Avec les nombreuses œuvres cinématographiques, la gladiature continue de nous fasciner. L’arène est même devenue l’un des plus grands symboles du monde romain. Armé d’une épée, d’un filet ou d’un trident, le gladiateur est à la fois un guerrier puissant et en même temps une potentielle victime de l’engouement de la foule pour le sang. L’univers de la gladiature est complexe et divers selon les époques. Liée au rite funéraire, elle devient progressivement un spectacle à part entière qui lie le citoyen romain le plus pauvre aux plus grandes élites.
Entretien avec Eric Teyssier, Professeur des universités en histoire romaine à l’Université de Nîmes et auteur du livre « La Mort en face – le dossier gladiateurs« .
.
.
.
.
En quoi la gladiature est-elle liée au repos des défunts ?
.
.
.
.
Cela remonte à un temps antérieur au monde romain. L’Iliade d’Homère (VIIIème siècle avant Jésus Christ) est la première trace écrite qui parle de la gladiature. Des combats volontaires sont organisés en l’honneur de la mort de Patrocle, le compagnon d’Achille. L’hellénisation va diffuser la pratique en Italie du Sud puis aux Etrusques. Cette gladiature primaire est funéraire.
Les Romains vont la transformer avec l’armatura (les types de gladiateurs). Les panoplies utilisées seront celles des Samnites, des Gaulois puis Thraces. Les Romains mettent en scène les combats qu’ils ont remportés. Je la nomme gladiature ethnique car attachée à une origine. Cette pratique sera au fil du temps remplacée par une plus technique. La gladiature est alors attachée à des attitudes de combat telles que le secutor et le provocator.
.
.
.
.
Faire combattre les prisonniers qu’ils soient Samnites, Gaulois ou Thraces juste pour le plaisir – est-ce une façon de montrer la puissance de Rome ?
.
.
.
.
Notre vision contemporaine de la gladiature se limite à celle d’Hollywood et des premiers péplums italiens. Les Romains ne seraient qu’une bande de sadiques. La gladiature est un véritable cérémonial à la fois religieux reposant sur la domination des peuples défaits. Il n’y a pas de mise en scène avec un soldat romain. Seuls les combattants étrangers s’affrontent sous le regard de Rome. Il s’agit d’un monde inversé : Pour les Romains, la cité est encerclée par la barbarie. La gladiature permet de mettre la barbarie au centre.
Il y a également un aspect de cérémonial patriotique : La gladiature glorifie les victoires militaires. Lors de la Pax Romana, elle est aussi un centre des nouvelles techniques de combat. Les légionnaires s’entrainent au combat individuel dans l’arène dès l’an 5 avant Jésus Christ.
.
.
.
.
En quoi le soulèvement des esclaves organisé par Spartacus a-t-il bouleversé le fonctionnement même de la gladiature (professionnalisation – gladiature technique) ? Peut-on être à la fois bon gladiateur et bon chef de guerre ?
.
.
.
.
Entre 73 et 71 avant Jésus Christ, l’esclave Spartacus mène une révolte. La République romaine est alors quasiment à l’apogée de ses conquêtes du monde méditerranéen. Victimes des invasions, des milliers d’esclaves sont envoyés en Italie. Chacun d’entre eux est affilié à des activités dont il était spécialiste avant sa capture. Les soldats prisonniers deviennent gladiateurs. Ils sont entraînés à des techniques de combat. Spartacus, le fugitif, se révèle chef de guerre car son origine est probablement aristocratique issue de la Thrace.
Le moment est délicat pour Rome car ses troupes ont été envoyées ailleurs. Pompée est notamment en Hispanie. Avec des milliers d’autres esclaves, Spartacus va ravager l’Italie pendant deux ans.
Suite à la fin du soulèvement, Rome s’interroge au sujet de la gladiature. La pratique est si populaire qu’elle ne peut être abandonnée. La gladiature est réformée et par conséquent professionnalisée. Des volontaires s’engagent en tant que gladiateurs avec un contrat. La gladiature professionnelle va perdurer jusqu’à la fin de l’Empire romain.
.
.
.
.
Au même titre que les sports contemporains, peut-on retrouver de l’humour dans les sources anciennes concernant la gladiature (épigramme, commentaires, graffiti, le psychopompe…) ?
.
.
.
.
L’image du gladiateur véhicule de nombreux commentaires notamment sexuels. Des femmes gladiatrices ont notamment existé. Un graffiti célèbre traite du soupir des pucelles face à un gladiateur. Une femme de sénateur aurait même quitté son époux et suivi à l’autre bout de la méditerranée un combattant borgne.
Le psychopompe est une figure qui apparaît sur les tombeaux des Etrusques. Il fait voyager les âmes vers l’au-delà. Dans l’arène, le psychopompe aurait pour fonction d’achever les gladiateurs au sol. Lors des reconstitutions aux arènes de Nîmes, nous l’avons mis en scène sous la forme d’un démon. Le public, qui avait pourtant réclamé la mort du gladiateur, a sifflé le psychopompe. Je pense qu’il avait le rôle de bouc émissaire. Le psychopompe emporte la culpabilité du public réclamant du sang. Il a par conséquent un rôle cérémonial et non humoristique.
.
.
.
.
Les élites se devaient-elles de détester les jeux du cirque ? Comment des gladiateurs pouvaient être adorés (médaillons, jouets) et à la fois dénigrés ?
.
.
.
.
L’empereur-philosophe Marc Aurèle, travaillant, se dit gêner par le bruit du public mais ne peut éviter de se rendre au spectacle des arènes. Les citoyens romains tiennent pourtant à ce que leur leader soit présent.
Des intellectuels comme Cicéron et Sénèque ont eux aussi critiqué les gladiateurs, ces « derniers des esclaves ». Cependant, les philosophes louent leur courage face à la mort.
Les gladiateurs sont certes enterrés à part dans les cimetières mais sont adorés comme de véritables vedettes. Certains ont même eu droit à des surnoms (Ursus ou Eros) et des produits dérivés. Grace à eux, les citoyens romains se souviennent qu’ils sont les fils de Mars.
Les gladiateurs gagnent également de l’argent.
.
.
.
.
La venue d’animaux sauvages dans l’arène pour des chasses artificielles était-elle une prouesse ?
.
.
.
.
Il faut distinguer les chasses de la gladiature. La première étant réservée dans l’amphithéâtre le matin. Les chasseurs sont moins célébrés que les gladiateurs.
Concernant les animaux, il s’agissait surtout de la faune locale (ours, sangliers, loups, chevreuils). A Rome, les chasses exotiques ont certes symbolisé la puissance de l’Empire mais les voyages des animaux comme les lions et les éléphants ont été très difficiles et coûteux. Des combats entre un ours et un taureau ont notamment pu s’organiser.
.
.
.
.
Les batailles navales étaient-elles fréquentes dans l’arène ?
.
.
.
.
L’origine de ce type d’événements remonte sans doute à Auguste. La naumachie a aussi été popularisée lors les festivités liées à l’inauguration vient du Colisée où elles n’ont été données qu’une seule fois. Ces spectacles demeurent exceptionnels et essentiellement liés à la ville de Rome au Ier siècle après Jésus Christ.
Des batailles comme celle d’Actium ont pu être rejouées.
.
.
.
.
Le combat sur le pont impressionnait-il ?
.
.
.
.
Le pontari est le seul combat d’équipe connu dans le monde de la gladiature. Une estrade est montée avec de plans inclinés. Plusieurs rétiaires (gladiateurs avec trident) affrontent des secutores (Glaive court et bouclier). L’iconographie montre des combats organisés en Gaule romaine. Les affrontements sont à la fois impressionnants, techniques, coûteux.
.
.
.
.
A l’opposé de son père philosophe, Marc Aurèle, l’empereur Commode s’autoproclame gladiateur. Est-ce que ce fut une communication, dirigée vers les classes populaires, qui a échoué ?
.
.
.
.
Sa mère aurait rêvé d’un gladiateur et serait ainsi tombé enceinte. Au même titre que d’autres citoyens romains, Commode est gladiateur car il s’agit aussi d’un sport de combat. A partir de 105 avant Jésus Christ, il existe des entraîneurs de gladiateurs au sein des légions. Commode, né dans la pourpre, est très tôt initié au métier des armes. Il suit même son père sur le front de Germanie. Il devient gladiateur car il s’entraîne aux arts de la guerre.
Le nouvel empereur communique sur ses activités pour obtenir une popularité vis-à-vis de l’armée. Cette dernière sera d’ailleurs toujours fidèle à Commode.
Victime de complots organisés par sa propre mère puis sa sœur, l’empereur devient méfiant. Il s’enferme dans son palais à l’extérieur de Rome avec son harem de 300 hommes et 300 femmes. Commode organise alors des combats de gladiateurs. Alors qu’il porte de véritables armes, ses adversaires ont eux des épées mouchetées. Commode va s’autoproclamer « prince aux 1000 victoires » et combattre au sein même du Colisée. Le public va le voir apparaître déguisé en Hercule et le trouver ridicule. L’empereur est sifflé et finalement assassiné peu de temps après.
.
.
.
.
A partir de quelle période, la mort s’impose dans le monde de la gladiature (IIIème-IVème siècles) ?
.
.
.
.
Il s’agit de la gladiature finissante qui a été décrite par les auteurs chrétiens. Les textes ont pour but de dénoncer les jeux romains. Le public des arènes, avide de sang, se serait éloigné de Dieu.
La gladiature finissante est avant tout la conséquence d’un manque de moyens financiers. Le spectacle exigeait des combattants de qualité. Dès la fin du IIème siècle, les villes se rétractent et les élites s’installent dans les campagnes. La gladiature se marginalise alors avec l’utilisation d’esclaves et de prisonniers de guerre. A l’exception de l’Italie, il n’y a plus de combats organisés. La mosaïque de la Villa Borghèse (environ 320 après Jésus Christ) représente la mort dans l’arène. Un cas de suicide d’un prisonnier de guerre germain avant son entrée dans l’arène a même été attesté. Ce fait est antinomique du gladiateur qui a le souhait de mourir dans la lumière.
La gladiature va disparaître progressivement par le manque de combattants plutôt que par le fait du jugement des Chrétiens.
.
.
.
.
.
.
.
.
Les empereurs de l’Empire byzantin ou encore les rois barbares ont-ils tenté de reprendre la gladiature à leur profit ?
.
.
.
.
Les courses de chars à Byzance ont perduré de nombreux siècles mais pas les combats de gladiateurs. Les tournois sont un phénomène qui reprend une partie des fondements de la gladiature entre l’entrainement à la guerre et le combat spectacle.
Les amphithéâtres romains ont soit été détruits soit utilisés comme forteresses. Certaines chasses ont pu être organisées à Arles mais cela reste ponctuel et marginal. La gladiature dite technique meurt au IIIème siècle.
.
.
.
.