Journaliste de métier, Pierre Assouline s’est également imposé depuis les années 80 dans le paysage littéraire francophone. Hergé, Albert Londres, Georges Simenon, Gaston Gallimard,… Toutes ces personnalités, avec leurs ombres et lumières, ont été racontées dans de remarquables ouvrages d’enquête.
Pierre Assouline continue l’exercice avec son nouveau livre : « Le Nageur« . Il y retrace l’incroyable parcours du sportif Alfred Nakache. Exceptionnel athlète juif originaire de Constantine mais également rescapé des camps de la mort, « Artem » (le poisson) a su prouve qu’endurance et témérité peuvent faire des prouesses. Plus qu’une biographie, « Le Nageur » est une œuvre personnelle de Pierre Assouline – tant l’auteur a su s’identifier dans la personnalité du sportif.
Entretien avec Pierre Assouline – écrivain de passions.
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Vous êtes journaliste depuis 40 ans. Vous avez notamment débuté avec France Soir. Est-ce le métier de journaliste qui vous a donné l’envie d’être écrivain ?
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J’ai commencé au sein de la rédaction du Quotidien de Paris – journal crée par Philippe Tesson sur les ruines de Combats. Mon ambition première était d’être journaliste. Je ne me voyais pas être écrivain. Cependant, je me suis rendu compte que les journaux ne permettaient plus aux journalistes de mener à bien leurs enquêtes. Il manquait les trois éléments essentiels : Le temps, la place et l’argent. En revanche, les maisons d’éditions pouvaient offrir ces conditions. Très jeune, j’ai alors pris la décision d’écrire des livres afin de réaliser de véritables enquêtes.
Je n’ai accepté que mon éditeur puisse ajouter le terme d’écrivain sur la quatrième de couverture qu’à la parution de mon 15ème livre – Il s’agissait de mon premier roman.
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En tant que jeune journaliste, pensiez-vous qu’Albert Londres était déjà un modèle ?
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Je connaissais surtout le nom et le prix Albert Londres. Un jour, à 20 ans, je fouillais dans des bacs de bouquiniste. J’ai trouvé quelques livres pour une somme dérisoire. A l’époque, il était quasiment impossible de trouver les œuvres d’Albert Londres dans les librairies. Je me suis pris de passion pour le style et pour l’esprit.
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Vous vous nommez « écrivain de la rencontre ». Vous aimez lorsque vous êtes le témoin du choc entre l’ancien et le récent. Par conséquent, votre désir d’écriture ne peut être que dans l’action et jamais dans la commande ?
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Il ne s’agit pas d’action. J’aime écrire un livre quand cela vient de moi. Je n’ai écrit qu’un seul ouvrage de commande, « Lourdes – Histoires d’eau » (1980). L’éditeur Alain Moreau était un ami et je n’ai pu refuser son offre. Il se comportait comme un véritable rédacteur en chef. Moreau voulait sortir un livre sur les dessous de la vie de Lourdes. Il avait demandé à des journalistes d’écrire mais chacun d’entre eux abandonnait la rédaction. Alain m’a alors demandé d’écrire ce « livre maudit ». Je l’ai pris comme un défi. Ce fut une véritable enquête mais la seule commande que j’ai acceptée.
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Vous écrivez sur des villes comme Lutétia ou Sigmaringen. Est-ce qu’il s’agit de lieux hantés ?
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Oui car ils sont chargés d’histoires. Un autre lieu est encore plus riche : Il s’agit du Musée Nissim-de-Camondo à Paris. Selon la volonté du propriétaire, le lieu est immobile depuis les années 30. A tout point de vue, Sigmaringen est trop lointain pour moi…
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La Seconde Guerre mondiale est une période grise selon vos propos. Pendant longtemps, elle fut pourtant jugée comme blanche et noire. Est-ce un temps qui n’a pas réussi à cicatriser car difficile à cerner ?
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Au même titre que la Révolution française. Cependant, la Seconde Guerre mondiale fait toujours partie de ce que nous appelons l’histoire immédiate. Il existe toujours des témoins. Hier soir fait déjà partie de l’histoire.
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Vous avez été l’ami de l’écrivain Antoine Blondin. Même si vous le considérez, vous ne le jugez pas comme un grand auteur. Sans l’ivresse, la fête et le folklore, son style aurait-il été moins classique ?
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Il faut séparer les livres du bruit qu’ils font tout comme il faut les séparer de leurs auteurs. Sans ses problèmes d’alcoolisme, je crois qu’Antoine Blondin aurait pu écrire les mêmes livres. Il ne réalisait que lorsqu’il était sobre. Blondin était enfermé dans une chambre d’hôtel avec une machine à écrire. Ce n’est pas son folklore qui a fait son génie.
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Lorsqu’on pense à Henri Cartier Bresson, à Hergé ou encore à Georges Simenon, on veut parler de génies. Cependant, était-ce avant tout d’incroyables travailleurs ?
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Le génie n’est pas suffisant. Le travail est primordial. Cependant, certaines personnes ont plus de facilité. Paul Morand était un brillant écrivain qui n’avait aucune difficulté à produire des ouvrages. Henri Cartier Bresson aimait photographier et dessiner. Pourtant, il avait la grâce pour le premier mais pas pour le second.
Au même titre que Simenon et Picasso, il ne faut jamais compter les heures de travail. Une œuvre est accomplie si on ne pense pas au travail et à l’effort.
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Lorsqu’on commence à travailler sur un personnage historique, nous avons souvent des aprioris. Vous est-il déjà arrivé de changer d’opinion sur quelqu’un après l’écriture d’un livre ?
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Au début de l’écriture, je ne sais quasiment rien sur le personnage central. Je n’ai encore moins de point de vue. Ce n’est pas qu’après des années de travail, vous avez une vision.
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En plus d’être biographie, vous êtes romancier. Même pour un ouvrage de fiction, la réalité reste toujours omniprésente ?
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Je l’ai toujours fait. De nos jours, cet aspect est plus affirmé. Je suis passionné par la littérature et l’Histoire. Par conséquent je mets en scène l’Histoire au moyen de la littérature.
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En tant que nageur vous-même et enfant de parents originaires d’Algérie, lorsque vous avez écrit « Le Nageur » (2023) sur la vie d’Alfred Nakache, y’avait-il une part de vous ?
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Totalement. Nos origines et notre parcours sont très proches. Plus j’avançais dans mes recherches, plus je me rendais compte que nous avions connu à peu près les mêmes choses. Je vois en Alfred Nakache un cousin voire un frère.
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Ecrire c’est se trouver ?
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Lorsqu’un écrivain écrit, il parle finalement de lui. Mais chaque projet littéraire impose une écriture, un point de vue et une méthode différente.
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Le monde actuel avance à vive allure. Nous connaissons des crises économiques, sociales et sanitaires mais la guerre est également à nos portes. Ce trop-plein d’informations vous inspirent-ils ?
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Je m’imprègne d’un tas de choses. Puis un jour, il y a une étincelle. Sans réfléchir, je me jette alors dans un projet littéraire car il s’impose. Nous vivons en permanence dans le doute – c’est épuisant. Lorsque ce dernier disparait, vous en profitez.
Je viens de commencer l’écriture d’un roman. L’idée me tournait autour depuis 50 ans. Ce n’est que maintenant qu’elle s’est imposée. Chaque livre que l’on écrit ne doit pas être réalisé qu’à un certain moment de votre vie.
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