il veut garder du temps pour son œuvre personnelle. Mais le temps passe. Cocteau a soixante ans quand il réalise Orphée. Pour beaucoup d’artistes, ce serait l’apogée d’une carrière. Mais Cocteau a toujours mené plusieurs carrières de front, chacune d’elle constituant une branche dans l’arbre de la poésie.
Parmi les œuvres des dernières années, on relève un ballet, Le Jeune homme et la mort, que devaient reprendre plus tard des danseurs comme Baryshnikov ou Noureev ; un ouvrage autobiographique, La Difficulté d’être, où Cocteau apparaît à visage découvert, moins léger et plus seul que ses oeuvres précédentes n’auraient laissé croire aux inattentifs ; enfin, un recueil de poésie pure où il touche le summum de la art, Le Requiem.
François Truffaut, avec l’argent des prix obtenus pour son film Les Quatre cents coups, finança le dernier film de Cocteau, Le Testament d’Orphée, qui bénéficie encore d’un large public d’admirateurs, comme les nombreuses fresques dont Cocteau décora ici et là des murs, les tapisseries, les céramiques, les objets de verre vénitien, etc…
Pendant la dernière décennie, Cocteau, après les «raclées d’injures», reçoit des «raclées d’honneurs». Il est élu coup sur coup à l’Académie française, à l’Académie royale de Belgique, reçu Docteur honoris causa à Oxford. Comme disait le poète, paraphrasant Erik Satie, «l’important n’est pas de refuser la Légion d’honneur, encore faut-il ne pas l’avoir méritée».
Jean Cocteau vécut jusqu’à l’âge de soixante-treize ans, soutenu toujours par Jean Marais et son fils adoptif Edouard Dermit. A sa mort, et depuis lors, c’est un étrange ballet de publicité et de silence. Si ses œuvres sont désormais éditées dans la Pléiade, si la télévision rediffuse souvent les plus populaires de ses films, si ses dessins épurés et étonnamment actuels séduisent un public toujours plus large, c’est souvent, malgré une nette évolution, l’étranger qui le loue plus encore que la France, Japon en tête, mais aussi Allemagne ou Brésil. «Donnez toute votre fortune à la France. C’est une danseuse ; elle se dépêche d’en profiter avec d’autres».
L’œuvre de Jean Cocteau est de la souffrance transcendée. Elle projette essentiellement une dimension de bonheur, non par volonté d’exclure la souffrance mais parce qu’elle ne comporte au contraire nul rejet, nul ressentiment, nul remords, nul regret. «Les gens n’aiment pas le bonheur, écrivait Cocteau. Ils ne respectent que le malheur». Voilà qui laisse pensif sur ceux qui admirent ou détestent le poète. Le bonheur, il est vrai, a rarement les faveurs des esprits faibles pour qui il fait souvent figure de crime de légèreté. Pourtant, quoi de plus nobles qu’un bonheur aussi terrible que le malheur ?
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[1]Villefranche-sur-mer, dans les Alpes-Maritimes.
[2]1963.
[3]Il sera plus tard le premier noir à entrer à la Comédie française.