Dessiner la guerre en Ukraine – entretien avec l’artiste Kusto

Depuis le 24 février 2022, jour de l’invasion de l’armée russe, le monde a les yeux rivés sur l’Ukraine. Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais l’Europe n’avait connu un tel conflit aussi majeur. La vie des Ukrainiennes et des Ukrainiens a été bouleversée. Certains n’ont pas eu d’autre choix que de fuir leur ville, leur pays alors que d’autres sont devenus des soldats. Les artistes sont également mobilisés. Face à la violence, ils ont des armes. C’est le cas du dessinateur Oleksiy Kustovsky. Kusto n’a pas de fusil mais des stylos. Par le dessin, l’artiste interprète les horreurs de la guerre et a même été publié récemment dans le journal satirique Charlie Hebdo.

Entretien avec Kousto, dessinateur en Ukraine.

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Comment avez-vous commencé à dessiner (vous avez publié votre premier dessin en 1998)?

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Quand j’étais petit, je ne pouvais pas encore marcher mais je savais m’asseoir et ramper. Pour m’occuper, mes parents m’ont donné un cahier et un stylo. Cet épais cahier a survécu. Chaque page est soigneusement délimitée par des cercles-visages avec des yeux, des oreilles et un nez. On me montrait comment dessiner un personnage et je devais essayer de recréer parfaitement ce que je voyais. Depuis ce jour, je dessine. J’ai continué à l’école. J’ai ensuite travaillé dans un studio, mais je ne supportais pas la monotonie. J’ai alors abandonné.

Depuis l’enfance, j’aimais dessiner. Je rêvais tout aussi spirituel d’apprendre à dessiner des images drôles.

J’ai dessiné ma première caricature alors que je me promenais avec mon fils. J’ai pris la photo d’une scène atypique : Un adulte était allongé sur le capot d’une voiture- un livre dans une main et avec l’autre, il berçait une poussette avec un bébé allongé à l’intérieur. J’ai ensuite dessiné la scène et j’ai montré mon travail à un journal qui l’a publié.

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Il semble que vous aimez dessiner des dessins à l’ancienne (comme c’était le cas aux XVIII-XIXème siècles). Est-ce vraiment un « retour aux sources » ou y ajoutez-vous encore une certaine touche personnelle ?

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Il semble que j’ai la nostalgie d’une certaine beauté perdue. Celle de l’époque où les femmes portaient de longues robes et des chapeaux, et où les hommes s’habillaient en queue de pie et avec un haut-de-forme.
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Pensez-vous qu’il est dangereux d’être dessinateur de nos jours ? Pourquoi le dessin peut-il choquer ?

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Oui, le métier de dessinateur, en particulier celui de dessinateur politique, est dangereux. On peut se faire tuer pour des images, ainsi que pour des mots. Ceux qui sont offensés manquent bien souvent d’autodérision et apprécient ce que l’on appelle humour. Malheureusement, tout ce monde sont des politiciens, des autocrates, des dictateurs ou encore des fanatiques religieux.

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Poutine est le personnage principal de vos œuvres (surtout après l’invasion). Est-il votre personnage préféré ? Pensez-vous que le peuple russe le soutient ?

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Quand je me refuse de faire quelque chose, au final je la fais. La tentation est trop grande. Je n’arrête pas de me dire et de dire aux autres que je ne suis pas un caricaturiste politique. D’ailleurs, je n’aime pas les caricatures politiques car, selon moi, elles sont éphémères car trop proches de l’actualité. Leur pertinence disparaît rapidement. Pourtant, je m’implique de plus en plus dans le politique et depuis 2014 je dessine très souvent Poutine.

Au départ, je pensais que cela n’allait pas durer longtemps mais le conflit dans le Donbass ne s’est pas arrêté. Il s’est même transformé en guerre totale. Poutine est devenu alors l’incarnation du mal absolu. L’homme du Kremlin disparaîtra tôt ou tard, soit dans l’éternité, soit dans l’ombre, mais je crains que les tensions ne prendront pas fin avec sa fin. Comme un champignon ou une moisissure, Poutine a libéré son mycélium – et des milliers de « Poutine » en Russie sont prêts à le remplacer. L’idéologie est bien ancrée dans le cerveau des Russes. Par conséquent, je pense qu’une grande partie du peuple russe soutient la guerre de Poutine et cela me fait très peur. Personne n’a encore inventé d’antibiotiques contre la dictature et l’autocratie. La démocratie s’est considérablement affaiblie.

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Même si vous n’êtes pas soldat, vous êtes resté très actif pendant la guerre. Par exemple, vous avez vendu des dessins originaux au profit des Forces armées ukrainiennes et de la Défense territoriale d’Odessa. Un stylo est-il une excellente arme ?

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La guerre ne peut que m’inspirer la paix. Et en ce sens, un stylo ou un crayon ressemblent plus à un mât de vie. Je m’y accroche. Il est évident que la caricature, au même titre le mot, est une arme puissante.
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Le magazine français Charlie Hebdo a publié certains de vos travaux. Que voulez-vous voulu dire aux Français ?

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C’est un grand honneur pour moi de voir mes dessins dans les pages du mythique Charlie Hebdo. Et j’ai été surpris de voir que Charlie Hebdo ce n’est pas seulement des caricatures toujours limites, mais aussi du journalisme sérieux. Le journaliste Antonio Fischetti est parti à la recherche d’artistes qui voulaient rire pendant la guerre. J’ai eu la chance de le rencontrer lors d’une réunion à Kyiv. Antonio est de plus docteur en sciences, vulgarisateur scientifique, journaliste, spécialiste en écologie et en médecine éthique. Ce fut une vraie surprise pour moi.

Mes caricatures anti-guerre ne contiennent pas de légendes ou de textes explicatifs. Elles dénoncent juste le racisme, le fascisme de Poutine et ce que l’on peut appeler l’idiotie d’Homo putinus. Tous ces maux n’ont aucun avenir.

En 2014, les Ukrainiens se sont rassemblés sur la Place de Maidan. Nous nous sommes réunis car on nous empêchait de nous rapprocher de l’Europe. On voulait au contraire nous ramener dans le passé avec une URSS 2 orchestrée par Moscou. Sous la pression, Ianoukovitch, le président pro-russe de l’époque, a été contraint de fuir en Russie sous la pression des Ukrainiens. Depuis lors, Poutine a tout fait pour détruire l’Ukraine. La Crimée a été occupée et le Donbass est devenu une zone de guerre. A présent, l’Ukraine connaît un conflit à grande échelle. Le dictateur russe estime qu’un État tel que l’Ukraine n’existe pas. Il a même prétendu que c’était Lénine qui l’avait créée et que tout cela devait cesser. Poutine a ainsi justifié le génocide du peuple ukrainien. Notre pays est à présent l’avant-poste oriental de l’Europe. Chaque jour des Ukrainiens meurent juste pour le droit de devenir Européens. Tel est le prix de notre liberté, de notre indépendance.

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Comment les idées de dessins vous viennent-elles ? Avant ou pendant le travail ?

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Cela dépend. En rêve parfois ou le matin. Bien souvent, j’ai peur de la page blanche – j’ai l’impression que je vais exploser.
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Les idées changent-elles lorsque vous commencez à dessiner ?

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Bien sûr, il y a beaucoup de changements. N’étant pas un artiste indépendant, je travaille dans un journal en tant que dessinateur. Parfois, avec le rythme de l’actualité, j’ai peu de temps pour trouver des idées. N’ayant pas de bureau, je travaille chez moi. Je m’assois sur une chaise, je pose une planche en bois sur les genoux, une feuille blanche dessus et je dessine. C’est d’abord un travail en noir et blanc. Je scanne ensuite le dessin puis je le colorise avec Photoshop. Je n’ai jamais appris à dessiner sur une tablette graphique.

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