Le Moyen-Âge a été injustement trop longtemps perçu comme une période de stagnation et de ténèbres. Au contraire, l’Antiquité et la Renaissance auraient été des temps extraordinaires sur le plan artistique. De nos jours, cette funeste croyance disparaît peu à peu. Héraldique, vitraux, gisants, icônes, églises, mosquées, synagogues, enluminures,… le Moyen-Âge est en réalité un sujet passionnant.
Installé au Japon, l’Atelier du hérisson d’or renouvelle avec talent l’art médiéval occidental et le diffuse même sur Instagram.
Entretien.
Pour quelle raison avez-vous un intérêt pour l’art médiéval d’Occident ?
Mon grand-père était peintre. Il travaillait sur la création de motifs décoratifs traditionnels japonais. Dès mon enfance, j’ai apprécié ses créations. Lorsque j’ai grandi, j’ai découvert l’art médiéval occidental et j’ai remarqué qu’il y avait beaucoup de points communs avec l’art traditionnel japonais.
Ces points communs étaient les suivants : une expression artistique qui ne cherchait pas le réalisme à tout prix. Des contours marqués. Pas (ou peu) d’ombres utilisées dans les dessins. Des expressions figuratives très simples, souvent déformées. L’utilisation de la feuille d’or.
Je ne souhaitais pas reproduire des paysages ou des natures mortes. Les enluminures occidentales racontent toutes une histoire avec des personnages. Et c’est ce qui m’a plu car j’aime l’histoire européenne et l’histoire du Christianisme.
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Quelle est selon vous la partie la plus importante dans le travail des enluminures ? Vous semblez apprécier montrer le processus de l’œuvre puis la réalisation.
L’enluminure est un manuscrit, c’est-à-dire une œuvre dans laquelle on sent la main humaine. Et c’est pour moi ce qu’il y a de plus important dans cet art. Le sentiment de la main humaine sur l’œuvre. C’est la raison pour laquelle tout mon travail est fait à main levée et que je ne recherche pas la perfection absolue des formes. Les matériaux que j’utilise sont autant que possible faits de façon artisanale. Parfois mes lignes ne sont pas parfaitement droites, ou les coloris peuvent dépasser les contours. Mais c’est ce qui fait le charme de cet art et qui le différencie de l’art numérique et de cette époque du « tout digital ».
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Quelles sont vos principales inspirations ?
Aucune œuvre ne m’a inspirée en particulier. J’aime tout ! Mais tout particulièrement les enluminures de la période gothique précoce et moyen.
Le choix des couleurs a-t-il également son importance selon le thème et le sujet de l’illustration ? Vous réalisez la feuille d’or avec des produits japonais
Les couleurs ne changent pas en fonction des thèmes mais en fonction du style de l’époque artistique. Plus le style est ancien, moins il y a de diversité dans les couleurs et à l’inverse, plus le style est récent et plus il y a de diversité dans celles-ci.
Au Japon comme en Europe, les pigments naturels utilisés dans les temps anciens étaient remarquablement similaires. Vermillon, malachite verte, Azurite bleue, Oka jaune… c’est pour cette raison que j’utilise parfois des pigments traditionnels japonais pour réaliser mes enluminures. Les matériaux sont identiques mais les liants sont, eux, différents.
J’utilise des feuilles d’or fabriquées au Japon. Comme le Japon a également une grande culture de l’art enluminé, elles sont de très grande qualité… et en plus je peux les obtenir plus rapidement !
L’art médiéval a des codes complexes (identification et placement à gauche et à droite des personnages, décor précis…). Suivez-vous toutes ces règles ?
Je cherche à fabriquer des enluminures aussi authentiques que possible, c’est pourquoi j’essaye toujours de respecter ces codes. Mais lorsque je réalise une enluminure moderne et plus créative, ou lorsqu’un client me demande un design particulier, je prends certaines libertés. J’essaye toujours de conseiller mes clients pour que l’œuvre qu’ils souhaitent puisse intégrer le plus de codes traditionnels authentique possible. Je pense que cela fait partie de la plus-value que je peux aussi donner à mes œuvres. Elles sont ainsi à la fois originales et réellement authentiques.
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Monstres, plantes, animaux, chevaliers, jeux de mots, Wonder Woman… Dessiner peut aussi être une fantaisie ? Y a-t-il une touche japonaise dans vos œuvres ?
J’aime bien imaginer ce qu’un scribe-enlumineur du Moyen Âge aurait pu réaliser s’il s’était trouvé au Japon à cette époque… Comment aurait-il fait pour exprimer la culture japonaise à travers les techniques et les codes artistiques européens de l’époque ? C’est avec ce filtre que j’essaye de créer des œuvres inspirées de la culture japonaise.
Pour le moment je travaille quasi exclusivement sur des œuvres authentiques européennes, mais j’espère développer plus tard une série d’œuvres mélangeant les thématiques et les motifs occidentaux et orientaux.
L’écriture est-elle aussi un exercice délicat ?
Je ne suis pas latiniste, mais j’ai pris le temps d’apprendre les abréviations et les codes de lecture des manuscrits traditionnels. Pour moi, le problème n’est pas de lire ou de retranscrire, le problème est d’avoir la calligraphie la plus esthétique possible. L’art de la calligraphie est différent de l’art du dessin. Au Moyen Âge, dans les scriptorium, les scribes en charge de l’écriture n’étaient pas toujours les mêmes que ceux en charge des illustrations. En outre, la calligraphie est un style qui évolue avec les époques, il faut donc l’adapter à l’illustration.
Il m’arrive de travailler avec un collègue calligraphe professionnel lorsque mes clients me demandent des œuvres avec beaucoup de textes… exactement comme les peintres médiévaux !
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Quels sont vos projets ?
Nous sommes entourés au quotidien d’objets fabriqués par des machines. Les objets produits en série sont en général sans défauts, parfaits dans leur conception.
Cependant j’aime les irrégularités de la main de l’homme. L’empreinte de la main humaine dans les œuvres d’art nous permet de ressentir le monde de façon différente. J’espère donc que mes œuvres pourront contribuer à rendre notre environnement plus « humain ».
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Toutes les photos appartiennent à l’Atelier du hérisson d’or.