Artiste incontournable du monde de la bande dessinée, figure majeure du langage graphique la ligne claire, Serge Clerc est également un enfant de Métal Hurlant. En 1975, alors à peine âgé de 17 ans, il intègre la bande de fous furieux qui s’est réunie autour de Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet et Moebius. Le jeune artiste travaillera au même moment avec Rock & Folk, le grand magazine de musique de l’époque.
A partir de là, Serge Clerc va trouver ses marques et s’impose avec ses séries Rock, Captain Futur ou encore Phil Perfect.
L’artiste mérite encore de nos jours la plus grande attention : Serge Clerc produit un univers original et lumineux. La preuve qu’il est toujours scruté. Métal Hurlant a réalisé une longue interview de l’artiste dans son numéro 6. Nous attendons qu’une chose : Revoir les œuvres de Serge Clerc en librairie.
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Entretien.
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A 17 ans, vous envoyez vos dessins pour avis à la rédaction de Métal Hurlant. En réponse, vous êtes engagé et vous participez au numéro 4. L’équipe de jeunes avait-elle besoin d’un artiste encore plus jeune qu’eux ?
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Je ne connais pas les tenants et les aboutissants de la situation. J’ai été tellement surpris de recevoir cette proposition d’embauche. J’ai même cru à une erreur (rires). Passionné de bandes dessinées depuis l’enfance, je lisais les magazines Spirou et Pilote puis j’ai découvert Métal Hurlant. Jean-Pierre Dionnet, son fondateur, le voyait comme un fanzine. Par conséquent, c’était ouvert à beaucoup d’artistes.
Du jour au lendemain, je me suis mis à travailler aux côtés de « dieux vivants » comme Moebius ou Druillet. Cependant, je ne suis pas venu à Paris tout de suite car mes parents ne souhaitaient pas me laisser partir avant mes 18 ans. Mais finalement je n’ai pas passé mon bac – c’est le bac qui s’est passé de moi (rires).
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Avez-vous eu envie de vous détacher de Druillet, Moebius, Tardi ou Corben ?
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Au départ, j’ai été très influencé par le style de Moebius. J’ai pu ainsi avancer dans mon travail. Au fil des mois, mon style changeait et évoluait. J’ai mis 4 ans à trouver ma propre identité visuelle. J’ai débuté avec le stylo rotring à la manière de Tardi.
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Vous dessiniez également pour Rock & Folk. Était-ce deux lieux, deux ambiances ?
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J’avais la liberté de faire ce que je voulais. Par conséquent, il n’y avait aucun travail d’adaptation. J’envoyais ensuite mon travail. Rock & Folk et Métal Hurlant choisissaient de publier ou de ne pas publier. Je dessinais bien souvent n’importe quoi ….et cela plaisait.
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D’où vient votre surnom – le dessinateur espion ?
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Philippe Manœuvre m’a expliqué il y a peu de temps que j’avais reçu ce sobriquet car je fouillais partout pour puiser mon inspiration. Il était difficile d’obtenir de la documentation sur les groupes de rock. Par conséquent, je fouinais partout chez Rock & Folk.
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Vous dessiniez les Doors, les Rolling Stones, Doctor Feelgood et y ajoutiez votre propre fantaisie. Avec cet exercice, vouliez-vous rencontrer les rock stars ?
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J’ai eu une fois la chance de manger avec The Clash. Manœuvre m’avait invité car je réalisais une bande dessinée sur le groupe punk. Mon travail n’était pas d’être journaliste donc je n’avais pas besoin de rencontrer les musiciens. Même quand j’étais invité aux concerts, je passais mon temps au bar.
Ce qui me plaisait c’était de dessiner et d’illustrer le rock.
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Métal Hurlant était-ce un groupe rock ?
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Nous étions en effet des zozos. Par contre, j’ai vécu l’époque au premier degré. Je me contentais d’aimer les Doors, Blondie, les Stranglers ou les Clash. Mais je ne faisais pas partie des adeptes de groupes comme Orchestre rouge.
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Travailler avec Philippe Manœuvre – était-ce aisé de hiérarchiser beaucoup de ses idées ?
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Philippe me laissait beaucoup de liberté concernant le dessin. La seule fois où il m’a imposé un découpage spécifique, il s’agissait d’une scène de sexe. J’ai eu beaucoup de mal à la dessiner. Philippe me donnait quelques indications puis c’était à moi d’interpréter. En lisant mon travail, il riait de bon cœur car il redécouvrait son histoire.
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Comment avez-vous conçu le visage de Captain Futur ?
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J’ai fait ce que je pouvais (rires). Comme s’il venait tout droit de l’univers du romancier SF Philip K. Dick, le personnage devait être banal. Nous réalisions une histoire chaque mois mais Philippe ignorait totalement ce qui allait arriver à Captain Futur ensuite. Il n’y avait rien de préparer. Philippe pouvait être influencé par ce que j’avais dessiné. J’ai mis une fois l’inscription « Made in Czechoslovakia » sur un revolver futuristique. Cela a enrichi l’histoire de Captain Futur.
Nous étions aux antipodes de l’ambiance du magazine (A suivre) où tout était bien organisé. Nous ne faisions que ce que nous aimions.
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Comment est née votre collaboration avec Jean-Patrick Manchette pour « Melanie White » (1979) ?
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J’avais travaillé auparavant avec Manchette sur une série de couvertures de science-fiction. Mais Jean-Patrick avait critiqué mes pin-ups. Il avait l’impression qu’elles venaient de Béthune… Je dois reconnaître que mes figures n’étaient pas de grande qualité. Suite à cette remarque, je me suis lancé le défi de devenir le grand dessinateur de pin-ups si possible (rires).
Avec « Melanie White », je devais fournir un travail d’illustrateur. Les couleurs ont été réalisées à la gouache par Anne Delobel, la compagne de Tardi à l’époque.
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Avec « Le Journal » vous choisissez Jean-Pierre Dionnet comme personnage principal. Il s’agit d’un mélange de souvenirs et de fantaisie. Dès le départ, « Le Journal » devait-il être un délire ?
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Oui. Je voulais au départ être ambitieux dans ce délire. Les bulles d’émotions et de pensées devaient être des cases de BD mais l’exercice était difficile. Je souhaitais réaliser 400 pages mais les éditions Denoël ne m’ont autorisé qu’à faire 200.
J’espère pouvoir réaliser un jour une réédition ou même une extended cut.
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Vos pin-ups sont-elles du pur visuel ou y’a-t-il à chaque fois une personnalité à découvrir ?
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Mon dessin est très dépouillé. Mes pin-ups restent très abstraites. A l’époque de Captain Futur, je réalisais des dessins plus réalistes. Depuis, j’ai décidé de faire des pin-ups peu détaillées. Je suis un styliste qui cherche sans cesse et qui fait de temps en temps de la bande dessinée. Je ne suis pas un artisan mais un artiste.
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Que représente le décor (grand, carré, ordonné) dans vos œuvres ?
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J’essaye d’être le plus simple possible. Au même titre qu’une affiche, mon dessin doit se voir de très loin. Les lignes répondent à d’autres lignes.
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Quelle est l’inspiration de Phil Perfect ?
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Ma liberté. Je ne fais pas partie de ces dessinateurs qui doivent écrire une tonne d’informations pour justifier leur choix.
Phil Perfect va continuer ses aventures en tant que journaliste de haut niveau. Il restera sponsorisé par son copain Sam Bronx.
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Vous êtes entouré de l’univers de Spirou et de Tintin – Univers très éloignés du rock. De nos jours, la musique est moins importante pour vous ?
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Je pense avoir fait tout le tour du rock. Progressivement, à la moitié des années 80, je m’en suis éloigné pour dessiner les aventures de Phil Perfect et de Sam Bronx. Ecoutant moins de rock, je me suis déconnecté.
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Vous avez aimé intégrer Spirou dans la modernité ?
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Il fait partie de notre patrimoine de bandes dessinées. Un collectionneur souhaitait que je réalise une couverture avec Spirou. Je me suis pris au jeu. Il est très aisé d’utiliser un personnage qui a déjà une existence. Instinctivement, j’ai eu envie d’intégrer Spirou et Fantasio dans des univers différents.
Avec Yves Chaland, je m’amusais déjà à faire des relectures de classiques de la bande dessinée.
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De nos jours, la production de bandes dessinées bat son plein et pourtant vous lisez peu de nouveaux albums. C’était mieux avant ?
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Non. Même dans les années 80, il y avait déjà de mauvaises bandes dessinées. De nos jours, la multiplication des œuvres a tué la qualité. Nous sommes à présent dans un monde où la BD fait partie du décor. Est-ce bien ? Est-ce mal ? Je ne peux pas le dire.
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