Plus d’un demi-siècle après les accords d’Evian qui doivent mettre fin au conflit, la guerre d’Algérie reste encore de nos jours sujet de débats controversés. 60 ans après les faits, chaque terme, chaque geste des côtés de la Méditerranée sont observés et parfois contestés.
La France et l’Algérie sont depuis 1962 deux pays qui, certes restent en lien profond mais qui partagent des mémoires qui divergent. Pour l’une, la guerre fut la fin sanglante de l’empire colonial, pour l’autre, elle fut une révolution et une libération.
Sous la direction de Tramor Quemeneur, Ouanassa Siari Tengour et Sylvie Thénault, des spécialistes français et algériens d’horizons différents ont su publier ensemble le Dictionnaire de la Guerre d’Algérie.
Une façon d’apporter de la paix aux mémoires et de faire progresser la recherche historique.
Entretien avec Tramor Quemeneur, Docteur en histoire et spécialiste du conflit franco-algérien.
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Plus de 60 ans après les faits, est-ce toujours difficile de traiter de la guerre d’Algérie en France et ailleurs ?
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Il y a toujours des tensions à propos des mémoires. La guerre d’Algérie reste en effet de nos jours un sujet explosif. La critique fait partie du jeu scientifique et du débat public.
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Le dictionnaire regroupe des chercheurs différents voire opposés. Est-il un ouvrage statu quo ?
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Nous voulions aborder ce dictionnaire avec une forme de sobriété dans les propos. Le choix a été de donner la parole avec des spécialistes d’horizon différent. Nous pensons que cela été nécessaire afin d’obtenir une forme d’objectivité.
Pour chaque auteur pressenti, nous avons proposé les sujets.
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La guerre d’Algérie a-t-elle été totale par ces conflits internes (FLN-ALN, OAS, objecteurs de conscience,…) – même encore de nos jours ?
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Le terme de guerre totale est apparu pour qualifier la Première Guerre mondiale. Avec d’autres, j’emploie cette expression également pour la guerre d’Algérie dans la mesure où tous les milieux ont été touchés. Il s’agit d’un conflit à la fois national, régional et international et un affrontement qui concerne l’armée et les populations civiles.
Dans une certaine mesure, les conflits perdurent d’un point de vue mémoriel au sein de certaines catégories d’acteurs.
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Que pensez-vous des dates de commémorations – 19 mars 1962 et 5-décembre ?
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Le sujet est de moins en moins polémique. La date du 19 mars 1962 est de plus en plus acceptée. Le 5-décembre est une date qui n’a pas de réalité concrète avec la guerre d’Algérie et qui ne correspond qu’à l’inauguration du mémorial national de la guerre d’Algérie en 2002.
Cependant la date du 19 mars 1962 n’est pas encore acceptée par certains car malgré le cessez-le-feu, des personnes ont été tuées plus tard.
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Que penser de la possible suppression du nom de l’Avenue Bugeaud à Paris et du changement de la rue du 19 mars 1962 en rue Hélie de Saint Marc à Béziers ?
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Les noms de lieux et les stèles sont de grands enjeux de mémoire. La suppression ou le changement doivent se faire avec discernement. Il est normal qu’il y ait des débats mais le danger est de glisser dans l’enjeu politique. Les mémoires de la guerre d’Algérie doivent être apaisées et non ravivées.
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Plus que l’envoi du contingent, les rappelés sont-ils les témoins et les victimes d’un échec politique ?
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Les premiers rappels interviennent dès le Printemps 1955 et concernent les Français d’Algérie. La vague la plus importante intervient à la rentrée 1955. La société française va alors manifester une opposition face à l’envoi du contingent en Afrique du Nord (pas seulement en Algérie). Ces contestations prouvent que la population est peu attachée aux départements qui sont de l’autre côté de la Méditerranée. Le sujet ne semble pas les concerner. Cependant, sur le plan politique, la perte de l’Algérie est inenvisageable.
Les militaires appliquent seulement les ordres puis au fur et à mesure du conflit ils s’emparent des décisions politiques. Par tous les moyens, la France doit gagner la guerre.
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En quoi les animaux ont été à la fois victimes et compagnons d’armes lors du conflit ?
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Historiographiquement, j’ai toujours été intéressé par la Première Guerre mondiale. Etant un conflit total, la question de la participation des animaux a été étudiée. A propos de la guerre d’Algérie, c’est un sujet qui n’a pas été réellement abordé. Nous ne sommes qu’au début des recherches.
Par mon article, j’ai voulu lancer quelques pistes de travail. Lors de mes recherches sur les appelés, j’avais noté que les troupes avaient des animaux mascottes. Il y avait bien entendu des chiens mais également des chats, des scorpions ou des caméléons. J’ai pu également retrouver des photos où les appelés chassent afin d’améliorer l’ordinaire.
Les dromadaires sont autant utilisés par les troupes françaises que par les combattants algériens. Cependant, ces derniers craignent les chiens qui gardent les villages et les postes français, n’hésitant pas à tuer ces animaux-armes de guerre.
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Soustelle, Lacoste, Mitterrand,… Pourquoi une partie de la gauche a-t-elle défendu l’Algérie française ?
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Cette question touche non seulement la guerre d’Algérie mais également toute l’histoire de la colonisation. Dès la fin du XIXème siècle, il y a une envie républicaine dans les rangs de la gauche d’apporter la « civilisation » et l’éducation dans des territoires lointains. Cet aspect n’a finalement jamais été réalisé. L’éducation a été un terrible échec dans les colonies. Plus de 90% de la population algérienne était analphabète en 1954.
Néanmoins, des hommes politiques de gauche continuent de soutenir la question de l’Algérie française. Ils considèrent que ce serait une régression civilisationnelle d’accorder l’indépendance.
Vous mentionnez Jacques Soustelle, gouverneur général en Algérie. C’était une personnalité de gauche qui a rejoint les rangs de l’OAS. Le général Salan, chef de l’organisation, était réputé d’être de sensibilité socialiste. L’OAS n’est pas uniquement remplie de personnalités d’extrême droite. Certains anciens résistants vont faire le choix de ne rien abandonner.
Au même titre que l’Eglise et les partis de droite, la gauche va se fissurer au cours de la guerre d’Algérie. C’est le temps de la scission de la SFIO et la naissance du Parti Socialiste Unifié (PSU).
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L’opinion des pieds noirs s’est-elle radicalisée après la guerre ?
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Avant le conflit, les pieds noirs représentent une population hétérogène. Il y a des riches comme des pauvres, des conservateurs comme des progressistes. Une pied-noir m’avait raconté qu’à l’âge de 18 ans elle chantait du Léo Ferré tout en étant favorable à l’OAS, ce qui montre toute la complexité des parcours qui pouvait exister.
L’exil a été considéré comme une tragédie pour la population pied noir. Certains ont nourri le souhait de prendre une revanche.
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Saïd Mahammedi dit colonel Si Nasser, ancien volontaire dans la Wehrmacht, est-il le reflet des excès du FLN ?
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Il s’agit d’une personnalité particulière qui arbore son casque allemand sur la tête et préconise l’islamisation des campagnes. Au sein du FLN, il existe également une grande variété des parcours. On peut retrouver également des anciens résistants et des soldats de l’armée française de libération. La répression du 8 mai 1945 à Sétif a provoqué de grands émois. Pour beaucoup, l’Algérie ne pouvait alors se libérer que par les armes.
Le Front de Libération Nationale est un regroupement de personnalités variées. Il y a des nationalistes mais également des marxistes. Encore de nos jours, les partis algériens montrent cette multitude.
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Quelle est la place des islamistes durant la guerre d’Algérie ?
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L’Islam est certes présent mais les Oulémas (les docteurs de la foi) ne rejoignent les rangs de la guerre de libération qu’en avril 1956. Dès les années 30, ces croyants portaient un discours national mais pas indépendantiste. Les autorités françaises leur donnaient une place pour l’enseignement coranique.
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Les motivations harkies sont-elles multiples ?
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Contrairement à une vulgate qui qualifie les harkis comme des traitres, il y a là aussi des parcours et des motivations très multiples. Beaucoup se sont engagés dans les rangs de l’armée française pour des raisons économiques. Il y a également des raisons familiales et claniques.
Suite à des massacres ou des vendettas, d’autres vont prendre la décision de rejoindre l’armée française. De plus, il n’y a pas seulement des combattants chez les harkis, mais aussi des personnes qui servent comme interprètes ou cuisiniers.
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Comment est perçu le général De Gaulle par la population algérienne ?
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Il est plutôt bien perçu car il est l’initiateur des Accords d’Evian. De plus, en octobre 1958, De Gaulle propose la paix des braves ce qui veut dire qu’il respecte les combattants du FLN et de l’ALN.
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Les soldats français tués sous commandement algérien (suite aux Accords d’Evian) sont-ils les plus grands oubliés ?
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La violence a régné entre les Accords d’Evian et l’installation de l’indépendance de l’Algérie. Benjamin Stora parle d’une déchirure pour qualifier la fin entre la France et l’Algérie. Les liens existaient depuis au moins 1830 et peuvent remonter jusqu’à François Ier et Soliman le Magnifique.
Les partisans de l’OAS ont profité de cette période pour fomenter des attentats afin d’embraser à nouveau la région. Du côté algérien, les règlements de compte vont se multiplier. Quelques jours après les Accords d’Evian, des appelés sont assassinés par des civils français à Bab El Oued.
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La guerre d’Algérie finira-t-elle un jour ?
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Nous pouvons espérer que les dissensions mémorielles s’apaisent avec le temps. Mon vœu le plus cher est que la France et l’Algérie redeviennent les meilleurs amis du monde. La publication du dictionnaire a le souhait d’unir les peuples. Cependant, le livre n’est pas distribué en Algérie. Il n’est lu que sous format PDF. Malgré les différences, le savoir doit circuler sur les deux rives de la Méditerranée.
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